Les retraites

L’Obs.fr : Ce que cache le report de la réforme des retraites

Juin 2019, par infosecusanté

L’Obs.fr : Ce que cache le report de la réforme des retraites

La tentation d’introduire des mesures d’économie compromet gravement le projet de retraite par points… et témoigne des fractures au sein de l’exécutif.

Par Baptiste Legrand
Publié le 28 juin 2019

Le discours était séduisant. Les Français n’avaient plus confiance en leur système de retraite trop complexe, trop souvent rafistolé ? On allait leur en fabriquer un flambant neuf, forcément plus simple, forcément plus juste. D’ailleurs, il ne fallait pas parler de « réforme » des retraites mais de « refondation » ; le gouvernement allait dessiner « un nouveau contrat social », un « nouveau pacte intergénérationnel ». Durant des mois, le haut-commissaire Jean-Paul Delevoye recourrait à toute la force de ses convictions de gaulliste social pour en convaincre les partenaires sociaux.
Dormez tranquilles, futurs retraités ! Emmanuel Macron n’avait-il pas lui-même pris un double engagement durant la campagne électorale ? D’abord, que la réforme ne viserait pas à faire « des économies de court terme sur le dos des retraités ». Ensuite, que l’âge légal de départ allait être préservé ? « Nous restons à 62 ans, conformément aux engagements du candidat Macron », déclarait encore Delevoye, à l’automne 2018, dans un entretien à « l’Obs ».

Les économies d’abord ?
Mais c’est aujourd’hui un tout autre scénario qui se dessine. La réforme « structurelle » (le passage à un régime universel par points) pourrait s’accompagner d’une réforme « paramétrique » (qui touche au paramètre de l’âge de départ). Ou plutôt, pour mieux sauver les apparences, l’une serait précédée par l’autre.
En clair : l’exécutif aménagerait d’abord les règles de notre régime actuel. Comment ? Soit en augmentant la durée de cotisation (toutefois le passage à un système par points devrait faire disparaître la notion de durée de cotisation), soit en créant une décote pour ceux qui partiront en retraite avant un « âge d’équilibre » (probablement 64 ans). L’une de ces mesures pourrait être glissée dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) voté à l’automne.
Jean-Paul Delevoye a confirmé qu’une réflexion était en cours : « Il y a un débat là-dessus […], ça fait partie des arbitrages […]. Mon rôle à moi est de m’assurer que ça n’entraîne pas d’incompatibilité avec le projet » de réforme, a-t-il déclaré mercredi en marge d’un colloque de l’IPP, l’Institut des politiques publiques, usant de son humour habituel pour éviter d’en dire davantage.
La retraite par points, elle, attendrait 2020. En ce cas, Delevoye présenterait les grandes lignes de ses préconisations à la mi-juillet, mais les détails du texte de loi ne seraient pas dévoilés avant l’hiver. Le débat à l’Assemblée aurait lieu « plutôt à l’horizon 2020 », selon une source gouvernementale à l’AFP. Il sera alors tentant de laisser passer les élections municipales du mois de mars, pour éviter que la question des retraites s’invite parmi les thèmes de la campagne…

Et si la réforme était morte ?
Reste à savoir si les deux réformes sont compatibles. « Techniquement, oui, on peut tout faire », indique un des acteurs de la réforme. « Mais politiquement, non. C’est l’une ou l’autre. Car la retraite par points est une réforme de long terme qui prendra une quinzaine d’années à mettre en place. Impossible de la vendre aux Français sans leur donner la garantie qu’on ne touchera pas aux droits acquis. Si vous commencez par une réforme paramétrique, les Français ne sont pas des crétins, ils en retiendront que vous rognez leurs droits. »
La confiance est déjà ébranlée par les discours dissonants au sein même du gouvernement – Agnès Buzyn ou encore Gérald Darmanin ont évoqué au printemps la nécessité de « travailler plus longtemps », notamment pour financer la dépendance. La majorité apparaît divisée. Le Premier ministre Edouard Philippe, issu de la droite, pousse pour des économies de court terme, l’œil rivé sur les comptes, et tant pis pour la retraite par points.

62 ou 64 ans ? Edouard Philippe et le piège de l’âge du départ en retraite
De l’autre côté, l’aile gauche des députés, déjà ébranlée par l’épisode des « gilets jaunes » et la réforme de l’assurance chômage. « La seule chose qui lie cette majorité composite, ce sont les engagements de campagne d’Emmanuel Macron », souligne un observateur, pour qui le risque est réel de voir des députés claquer la porte du groupe parlementaire en cas de reniement.
Entre les deux, des responsables de La République en Marche (LREM) plaident pour une forme d’enterrement en catimini qui sauverait les apparences : Delevoye présenterait son rapport durant l’été, suivi de la nomination d’un secrétaire d’Etat chargé de préparer les textes de loi, mais la réforme serait reportée après la présidentielle de 2022 : elle figurerait en bonne place dans le programme électoral d’Emmanuel Macron pour son second mandat (un scénario que nous présentions en février).

Quel sera le choix du président ? « Le match n’est pas plié », veut croire ce même observateur, qui souligne que la majorité parlementaire a été en partie construite par Jean-Paul Delevoye, ancien président de la commission d’investiture de LREM, « sa personnalité garde donc une certaine aura auprès des députés ».

Baptiste Legrand