Le privé (cliniques, centres de santé, hôpitaux...)

L’Opinion - Les cliniques sous perfusion de l’Assurance-maladie

Novembre 2020, par Info santé sécu social

Vendredi 20 novembre 2020

L’AIDE DES POUVOIRS PUBLICS FAIT GRINCER LES MÉDECINS LIBÉRAUX, QUI SE SENTENT MOINS ÉPAULÉS QUE LES ÉTABLISSEMENTS

Ra­deau de la mé­duse De­puis mars, l’As­su­rance-ma­la­die a avancé plus de 2 mil­liards d’eu­ros aux cli­niques et aux mé­de­cins li­bé­raux spé­cia­listes de bloc opé­ra­toire pour que les éta­blis­se­ments évitent de mettre la clé sous la porte. Une ga­ran­tie de fi­nan­ce­ment qui contourne la ta­ri­fi­ca­tion à l’ac­ti­vité (T2A), et pour­rait être re­con­duite en 2021.

D’UN AMEN­DE­MENT trois coups. Le 14 no­vembre, le gou­ver­ne­ment a fait voter au Sénat le re­port d’un an de trois ré­formes ma­jeures pour les hô­pi­taux et les cli­niques. Exit la re­fonte du ti­cket mo­dé­ra­teur sur les soins de mé­de­cine, chi­rur­gie, obs­té­trique et odon­to­lo­gie, exit le fi­nan­ce­ment de la psy­chia­trie, exit celui des soins de suite et de ré­adap­ta­tion. Motif : sur­tout, ne pas cham­bou­ler da­van­tage les bud­gets des éta­blis­se­ments, sens des­sus des­sous de­puis la pre­mière vague de Covid.

En mars, le sec­teur privé hos­pi­ta­lier, qui as­sure en moyenne 55 % des in­ter­ven­tions au bloc opé­ra­toire, a été per­cuté par la dé­pro­gram­ma­tion mas­sive d’opé­ra­tions non ur­gentes afin de li­bé­rer lits et per­son­nels. Les 1 000 cli­niques se sont sou­dain re­trou­vées le bec dans l’eau.

« Nous avons dû stop­per 70 % de notre ac­ti­vité de soins, confirme Thierry Chiche, pré­sident d’El­san (120 cli­niques, 2 mil­lions de pa­tients par an). En sus de cette perte de re­cettes, nous avons dé­pensé sans comp­ter en heures sup­plé­men­taires, équi­pe­ments de pro­tec­tion, res­pi­ra­teurs et pousse-se­ringues pour soi­gner 1 100 pa­tients Covid. » La crise sa­ni­taire a vite pré­ca­risé les cli­niques, dont un tiers était déjà en dé­fi­cit en 2019. En cause, des ta­rifs sur les actes mé­di­caux et chi­rur­gi­caux qui ne couvrent pas le coût de pro­duc­tion, alors que 85 % de leurs re­ve­nus sont issus des soins fac­tu­rés à l’As­su­rance-ma­la­die : c’est la fa­meuse ta­ri­fi­ca­tion à l’ac­ti­vité (T2A). C’est sur l’hô­tel­le­rie (chambres par­ti­cu­lières, ser­vices) que le privé hos­pi­ta­lier fait ses maigres marges – en 2018, son chiffre d’af­faires at­tei­gnait 15,4 mil­liards mais son taux de ren­ta­bi­lité pla­fon­nait à 2,7 %.

Nombre de di­rec­teurs de cli­niques pri­vées le disent : sans l’ac­com­pa­gne­ment de l’Etat, les éta­blis­se­ments les plus fra­giles met­taient la clé sous la porte sous douze à dix-huit mois

Zi­za­nie. L’As­su­rance-ma­la­die a donc aidé les cli­niques pri­vées à res­ter à flot. La ven­ti­la­tion des 84,4 mil­liards d’eu­ros pré­vus pour les dé­penses de santé hos­pi­ta­lières en 2020 (Ondam, revu à la hausse de­puis) a été re­pen­sée.

De mars à juin, la Caisse na­tio­nale (Cnam) a avancé 200 mil­lions d’eu­ros à 850 cli­niques, un mon­tant cal­qué sur le ni­veau moyen men­suel des re­cettes de 2019. De plus, 1800 éta­blis­se­ments – hô­pi­taux pu­blics com­pris – bé­né­fi­cient jus­qu’à la fin de l’an­née d’une ga­ran­tie de fi­nan­ce­ment à hau­teur de 1,14 mil­liard. Là en­core, il s’agit de s’af­fran­chir de la dé­pen­dance à la T2A et de sta­bi­li­ser les re­ve­nus issus du soin par une do­ta­tion men­suelle (tou­jours sous forme d’avance) fon­dée sur le chiffre d’af­faires de l’an­née pré­cé­dente. Enfin, début no­vembre, le gou­ver­ne­ment a dé­lé­gué 723 mil­lions d’eu­ros de l’On­dam hos­pi­ta­lier 2020 aux dé­penses ex­cep­tion­nelles liées à la crise. Nombre de di­rec­teurs de cli­niques le disent : sans l’ac­com­pa­gne­ment de l’Etat, les éta­blis­se­ments les plus fra­giles met­taient la clé sous la porte sous douze à dix-huit mois. « L’Etat avait aussi be­soin de nous, glisse un di­ri­geant. Sans les cli­niques, il fou­tait le sys­tème de santé et l’hô­pi­tal pu­blic en l’air. » Cette mé­ca­nique pour­rait être re­con­duite en 2021.

Si le gou­ver­ne­ment a fait le bon­heur des éta­blis­se­ments pri­vés, les mé­de­cins li­bé­raux qui les font tour­ner af­fichent un sou­rire plus crispé. Non pas sa­la­riés mais payés à l’ac­tivi-té, pri­vés de bloc, ils sont 70 000 à avoir béné-fi­cié d’une aide spé­ci­fique de 9 000 euros en moyenne au prin­temps. Pour eux, la Cnam a déjà avancé 1,1 mil­liard d’eu­ros et re­nou­velé la se­maine der­nière le dis­po­si­tif afin de les épau­ler dans la se­conde vague.

« C’est une com­pen­sa­tion de nos charges et non de notre baisse d’ac­ti­vité, peste le Dr Phi­lippe Cuq, pré­sident du Bloc, syn­di­cat des chi­rur­giens, anes­thé­sistes ré­ani­ma­teurs et obs­té­tri­ciens. Cela nous aide un petit peu mais c’est in­suf­fi­sant. » « Nous fonc­tion­nons comme des pe­tites en­tre­prises, confirme le Dr Franck De­vul­der, pa­tron des spé­cia­listes de la Confé­dé­ra­tion des syn­di­cats mé­di­caux fran­çais (CSMF). On a tous pris le prêt ga­ranti par l’Etat, mis une par­tie de nos sa­la­riés au chô­mage par­tiel et baissé notre ni­veau de ré­mu­né­ra­tion. L’aide de la Cnam est non né­gli­geable mais elle n’a cou­vert que 50 % des nos charges, ex­trê­me­ment lourdes. »

Au final, ce deux poids deux me­sures entre cli­niques et mé­de­cins fait souf­fler le vent de la zi­za­nie. « Le cli­mat était très tendu au prin­temps, confie le Dr Em­ma­nuel Bri­quet, di­rec­teur de la stra­té­gie mé­di­cale des cli­niques Vi­valto santé. Les mé­de­cins ne com­pre­naient pas pour­quoi on les em­pê­chait d’opé­rer alors que les lits, dans cer­taines zones, étaient vides. »

Des pra­ti­ciens ont vu dans l’apa­thie des cli­niques une oc­ca­sion pour elles de faire des éco­no­mies en re­chi­gnant à la re­prise d’ac­ti­vité. Dé­lé­guée gé­né­rale de la Fé­dé­ra­tion de l’hos­pi­ta­li­sa­tion pri­vée (FHP), Chris­tine Schi­bler dé­nonce ce faux pro­cès : « Si on a le pied sur le frein, c’est soit par res­pect des consignes sa­ni­taires, soit par manque de res­sources hu­maines. Avec ou sans ga­ran­tie de fi­nan­ce­ment, ce n’est pas dans l’ADN des cli­niques de ne pas tra­vailler. »