Environnement et facteurs dégradant la santé

Le Journal du Centre : La crise nous tue

Mai 2016, par infosecusanté

La crise nous tue

1 % de chômage en plus, c’est, selon une étude de l’OCDE publiée hier dans la revue médicale The Lancet, 0,37 mort par cancer supplémentaire pour 100.000 habitants. Un accroissement de 1 % des coupes dans le budget de santé (en pourcentage du PIB) est associé à 0,0053 mort de plus. Au total, la hausse du chômage et les coupes dans le secteur de la santé consécutives à la crise financière de 2008 auraient abouti au décès de plus de 500.000 personnes dans le monde entre 2008 et 2010, résument les travaux de l’équipe coordonnée par Mihiben Maruthappu, de l’Imperial College de Londres.

En suivant les tendances sur 20 ans, entre 1990 et 2010, dans 70 pays représentant deux milliards d’êtres humains (sur un total d’environ sept milliards, selon les chiffres de l’ONU) et en s’appuyant sur les données de la Banque mondiale et de l’Organisation mondiale de la santé, les chercheurs ont pu calculer combien des 8,2 millions de morts par cancer (chiffre 2012) pouvaient être liés au chômage et aux coupes budgétaires dans la santé. Ainsi, 18.000 décès supplémentaires ont été comptabilisés aux États-Unis sur la période 2008-1010, et 1.500 en France.

Distinguant les cancers que l’on « peut traiter », dont le taux de survie est supérieur à 50 %, et les « incurables », dont la survie est inférieure à 10 %, l’équipe de l’OCDE a constaté que le lien entre la maladie et la surmortalité a été plus marqué dans les cancers que l’on peut traiter, ce qui montre, selon les chercheurs, « l’importance de l’accès aux soins ».

Et si les chercheurs précisent que leurs travaux établissent davantage une association qu’un lien de cause à effet entre crise économique et surmortalité due au cancer, il y a cependant « une corrélation chronologique » puisque les évolutions du chômage et celle de la mortalité se suivent.

Les spécialistes verront là la confirmation d’autres travaux qui montraient déjà l’impact dramatique de la situation économique sur la santé, notamment psychique, de la population. Une étude de l’université de Zurich, publiée en février 2015 dans The Lancet Psychiatry, étayait d’autres travaux sur le suicide lié à la crise et établissait, sur la base des statistiques de 60 pays, que la crise de 2008 avait fait enfler le chiffre des suicides d’environ 45.000 avec une corrélation aussi nette que celle relevée pour le cancer. La conclusion était dramatique : le risque de se suicider augmente de 20 à 30 % si l’on est au chômage !

En France seulement, l’Inserm avait calculé, l’an dernier, que « le chômage tuerait entre 10.000 et 20.000 personnes » chaque année et qu’entre 2008 et 2010, il aurait au minimum entraîné 584 personnes de plus à se donner la mort. En outre, selon l’étude, « les hommes en âge de travailler, entre 25 et 49 ans, constituent la population la plus sensible aux variations du taux de chômage. » Pour une augmentation de 10 % du chômage, l’Inserm avait pointé sur la période une augmentation du taux de suicide, tous sexes confondus, de 1,5 % et chez les hommes de 25 à 49 ans de 2,6 %.

La crise, c’est aussi le stress. La reconnaissance du burn-out fait l’objet d’une proposition de loi déposée en février à l’Assemblée nationale par l’ancien ministre socialiste Benoît Hamon. Mais, si l’on estime parfois à plus de 3 millions le nombre de salariés qui pourraient être touchés chaque année, l’Académie de médecine juge qu’il est difficile de caractériser le trouble. Il pourrait l’être en établissant une sous-catégorie « suicide par épuisement » ou « par découragement ». On en reparlera dans les statistiques au passé…

Yves Carroué