Industrie pharmaceutique

Le Monde - Big Pharma : La Chine veut s’affirmer dans l’industrie pharmaceutique mondiale

Novembre 2018, par Info santé sécu social

D’ici à 2030, le pays pourrait devenir le premier marché de la planète, devant les Etats-Unis.

12 novembre, par JACQUE Philippe

Elles sont presque toutes là. Les Big Pharma internationales ont répondu à l’appel du gouvernement chinois pour participer, entre les 5 et 10 novembre, à Shanghaï, à l’Exposition internationale d’importation de la Chine. Derrière le stand d’AstraZeneca, de Roche ou de Bayer, celui de Merck veut éclipser ceux de Novartis ou de Sanofi, ayant convié une poignée de journalistes français sur place.

Pour la fine fleur du secteur, pas question de rater un tel événement, car l’empire du Milieu, 1,4 milliard d’habitants, est devenu, en moins de dix ans, le second marché de la planète, à près de 110 milliards d’euros. D’ici à 2030, il pourrait devenir le premier, devant les Etats-Unis. Pas question pour les sociétés étrangères, dont la présence est « tolérée », selon un patron du secteur, de renoncer aux 25 % de part de ce gigantesque marché qu’ils ont réussi à gagner ces dernières années.

Mais la Chine a bien l’intention de créer ses propres géants. Dans le cadre du plan « Made in China 2025 », Pékin souhaite qu’au moins cent sociétés pharmaceutiques chinoises puissent exporter des médicaments dans les grands marchés de la planète, en atteignant une production au standard international d’ici à 2020. Car, pour l’instant, la majorité des 4 100 sites chinois ne sont pas au bon niveau.

« Les besoins dans le pays sont aujourd’hui énormes »
Toujours selon les directives du gouvernement, les entreprises chinoises devront enregistrer entre cinq et dix traitements de dernière génération auprès des autorités de certification américaines et européennes. « C’est une sacrée gageure, juge le consultant indépendant Olivier Milcamps. On part de très loin, car les acteurs locaux investissent bien moins en recherche et développement que les acteurs internationaux. »

« [En 2017], le taux de croissance du secteur se situait entre 3 % et 4 %, mais, pour les multinationales, la croissance se comptait à deux chiffres », constate Jean-Christophe Pointeau, le patron de Sanofi en Chine. Offrant des traitements plus récents, sans équivalents génériques chinois, les Big Pharma profitent de l’immense marché chinois. « Les besoins dans le pays sont aujourd’hui énormes, avec le vieillissement de la population et l’irruption de multiples maladies chroniques, comme le diabète ou le cancer, dus à la sédentarisation et au brusque changement des habitudes alimentaires », ajoute-t-il.

Pendant longtemps, l’Etat a traîné des pieds pour autoriser ou rembourser des traitements étrangers. Depuis 2017, plus besoin d’organiser localement des essais cliniques pour lancer une molécule déjà approuvée aux Etats-Unis ou en Europe. De même, depuis l’été 2018, les droits de douane de vingt-huit classes de médicaments ont été supprimés.

Médiocrité des nombreux médicaments génériques chinois
En revanche, pour rendre son médicament remboursable au niveau national, puis provincial, « les négociations sont dures », confirme-t-on chez Roche, qui a récemment réussi à enregistrer son Herceptin, un médicament contre le cancer du sein. Le groupe suisse a dû consentir une baisse de 70 % de son tarif. Conséquence : les ventes ont bondi de 400 %.

Ce que les Big Pharma perdent, au départ, en prix, elles le gagnent en volume. « Les patients se tournent vers nos traitements, assure M. Pointeau de Sanofi. Aujourd’hui, les malades privilégient un générique, mais s’ils peuvent s’offrir la molécule originale, ils le font sans hésiter. » Pour certains groupes internationaux, c’est une bonne affaire. Du fait de la médiocrité des nombreux médicaments génériques chinois et de la méfiance des habitants envers le système et l’industrie de la santé, ils peuvent écouler des produits originaux pourtant déjà « génériqués » en Europe ou aux Etats-Unis.

A moyen terme, cependant, la Chine entend bien reprendre la main. « Pour réussir, la Chine fait du classique, analyse Guillaume Zagury, médecin urgentiste et l’un des dirigeants d’Oasis, un hôpital international privé de Pékin. Elle fait venir les meilleurs groupes internationaux, elle capte le savoir et espère créer ensuite ses propres Big Pharma. »

« Le système de santé rattrape son retard à vitesse grand V »
Grâce à l’augmentation des standards de qualité, la Chine a avant tout décidé d’assainir et de consolider tout son secteur pharmaceutique. Aujourd’hui, les plus grandes entreprises, comme l’américain Pfizer ou les chinois Yangzi River et Jiangsu Hengrui, détiennent moins de 3 % de part de marché dans le pays. En haussant les standards de qualité, l’Etat veut obliger les plus petites sociétés, qui ne peuvent investir pour se mettre à niveau, à se vendre à de plus grosses ou à fermer. Les Yangzi River, Jiangsu Hengrui ou Fosun Pharma pourront dès lors accroître leurs volumes de ventes, donc leurs revenus, afin de mobiliser assez de moyens pour développer des traitements de dernière génération (génétiques ou biologiques).
Dans le même temps, Pékin veut également s’appuyer sur les returnees (« rapatriés ») pour renforcer tout son secteur pharmaceutique. « De nombreux chercheurs chinois, envoyés ces vingt dernières années aux Etats-Unis, en Europe ou ailleurs, sont aujourd’hui incités à revenir pour créer leur société ou pour renforcer les sociétés locales », confirme Olivier Milcamps.

« La force de ce pays, c’est qu’il va vite. Le système de santé rattrape son retard à vitesse grand V, juge M. Zagury. En matière d’innovation, il est certes en retard, mais il met des moyens colossaux pour [le] combler. » Exemple, l’hôpital numérique est en pleine croissance, avec 400 millions de consultations médicales en ligne prévues cette année, contre zéro il y a encore deux ans. De même, dans la génétique, des patients atteints de cancer ont déjà été guéris lors d’essais cliniques. « Ils vont d’autant plus vite, ajoute un expert, qu’ils ne s’embarrassent pas vraiment d’éthique pour réussir. »
Philippe Jacqué (à Shanghaï)