Psychiatrie, psychanalyse, santé mentale

Le Monde.fr : Un rapport dénonce la situation des détenus atteints de troubles psychiques

Avril 2016, par infosecusanté

Un rapport dénonce la situation des détenus atteints de troubles psychiques

LE MONDE | 05.04.2016

Par Jean-Baptiste Jacquin

Quelle est la proportion de détenus atteints de troubles psychiques ou de maladies mentales dans les prisons françaises ? Nul ne le sait précisément. Commander une étude indépendante sur le sujet est la première recommandation formulée par l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch (HRW), à l’issue d’un rapport d’enquête publié mardi 5 avril. Intitulé « Double peine, conditions de détentions inappropriées pour les personnes présentant des troubles psychiatriques dans les prisons en France », ce rapport dresse un constat accablant sur la prise en charge des personnes malades, alors que quelque 30 % des détenus souffraient de troubles psychotiques (schizophrènes, maniaco-dépressifs, paranoïaques, bipolaires, etc.), selon une étude du ministère de la santé réalisée il a plus de douze ans.

Le sujet, déjà abordé par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, a été étudié dans deux principales directions. La souffrance supplémentaire et discriminatoire infligée à ces personnes alors que les conditions de détention ne sont pas adaptées à leur maladie ou handicap ; la difficulté d’accès des détenus aux soins en matière de santé mentale. « Les ministères de la santé et de la justice doivent faire des efforts considérables pour remédier à ces situations qui sont inacceptables pour un pays comme la France », avertit Izza Leightas, la chercheuse qui a piloté l’étude de HRW.

Alors qu’il y a une surreprésentation des personnes atteintes de troubles psychiatriques en prison, l’ONG note que, « dans la plupart des cas », les conditions de détention aboutissent « à une nouvelle détérioration de leur santé mentale ». HRW dénonce d’abord la souffrance infligée aux détenus les plus fragiles ou atteints de troubles mentaux par le choc du monde carcéral (surpopulation, violence, promiscuité, solitude affective, etc.). Sans compter les brimades supplémentaires que leur état occasionne de la part d’autres détenus. Une spirale infernale alors que l’altération du discernement est souvent perçue comme un facteur de risque supplémentaire en matière de récidive. Ces personnes jouissent ainsi de moins de possibilités d’aménagement de peine alors que leur santé exigerait le contraire. De plus, jusqu’à la loi Taubira de 2014, la prise en compte du trouble mental dans les jugements correctionnels ou criminels justifiait souvent des peines plus sévères, contrairement à l’idée admise en droit pénal d’une altération de la responsabilité. HRW demande ainsi « aux juges et aux procureurs de réduire la durée d’incarcération des personnes présentant des troubles psychiatriques graves ».

« Conditions choquantes, contraires au droit »

Rien n’est plus faux que de croire que ces personnes seraient mieux soignées en prison qu’en dehors. Certes, elles ont, comme les autres, accès à des psychologues (qui dépendent de l’administration pénitentiaire) et des psychiatres souvent rattachés à des hôpitaux voisins. Mais le rapport de HRW relève que faute de psychiatres volontaires en nombre suffisant, les listes d’attentes pour obtenir un rendez-vous s’allongent, tandis que les consultations seraient expéditives et limitées à la prescription de médicaments.

Lorsque l’état médical d’un détenu s’est trop dégradé, il est alors hospitalisé, même sans son consentement. Mais les hôpitaux psychiatriques n’étant pas sécurisés pour accueillir des prisonniers, certains y sont maintenus à l’isolement, sans visite, ni promenade. L’un des professionnels de santé interrogé par Mme Leightas explique qu’« en général, les détenus préfèrent aller en quartier disciplinaire ». La chercheuse parle « de conditions d’hospitalisation choquantes, contraires au droit et à la dignité humaine ».

La France dispose néanmoins de sept unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA). Implantées au sein d’hôpitaux, ces unités sont sécurisées par le personnel pénitentiaire. Deux autres unités sont en cours de construction, mais les places restent encore insuffisantes.

Pour l’administration pénitentiaire, le sujet n’est pas simple alors que le secret médical vaut pour les détenus comme pour tous les citoyens. Sans enfreindre cette règle, HRW recommande de renforcer le dialogue entre personnels de santé et personnels pénitentiaires. L’association plaide également pour que des médecins puissent participer aux commissions de discipline en détention. Et souligne la surpopulation des prisons comme facteur aggravant la situation des personnes atteintes de troubles psychiatriques. Mais il s’agit là d’un autre sujet.

Jean-Baptiste Jacquin
Journaliste