Psychiatrie, psychanalyse, santé mentale

Lequotidiendumedecin.fr : Meurtre à Grenoble d’un étudiant par un patient psychotique en 2008 : 18 mois avec sursis requis contre le psychiatre

Novembre 2016, par infosecusanté

Meurtre à Grenoble d’un étudiant par un patient psychotique en 2008 : 18 mois avec sursis requis contre le psychiatre

Coline Garré

| 09.11.2016

Dix-huit mois de prison avec sursis ont été requis, ce mardi 8 novembre devant le tribunal correctionnel de Grenoble contre le Dr Lekhraj Gujadhur, ancien psychiatre du centre hospitalier de Saint-Egrève, poursuivi pour homicide involontaire, tandis qu’une amende de 100 000 euros avec sursis a été requise contre l’établissement, huit ans après le meurtre d’un étudiant par un de leurs patients schizophrènes. Le jugement a été mis en délibéré au 14 décembre.

Un défaut d’appréciation de la dangerosité du patient

Le 12 novembre 2008, Jean-Pierre Guillaud, 56 ans, s’enfuit sans obstacle de l’hôpital psychiatre, prend le car jusqu’à Grenoble, achète un couteau, et poignarde Luc Meunier, 26 ans, qui terminait son doctorat en génie mécanique. Le premier, sujet à des hallucinations et à des pulsions morbides, est régulièrement hospitalisé depuis la fin des années 1970 (6 séjours à Saint-Egrève et 10 hospitalisations entre 1980 et 2008). Et a déjà commis plusieurs agressions à l’arme blanche.

En 2011, Jean-Pierre Guillaud est déclaré pénalement irresponsable et placé en unité pour malade difficile (UMD). Mais une information judiciaire est ouverte pour déterminer les éventuelles responsabilités des médecins, à la suite d’une plainte contre X de la famille Meunier. Une ordonnance de non-lieu ayant été rendue en 2013, la famille porte le dossier devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Grenoble, qui demande un supplément d’information. Dans son arrêt, elle pointe « un défaut d’appréciation de la dangerosité » du patient.

« Ce procès est l’aboutissement d’un combat mené par la famille Meunier seule contre tous », a déclaré Me Hervé Gerbi. Le psychiatre encourait une peine maximale de 5 ans d’emprisonnement.

Faute caractérisée du médecin, selon le procureur

Le procureur Olivier Nagabbo a retenu ce 8 novembre la faute caractérisée à l’encontre du médecin aujourd’hui septuagénaire et à la retraite. « Ce n’est pas la psychiatrie qui est jugée mais la désinvolture et le désintérêt du Dr Gujadhur qui a failli à sa mission », a déclaré le magistrat. L’homme de loi a souligné que le praticien, qui exerçait depuis 1974 à Saint-Egrève, n’avait pas pris connaissance du dossier de ce patient en hospitalisation d’office depuis 2 ans.

L’avocat de la famille a accablé le psychiatre, listant les signaux d’alerte, dans le comportement de Jean-Pierre Guillaud, qui aurait dû l’alerter les jours précédant le drame : « sa mauvaise voix lui dit de se suicider ou de tuer quelqu’un » le 8 novembre, le 9 et 10. « Il n’y en a qu’un qui n’est au courant de rien mais signe toutes les autorisations de sorties : c’est le Dr Gujadhur », a dénoncé Me Gerbi.

« Des patients comme Jean-Pierre Guillaud, il y en a beaucoup. Je vais dire à tous mes clients psychiatres soit de verrouiller les cellules (mais c’est contraire à la loi), soit de ne pas s’en occuper », a rétorqué Me Jean-Yves Balestas, conseil du psychiatre.

Il a plaidé la relaxe pour le médecin, qui a fait une tentative de suicide après cette affaire et a cessé d’exercer.

L’hôpital reconnaît un dysfonctionnement de l’institution

Le procureur a enfin retenu la « faute simple » à l’encontre du centre hospitalier, pour défaut d’application d’une note de service sur le contrôle des sorties des patients. L’avocat de l’établissement, Me Denis Dreyfus, a plaidé la relaxe, rappelant les trois précédentes réquisitions de non-lieu en 2011, 2012 et 2014. L’hôpital a depuis grillagé son parc grâce à des fonds publics débloqués après le drame. « L’hôpital doit assumer sa responsabilité morale. Les moyens étaient là le 12 novembre, l’institution a dysfonctionné », a déclaré le directeur de l’établissement, Pascal Mariotti, arrivé cinq mois après les faits, en présentant à la famille ses « condoléances, les excuses de l’hôpital, et la peine de l’institution psychiatrique ».

Un drame qui a marqué la psychiatrie

La peine requise contre le Dr Gujadhur est de six mois plus lourde que celle requise contre le Dr Danièle Canarelli, condamnée finalement à un an de prison avec sursis en décembre 2012, pour une affaire semblable qui s’est déroulée en 2004. Mais la psychiatre marseillaise avait été relaxée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence au printemps 2014, pour cause de prescription des faits. Une relaxe confirmée par la cour de cassation en octobre 2015.

En 2008, le meurtre de Luc Meunier avait marqué un tournant sécuritaire dans les relations entre politique et psychiatrie. « Je dois répondre à l’interrogation des familles des victimes que je reçois. Les malades potentiellement dangereux doivent être soumis à une surveillance particulière afin d’empêcher un éventuel passage à l’acte », avait déclaré à Antony Nicolas Sarkozy, alors président de la République, avant de proposer un arsenal de mesures en faveur de la sécurisation des HP (contrôle des entrées et sorties, géolocalisation, généralisation des unités fermées et chambres d’isolement, etc.) et de réformer les procédures d’hospitalisation d’office. Ce qui avait suscité la colère du monde de la psychiatrie, qui se bat contre la stigmatisation des patients. Seulement 1 % des Français souffrent de schizophrénie et, parmi eux, 1 % sont dangereux.