Industrie pharmaceutique

Libération - La La pandémie de Covid-19 : « Les géants pharmaceutiques font passer leur intérêt financier avant l’intérêt général »

Juillet 2021, par Info santé sécu social

Interview

Les prix des vaccins auraient été gonflés artificiellement par les sociétés pharmaceutiques profitant de leurs monopoles. La France aurait ainsi payé au moins 4,6 milliards d’euros de surcoût et l’Europe 31. Cette situation handicape particulièrement la vaccination dans les pays pauvres, au point qu’Oxfam parle de « pénurie organisée ».

publié le 29 juillet 2021
31 milliards d’euros. C’est le montant que Pfizer et Moderna auraient engrangé sur le dos de l’Union européenne grâce aux contrats de livraison de vaccins qu’ils ont signés. Une enquête menée dans le cadre la People’s Vaccine Alliance, dont Oxfam est membre, a analysé les techniques de production des vaccins à ARN messager de ces deux géants pharmaceutiques pour en déterminer le coût réel de production. Il est estimé à 1,18 dollar (0,99 euro) la dose pour le Pfizer et 2,85 dollars pour le Moderna, tandis qu’ils sont vendus entre 16,25 et 19,50 dollars pour l’un et entre 19,20 et 24 pour l’autre.

Si cette analyse ne prend pas en compte le coût de leurs investissements en recherche et développement, cela n’enlève rien aux profits faramineux que réalisent les groupes pharmaceutiques. En 2021, Pfizer devrait réaliser un chiffre d’affaires proche de 80 milliards d’euros. Il pourra remercier la France pour qui le surcoût est évalué à 4,6 milliards d’euros. Selon Oxfam, ces pratiques tarifaires sont un scandale à la fois pour les pays riches, puisque ce sont leurs contribuables qui paieront la facture, mais aussi et surtout pour les pays pauvres.

Nicolas Vercken, directeur des campagnes et du plaidoyer d’Oxfam France, dénonce les monopoles des Big Pharma qui creusent les inégalités et appelle à la levée des brevets.

Tandis qu’en France plus de 50% des Français ont désormais reçu les deux injections, l’épidémie explose dans des pays du Sud comme le Sénégal ou la Tunisie faute de vaccins. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Actuellement nous avons des Etats et des contribuables qui paient beaucoup plus cher l’accès au vaccin qu’ils ne le devraient. Et globalement une humanité qui ne gère pas bien sa réponse collective. On laisse des pans entiers de la planète sans vaccin, avec la capacité pour le virus de muter. Si, en France et dans les autres pays du G7, on aura théoriquement fini de vacciner la population d’ici fin janvier 2022, ce sera sur la base des virus initiaux et vaccins initiaux.

Dans le reste du monde, on ne sait pas combien de temps cela va prendre. Si on en reste au rythme actuel dans les pays du Sud, cela prendra cinquante-cinq ans. Bien entendu, cela va en prendre moins que ça. Mais, inévitablement, le retard dans le déploiement de la stratégie vaccinale dans ces pays va avoir des conséquences pour le monde entier. On va se retrouver avec encore plus de variants qui se développent, de nouvelles vagues, et finalement le besoin de développer de nouveaux vaccins, d’imposer de nouvelles doses, etc.

La solution, c’est la levée des brevets ?

Bien sûr ! Ça fait un an et demi qu’on le dit. A l’époque, on nous répondait qu’en faisant ça, on allait tuer tout l’intérêt de l’innovation intellectuelle et l’investissement dans la R & D. Mais aussi que faire les transferts de technologie, du fait de leur complexité, prendrait trop de temps et qu’on n’aurait pas augmenté significativement les capacités de production des pays du Sud. Aujourd’hui, on voit que la pandémie n’est pas sous contrôle et qu’il y a des chances qu’elle dure encore plus longtemps. On sait que certains de ces pays, l’Inde ou l’Afrique du Sud, peuvent produire ces vaccins. Ils ont les compétences industrielles et technologiques et demandent seulement qu’on leur transfère la recette.

A qui faut-il imputer le blocage de leur levée ?

Au fond, les géants pharmaceutiques jouent leur jeu en faisant passer leur intérêt financier à court terme avant l’intérêt général. Ceux qui ne jouent pas leur rôle, ce sont les Etats qui sont les premiers à surpayer leurs doses et à bloquer la levée des brevets.

Que penser du programme Covax censé garantir un accès équitable à la vaccination dans le monde ?

Ce n’est pas Covax, qui a aussi surpayé ses doses, comme tout le monde, qui va demain répondre à la question de l’accès des pays les plus pauvres au vaccin dans les proportions qui sont nécessaires. Dans sa conception, c’est un pansement sur une jambe de bois. On est sur des volumes trop faibles et une gestion centralisée qui enlève de la souveraineté sanitaire aux pays bénéficiaires. Et donc ça ne marche pas : nous sommes en juillet 2021 et seul 1% de la population de ces pays est vaccinée.

La situation, notamment concernant la levée des brevets, peut-elle évoluer ?

Quand on voit ce qu’il se passe en Tunisie ou au Sénégal, on ne peut pas se dire qu’il n’y a pas de soucis. On ne peut pas laisser ce type de situation se prolonger et se répliquer dans d’autres pays. Il finira bien par avoir une prise de conscience salvatrice. Du moins je l’espère. On a vu Biden qui a bougé, Macron qui a embrayé. On ne peut qu’espérer que face aux Big Pharma, la balance bascule enfin du bon côté.