Assistance Publique des Hopitaux de Paris (AP-HP)

Libération - Suicide à Pompidou : Touraine saisit l’Inspection des affaires sociales

Février 2016, par Info santé sécu social

Par Eric Favereau

La ministre de la Santé a annoncé jeudi avoir saisi l’Igas à l’issue d’une enquête sur le suicide en décembre d’un cardiologue de l’hôpital Georges-Pompidou, menée par la direction de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris.


Le 17 décembre, le professeur Jean-Louis Mégnien se suicidait en se jetant du septième étage de son bureau de l’hôpital Pompidou à Paris. Une commission, installée par le directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Martin Hirsch, et Gérard Friedlander, doyen de la faculté de médecine Paris Descartes, a publié jeudi ses conclusions définitives. La ministre de la Santé Marisol Touraine a dans la foulée annoncé avoir saisi l’Inspection générale des affaires sociales (Igas).

Ce rapport, établi par trois personnalités du monde médical (les professeurs Hardy, Houssin et Dessaule), est certes nuancé, mais il permet de mieux comprendre ce qu’il s’est passé. Nominations entre amis à l’hôpital public, non prise en compte de la souffrance au travail et gouvernance - mi médicale mi administrative - qui n’a pas su réagir à temps : ce rapport met en lumière ce qui est d’habitude bien dissimulé.

Exclusion déguisée

Dès le mois dernier, la commission avait estimé que le suicide du Pr Jean-Louis Mégnien sur son lieu de travail révélait des « dysfonctionnements ». Elle pointait d’abord du doigt la question du processus de nomination des chefs de service. « En 2012, un premier dysfonctionnement s’est caractérisé par un arrangement initial inhabituel entre les trois médecins de cette unité, par ailleurs de très petite taille et qui a fonctionné en vase clos durant de longues années. Il a consisté à désigner les responsables du CMPV [Centre de médecine préventive cardio-vasculaire, ndlr] pour les 5 ans à venir, le professeur Mégnien devant succéder en 2017 au Docteur Chironi, nommé en 2013 » relève la commission. Pour tous les proches du professeur Meignien, c’est ce problème qui a fragilisé le cardiologue. « Cet arrangement était d’autant plus fragile que la pérennité de la structure était loin d’être assurée et que le professeur Simon, organisateur et principal garant de l’accord, devait faire valoir ses droits à la retraite avant la fin du premier mandat » ajoute la commission.

En juillet 2015, un deuxième dysfonctionnement se produit. « Le Docteur Chironi, alors responsable du CMPCV, annonce son départ. Début septembre, il est proposé de nommer le Docteur Siriex comme chef d’unité à titre provisoire et cela quelques jours avant l’annonce de la reprise de travail du professeur Mégnien ». Non seulement le titre de « chef d’unité à titre provisoire » n’est pas prévu par les textes mais le poste n’a en plus pas été proposé au professeur Mégnien après son retour. Tous ces éléments ont pu donner à penser que l’accord sur la chefferie du Centre de médecine préventive cardio-vasculaire était une manière déguisée d’en exclure le professeur Mégnien. « Ils ont nourri le grave conflit qui a opposé ces médecins, avant de mobiliser plusieurs responsables du pôle CVRM, de l’hôpital et, plus largement, de l’AP-HP », écrit la Commission.

La commission s’attarde ensuite sur la gestion « des risques psycho-sociaux et des conflits », avec la non prise en charge des trois alertes successives sur la situation personnelle du professeur Mégnien, celui-ci vivant très mal ce qu’il voyait logiquement comme une mise à l’écart. « La première [alerte ndlr], en janvier 2014, est un mail émanant du professeur Mégnien : il y fait état du suicide comme solution possible. Il y est répondu par une poursuite de la médiation et par la recherche d’une solution au conflit ». Puis deux autres alertes arrivent en novembre 2014 : il s’agit de deux mails adressés par des médecins s’inquiétant de l’état de santé de Jean Louis Mégnien.

Pas de suivi de l’état psychologique du professeur Mégnien

« L’absence de réponse immédiate aux alertes, en termes de suivi individuel, n’a pas eu de conséquence vitale à court terme ; elle a toutefois un corollaire, l’absence de mise en place d’un dispositif de suivi de l’état psychologique du professeur Mégnien, dénonce la commission. Ce suivi aurait permis de mieux préparer sa reprise d’activité en décembre 2015 ». Il n’a pas eu lieu. Les médecines du travail universitaire et hospitalière n’ont pas été non plus sollicitées. Résultat : « En décembre 2015, la reprise de travail du professeur Mégnien après 9 mois d’arrêt de travail n’a pas été anticipée au regard du risque psycho-social, alors même qu’elle avait été annoncée dès le début du mois de septembre au chef de département ».

Par ailleurs, note la commission, « le jour de sa reprise, le professeur Mégnien a trouvé fermée la porte de son bureau du fait d’un changement de serrure. Compte tenu des alertes passées et de la longue période d’arrêt de travail, une vigilance particulière aurait été de mise ». D’où ce constat d’un manque de prise en charge criant : « L’hôpital Pompidou n’a pas organisé un dispositif structuré centré sur la prévention de la souffrance psychique et la réaction à l’alerte suicidaire des personnels médicaux, y compris hospitalo-universitaires ».

Lutte d’influence

Enfin, le volet gouvernance. A l’hôpital, le pouvoir est co-partagé entre la direction administrative et les médecins. « A l’hôpital Pompidou, de prime abord, les instances de direction et les instances représentatives du corps médical fonctionnent sur un mode on ne peut plus ordinaire », remarque la commission. « Cette gouvernance s’inscrit toutefois sur un fond de lutte d’influence mobilisant des forces fréquemment antagonistes : d’un côté, un "lobby" hostile aux nouvelles formes de gouvernance, attaché à la protection de l’activité libérale, contre la direction et utilisant les médias ; d’un autre côté, une mouvance animée par un "cabinet noir", investie dans le management et la réflexion stratégique hospitalière et fortement associée aux instances de gouvernance ». La commission rappelle que l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) avait déjà été saisie à Pompidou sur un conflit récent face à une suspicion de pratique de dessous de table dans le service de chirurgie plastique. Puis : « L’empilement des structures médicales associé au cumul des mandats peuvent donner la perception d’un pouvoir concentré entre peu d’individus ».

Manque de clarté dans les décisions donc, puis manque de distance des différents acteurs par rapport à certaines décisions, le tout dans un hôpital où subsistent des luttes de clans aux intérêts variés, le bilan est au final rude. La commission propose donc une série de mesures sur le rôle et les fonctions de chacun, et elle insiste plus généralement sur l’importance de prendre au sérieux les risques de maltraitances à l’hôpital, y compris chez les médecins. A titre d’exemple, elle note qu’un conflit similaire existe dans le service de chirurgie cardiaque de Pompidou, et qu’il serait opportun de le régler plutôt que de le laisser pourrir. En recevant jeudi soir ce rapport, le directoire de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris a annoncé qu’elle faisait sienne les recommandations émises.

Eric Favereau