Industrie pharmaceutique

Libération - Sanofi, toujours plus de dividendes ou comment injurier l’avenir

Février 2021, par Info santé sécu social

Le laboratoire annonce un dividende de 4 milliards d’euros, en forte hausse, qui fait désordre après le fiasco du vaccin. Ce cadeau à ses actionnaires alimenté par la vente d’une biotech américaine le prive un peu plus de son effort de R&D.

par Franck Bouaziz
publié le 5 février 2021

Pendant la crise, les affaires continuent… voire prospèrent en ce qui concerne les Big Pharma. Nonobstant son échec dans la course au vaccin contre le coronavirus, Sanofi a annoncé ce matin des résultats en grande forme pour l’année 2020. Si son chiffre d’affaires ne varie guère, à un peu plus de 36 milliards d’euros (+3,3 %), son bénéfice net s’est envolé l’an dernier de… 338,4 % pour atteindre 12,3 milliards. Les actionnaires peuvent donc espérer un dividende de 3,20 euros par action, ce qui représentera au total une distribution de 4 milliards d’euros, là où ils n’avaient empoché « que » 3,8 milliards au titre de l’année 2019. Etonnant choix lorsqu’on constate qu’à la différence de ses concurrents Pfizer, AstraZeneca ou encore Johnson & Johnson, Sanofi est en retard sur ses deux projets de vaccins anti-Covid, qui ne peuvent espérer une mise sur le marché avant la fin de cette année, voire le début de l’an prochain.

Sanofi est un usual suspect en la matière : l’an dernier, un rapport d’Oxfam avait pointé que le laboratoire français était le groupe du CAC40 qui avait distribué le plus de dividendes (48,4 milliards d’euros) sur la période 2009-2018, juste derrière Total (59,6 milliards). Mais cette fois, les profits réalisés par Sanofi sont en fait en grande partie alimentés par un résultat exceptionnel produit par la vente de sa participation dans une société de biotechnologie américaine, Regeneron. Sur cette opération, Sanofi réalise une culbute de 7,7 milliards d’euros, ce qui permet le versement d’un dividende conséquent à ses chers actionnaires.

Dans le secteur du médicament, aujourd’hui et sans doute plus encore demain, le développement de nouvelles molécules ou de nouveaux vaccins reposera sur la recherche en interne ou en externe. Or, dans ces deux domaines, le laboratoire français opte pour des choix qui risquent de creuser son retard.
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Cette opération et l’affectation des bénéfices posent deux questions de fond. Sanofi a taillé dans ses effectifs de recherche, qui ont perdu 1 400 postes au cours des dix dernières années. Or, l’avenir d’un laboratoire repose sur deux piliers : ses services internes de recherche et développement et, de plus en plus, sur les sociétés de biotechnologie qu’il peut acquérir. Si Pfizer a été le premier à mettre sur le marché un vaccin contre le Covid-19, c’est en raison de son association avec la société allemande BioNtech.

En vendant ses actions dans Regeneron, le laboratoire français envoie donc un signal on ne peut plus négatif à ses 100 000 salariés à travers le monde, dont 25 000 en France qui se sont vus signifier un plan d’économie et la suppression de 1 000 postes, dont 400 dans la recherche. La démarche peut également s’interpréter comme un acte de défi à l’égard du gouvernement français et de l’Union européenne qui, par le système de précommandes de 300 millions de doses de vaccins, ont pourtant apporté un soutien financier important à Sanofi et à son associé, le laboratoire GSK.

Enfin, en choisissant de cumuler plus-value maximale et plan d’économie drastique, Sanofi privilégie le court terme et insulte quelque peu l’avenir. D’ailleurs Regeneron est justement la société qui a contribué à la mise au point de son médicament vedette : le Dupixent, utilisé dans le traitement de l’asthme. Dans le secteur du médicament, aujourd’hui et sans doute plus encore demain, le développement de nouvelles molécules ou de nouveaux vaccins reposera sur la recherche en interne ou en externe. Or, dans ces deux domaines, le laboratoire français opte pour des choix qui risquent de creuser son retard. Plutôt fâcheux pour une entreprise longtemps considérée comme un fleuron français dans son domaine.