Industrie pharmaceutique

Médiapart - Essai de Rennes : ouverture d’une information judiciaire

Juin 2016, par Info santé sécu social

Le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire dans l’affaire de l’essai clinique mené à Rennes par le laboratoire Biotrial sur la molécule BIA 10-2474, au cours duquel un volontaire de 49 ans, Guillaume Molinet, a trouvé la mort le 17 janvier dernier.

Le parquet de Paris a décidé d’ouvrir une information judiciaire dans l’affaire de l’essai clinique mené à Rennes par le laboratoire Biotrial, au cours duquel un volontaire de 49 ans, Guillaume Molinet, a trouvé la mort le 17 janvier dernier. Dans un communiqué du 14 juin, le pôle de santé publique du parquet de Paris annonce l’ouverture de cette information judiciaire « contre personne non dénommée des chefs d’homicide involontaire et blessures involontaires ».

L’instruction devra déterminer « si des fautes de nature pénale ont contribué de manière certaine aux décès et blessures des victimes ou si les faits s’inscrivent dans le cadre d’un aléa scientifique ».

Maître Jean-Christophe Coubris, l’avocat de la famille de Guillaume Molinet, joint par Mediapart, a exprimé sa « satisfaction » et son « soulagement » à propos de l’ouverture d’une information judiciaire, qui va permettre une enquête approfondie menée par un magistrat indépendant. Jean-Christophe Coubris regrette cependant que le parquet ait avancé l’hypothèse d’un « aléa », autrement dit d’un « accident relevant de la fatalité » et ne mettant pas en cause la responsabilité de Biotrial. « Au vu des éléments dont nous disposons, il nous paraît difficile d’émettre cette hypothèse », estime-t-il.

Selon le communiqué du parquet, « la molécule-test apparaît en cause mais le mécanisme physiopathologique déclenché demeure encore inconnu à ce jour ». Le parquet insiste sur le fait que la molécule a entraîné des effets très différents sur les six volontaires de la cohorte dont faisait partie Guillaume Molinet. Si ce dernier n’a pas survécu, quatre autres ont eu des effets secondaires très graves, dont les séquelles continuent de se manifester, et un volontaire est resté indemne. Pour le parquet, cette variabilité pourrait être due à des « facteurs endogènes, propres à chaque volontaire de la cohorte ».

En particulier, le parquet révèle que « la victime décédée était porteuse, bien avant sa participation à l’essai, d’une pathologie vasculaire endocrânienne occulte, susceptible d’expliquer l’issue fatale ». D’après nos informations, cette pathologie, découverte à l’autopsie, serait une angiopathie amyloïde. Selon un neurologue interrogé par Mediapart, il s’agit d’une maladie des vaisseaux dans laquelle des protéines se déposent sur la paroi interne des vaisseaux sanguins, ce qui tend à rétrécir la lumière de ces vaisseaux et, à terme, à les obstruer.

Cette maladie est cependant très progressive et ne produit en général pas de symptômes avant 75 ans 3, selon le Cervco (Centre de référence des maladies vasculaires rares du cerveau et de l’œil). Pour le spécialiste que nous avons interrogé, même si cette pathologie était présente, « elle n’est pas la cause de l’accident ; les lésions de la victime sont dues à un problème de rupture de la barrière hémato-encéphalique, ce ne sont pas ces dépôts qui l’ont entraînée ».

Le communiqué du parquet laisse entendre que la mort de Guillaume Molinet pourrait avoir été causée par cette pathologie, qui n’avait pas été diagnostiquée avant. Pour Jean-Christophe Coubris, « seule la molécule administrée aux volontaires sains est à l’origine des lésions cérébrales que l’on retrouvera chez tous les volontaires victimes de cet essai thérapeutique ». L’avocat estime aussi qu’il « reste à prouver » que la pathologie détectée à l’autopsie « aurait pu aggraver les conséquences de l’hémorragie ».

Le parquet met en avant les conclusions de l’autopsie de Guillaume Molinet, qui – pour des raisons non expliquées – n’avaient pas été divulguées jusqu’ici ; mais il ne propose aucune explication au fait que l’un des volontaires n’a pas été malade, alors qu’il a été exposé à la même dose que ses compagnons accidentés. De manière surprenante, le parquet n’évoque nullement le fait que Molinet a été hospitalisé une journée après avoir présenté des symptômes qui évoquaient une atteinte cérébrale, et ne mentionne pas davantage que d’autres volontaires ont présenté avant des symptômes moins graves, mais qui pouvaient et devaient aussi alarmer (lire nos articles ici et là). Il ne contient pas davantage d’allusion au fait que le propre médecin de garde de Biotrial a fait hospitaliser Guillaume Molinet, le soir du dimanche 10 janvier, en indiquant que la symptomatologie qu’il avait manifestée était « possiblement en lien avec le produit administré » (voir notre article).

En résumé, le parquet ne semble pas avoir pris connaissance des dossiers médicaux des patients, ou du moins en avoir tiré les conséquences évidentes. Par ailleurs, le communiqué du parquet estime que les études effectuées sur les animaux « ne semblaient pas pouvoir, en l’état des investigations, laisser présager les effets indésirables tels qu’apparus chez l’être humain ». Or, comme l’avait révélé en avril Le Figaro 3, un évaluateur de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) avait alerté sur les risques pour le cerveau de la molécule testée, le BIA 10-2474 du laboratoire portugais Bial, et cela avant même que l’essai commence. Une enquête interne de l’ANSM a montré que cette alerte avait été ignorée (lire notre article).

Le cabinet Coubris souligne d’autre part que le rapport des experts du CSST (le comité scientifique spécialisé nommé par l’ANSM pour rechercher les causes de l’accident), pas plus que le rapport de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales), n’ont apporté d’explications. Au contraire, « leurs contradictions et les zones d’ombre plongent la famille dans un profond désarroi », estime le cabinet Coubris.

Le communiqué du parquet n’apporte pas davantage d’éclaircissements et ignore les lacunes flagrantes de l’ANSM, du rapport du CSST et de celui de l’Igas. Pour les victimes et leurs familles, le seul espoir d’apprendre enfin la vérité sur cet accident sans précédent repose désormais sur l’enquête indépendante du juge d’instruction.