Industrie pharmaceutique

Médiapart - Sanctions en série chez Sanofi après la grève : la CGT et SUD dénoncent une « répression syndicale »

Février 2023, par Info santé sécu social

Procédures de licenciement, convocations et lettres de recadrage : depuis la fin de la grève pour les salaires chez Sanofi, des dizaines de salariés sont visés par des avertissements ou des sanctions. Les plus graves, la menace d’un licenciement, concernent surtout des syndicalistes.

Cécile Hautefeuille

2 février 2023

Deux syndicalistes sous le coup d’une procédure de licenciement, deux autres menacées de l’être. Un élu bientôt convoqué à un entretien préalable et un autre frappé d’un courrier de sanction. Un ex-gréviste, non syndiqué, licencié. Et des dizaines de « lettres de recadrage », envoyées à des salarié·es de plusieurs sites Sanofi en France.

Depuis le mouvement de grève portant sur les salaires chez Sanofi, en fin d’année 2022, la CGT et SUD assistent, hébétés, à une succession de sanctions visant leurs rangs ou des salarié·es grévistes non élu·es. Les deux organisations dénoncent une « répression syndicale » et « une véritable attaque contre le droit de grève ». Au total, sept salarié·es sont actuellement sanctionné·es ou inquiété·es de l’être, sur quatre sites du géant français du médicament.

Au plus fort du conflit, entre mi-novembre et mi-décembre, une quinzaine de sites du groupe avaient été touchés par le mouvement social.

Sollicitée par Mediapart, la direction du groupe réfute mener toute répression : « Il ne s’agit en aucun cas d’atteintes au droit de grève mais de procédures engagées au regard d’abus constatés et avérés dans le cadre d’un exercice anormal de ce droit par leurs auteurs. » Sanofi avance le caractère « illicite constaté par huissier » de certains blocages pour justifier les procédures de licenciements.

Pour les syndicats, ce sont en réalité de simples « faits de grèves » qui sont réprimés. « Le patronat entend envoyer un message clair aux salariés : “Taisez-vous et bossez sans vous plaindre, ou sinon…” », écrit la CGT dans un communiqué.

« La direction frappe très fort, on n’a jamais vu ça », commente Marion Layssac, syndicaliste SUD Chimie, salariée chez Sanofi Montpellier depuis dix-huit ans. La direction envisage de prononcer à son encontre « une sanction disciplinaire pour des faits constitutifs d’une faute lourde ». Sa collègue Sandrine Caristan, chercheuse depuis plus de trente ans sur le site montpelliérain et déléguée syndicale SUD, est dans la même situation.

« On va se battre ! »
Ce jeudi 2 février, elles ont été convoquées à un entretien préalable et attendent désormais de savoir si la direction va les licencier. Pour les soutenir, une cinquantaine de personnes se sont rassemblées devant l’entrée principale du site à la mi-journée. « Ce matin, à l’intérieur, il y avait aussi une bonne centaine de salariés réunis », relate Marion Layssac, qui apprécie le geste.

« On nous reproche des blocages du début à la fin du conflit. Mais il n’y a eu qu’un seul constat d’huissier, le dernier jour, juste avant la levée du piquet de grève », ajoute-t-elle, amère. « La direction nous reproche aussi une “participation active” au mouvement », poursuit Sandrine Caristan. Qui ironise : « Eh bien oui, c’est ce qui se fait dans l’exercice du mandat syndical ! »

Les deux femmes balaient le grief du blocage. Le piquet de grève n’entravait, selon elles, aucune livraison urgente, contrairement à ce qu’affirme le groupe. Le 6 décembre dernier, en plein mouvement de grève, Sandrine Caristan l’avait déjà affirmé à Mediapart : « Ici, on ne bloque rien ! On est devant l’entrée des livraisons, mais il y a quatre entrées, au total, sur le site, dont deux accessibles aux camions. Il ne faut pas exagérer ! »

Les syndicalistes brandissent un dernier argument « qui va compliquer la vie de la direction ». « Un procès-verbal du CSE [comité social et économique – ndlr] cite les propos d’un responsable [de l’un des bâtiments du site – ndlr] assurant que tous les patients ont reçu leurs traitements pendant la grève », détaille Marion Layssac.

Si elle se dit « stressée » par la menace d’un licenciement, la syndicaliste reste « combative ». « On va se battre ! », lance aussi au micro Sandrine Caristan, face à ses collègues rassemblé·es.

À Montpellier, un salarié a déjà été licencié, il y a quelques semaines. Non syndiqué, il était gréviste « du début à la fin du mouvement », souligne Marion Layssac. « Il s’était déjà vu reprocher des choses avant le conflit social, comme le fait de ne pas dire bonjour. Il a été convoqué juste après la grève. Il y a des tartines sur son comportement dans sa lettre de licenciement et des reproches sur des problèmes liés à des notes de frais. »

Toujours sur le site héraultais, quinze autres salarié·es ont reçu des « lettres de recadrage ». Sur l’une d’elles, que Mediapart a pu consulter, il est indiqué que des blocages « assurés par plusieurs salariés et par roulement […] ont entravé des livraisons et des expéditions du site […] Or, votre participation personnelle à ce mouvement illicite a été relevée par procès-verbal. Nous tenons dès lors à vous rappeler formellement par le présent courrier quels sont vos droits et vos obligations dans le cadre de la participation à un conflit collectif ».

Selon la CGT, des courriers du même type ont également été envoyés à des ex-grévistes du Val-de-Reuil, dans l’Eure. Au sein du syndicat, comme chez SUD, on s’interroge : si d’autres noms ont été relevés par huissiers, comment expliquer que seul·es des syndicalistes soient menacé·es de licenciement ?

Ces salariés-là ne faisaient que défendre des revendications. Ce n’était pas pour leur pomme mais pour un collectif

Jean-Louis Peyren, délégué syndical central CGT
Sur le site Sanofi du Trait, en Seine-Maritime, deux cégétistes – et eux uniquement – sont ainsi sous le coup d’une procédure de licenciement pour faute lourde. Elle a été prononcée début janvier mais n’est pas effective. L’inspection du travail doit en effet autoriser, ou non, ces licenciements, comme le veut la procédure pour les salarié·es protégé·es, du fait de leur fonction représentative dans l’entreprise. Si l’inspection du travail valide ce licenciement, un dernier recours est encore possible auprès du ministère du travail.

« Les procédures en cours sur le site du Trait sont la conséquence des blocages organisés en marge du mouvement social », indique Sanofi à Mediapart. « Les agissements [de ces salariés] ont systématiquement été constatés par un huissier et quatre décisions de justice ont déjà reconnu le caractère illicite de ces blocages, qui ont perturbé la fabrication et la livraison de médicaments reconnus d’intérêt thérapeutique majeur et donc essentiels pour les patients. »

« On est au XXIe siècle, on pourrait penser que les méthodes des patrons seraient plus évoluées… mais non », commente Jean-Louis Peyren, délégué syndical central CGT. Il rejette sèchement les arguments de la direction. « Au Trait, il faut donc considérer que seules deux personnes ont permis les blocages, étant donné que ce sont les seules visées ? Et alors qu’il y a trois entrées sur le site ? Ce serait risible si ce n’était pas dramatique ! »

Plus grave, il poursuit : « Ces salariés-là ne faisaient que défendre des revendications. Ce n’était pas pour leur pomme mais pour un collectif. » Il se dit très inquiet de voir que la direction de Sanofi veut « mater la rébellion », en s’en prenant aux élu·es. « Quand vous vous engagez syndicalement, cela veut dire que vous engagez votre famille ? Car la perte d’un emploi, c’est toute la famille qui en subit les conséquences. »

Devant le site Sanofi de Montpellier, la liste des sanctions prononcées à l’encontre de salarié·es depuis plusieurs semaines a été égrenée ce jeudi midi, au micro, devant une assistance silencieuse. Le cas d’un élu CGT d’Ambarès-et-Lagrave en Gironde a été cité. Il a reçu un courrier de sanction pour avoir manqué deux fois de suite une visite médicale. « La première fois il s’est excusé et la seconde, il était en grève et avait prévenu », indique Marion Layssac.

Un autre cégétiste est quant à lui convoqué à un entretien préalable avant sanction pouvant aller jusqu’au licenciement le 7 février prochain, à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). Un rassemblement est d’ores et déjà prévu pour le soutenir.

Cécile Hautefeuille