Industrie pharmaceutique

Médiapart - Vaccin contre le Covid-19 : le coup de bluff de Sanofi, à la traîne

Janvier 2021, par Info santé sécu social

18 JANVIER 2021 PAR ROZENN LE SAINT

Les doses d’un vaccin Sanofi n’arriveront pas avant fin 2021, un an après celles de Pfizer-BioNTech et de Moderna. Un retard attribué à de premiers résultats d’efficacité insuffisants. Sanofi en vise de meilleurs, sans quoi la firme perdrait les 300 millions de doses précommandées par l’Europe, négociées à grands coups de communication.

D’un côté, pas assez de doses. De l’autre, pas de vaccin du tout. Pfizer-BioNTech peine à tenir la cadence de production pour honorer ses commandes de vaccins en Europe. À la suite de la panique suscitée par l’annonce de retards de livraison sur le Vieux Continent le 15 janvier, le binôme américano-germanique a indiqué le lendemain que le ralentissement affecterait cette semaine du 18 janvier seulement. 140 000 doses de moins seront acheminées.

La firme Sanofi, elle, en est toujours aux premières phases de tests d’efficacité et de sûreté de son sérum. Pour le fleuron français, la comparaison fait mal. Le 11 décembre, alors que le vaccin de Pfizer-BioNTech est déjà autorisé au Royaume-Uni, Sanofi doit avouer que les résultats des premières phases des essais cliniques de son vaccin développé avec le britannique GSK montrent que l’efficacité chez les personnes les plus âgées, celles qui risquent le plus de développer une forme grave de Covid-19 donc, est insuffisante.

Il faut alors retravailler les dosages du vaccin et reprendre les premières phases d’expérimentation sur les humains débutées le 3 septembre 2020. Quatre mois de perdus dans cette course mondiale effrénée au bouclier anti-Covid. Il a fallu s’y résoudre, de peur de se faire rembarrer par les 27 États membres de l’Union européenne (UE).

Parmi les six contrats passés entre la Commission européenne et les fabricants de vaccins, celui de Sanofi est le seul qui ne comprend pas une précommande ferme de doses de vaccins à condition d’obtenir une autorisation de mise sur le marché. « Le contrat de Sanofi prévoit une clause de revoyure de confirmation de la précommande de 300 millions de doses sur la base des résultats cliniques. Il s’agit donc à ce stade d’une option », précise le ministère délégué chargé de l’industrie à Mediapart.

Comme si, dès le départ, les 27 avaient placé moins d’espoirs en ce compétiteur qu’en les autres, sans vouloir le disqualifier d’emblée, l’autorisant à jouer dans la même catégorie, et donc à maintenir l’illusion, pour ses actionnaires, d’être en mesure de franchir la ligne d’arrivée dans un temps comparable aux premiers. Pour que les doses de vaccins Sanofi-GSK soient fermement précommandées, il faut que les résultats des premières phases d’essais cliniques destinées à vérifier l’innocuité et l’efficacité du vaccin avant de le tester à plus large échelle soient probants.

Il y a des limites à signer des chèques en blanc. Le 18 septembre, la Commission européenne choisit Sanofi pour conclure son deuxième contrat de précommandes de 300 millions de doses, alors que l’entreprise pharmaceutique commence tout juste les premières phases de ses essais cliniques. Certes, Sanofi figure dans le top 5 mondial de la vente de vaccins. Mais qu’est-ce qui prouve que celui sur lequel il mise le plus contre le Covid-19, avec GSK, sera efficace ?

Quatre mois plus tard, la question se pose toujours. Pourtant, depuis le printemps 2020, Sanofi fait monter la pression pour accéder à ces précieux contrats européens, en plus des aides financières américaines. Paul Hudson, PDG de Sanofi, avait choqué les Français en annonçant qu’il réserverait aux Américains ses premiers vaccins contre le Covid-19 fabriqués aux États-Unis. Et ce, en échange des centaines de millions d’euros versés par la Maison Blanche pour sa recherche (lire aussi Vaccin contre le Covid-19 : la toute-puissance de l’industrie pharmaceutique). Il avait appelé l’Europe à « ne pas se laisser distancer ».

Message reçu, le coup de pression fonctionne. Le vaccin, lui, se fait toujours attendre. « Invoquer le principe du premier payeur, premier servi, est d’un cynisme absolu. Sanofi a voulu se rappeler aux bons souvenirs de l’Europe pour obtenir des précommandes, même s’il n’avait même pas encore l’embryon de l’ombre d’une piste d’un vaccin Covid-19. C’était un coup de bluff », analyse Fabien Mallet, coordinateur adjoint CGT Sanofi.

L’esbroufe peut rapporter gros. En décembre, la secrétaire d’État au budget diffuse sur Twitter le prix d’achat de chaque candidat vaccin, malgré les clauses de confidentialité prévues dans les contrats (voir aussi Efficacité, prix, risques… la course effrénée aux vaccins contre le Covid-19)… Avant de supprimer sa publication. À 7,56 euros la dose du sérum Sanofi-GSK, 2,2 milliards d’euros entreraient dans leurs caisses.

« La sécurisation de doses dans le cadre des six premiers contrats s’est faite à une période où les données cliniques étaient encore largement inaccessibles pour tous les vaccins », justifie le ministère délégué chargé de l’industrie à Mediapart. Sauf qu’il faudra attendre le 11 novembre 2020 pour que la Commission européenne signe avec Pfizer-BioNTech une précommande initiale pouvant aller jusqu’à 300 millions de doses. L’équipe américano-germanique est pourtant en train de finaliser les résultats de la toute dernière étape de ses essais cliniques.

Elle en a même communiqué les résultats préliminaires deux jours auparavant . D’ailleurs, ce vaccin a finalement été le premier au monde approuvé par les autorités sanitaires : il l’a été le 21 décembre en Europe. Encore aujourd’hui, c’est le seul, avec celui de Moderna, à être distribué sur le continent.

Au mieux, pour celui de Sanofi, ce sera un an plus tard. Comment le fleuron tricolore a-t-il pu faire croire si longtemps qu’il avait sa place dans le peloton de tête ? Le 18 décembre, une semaine après l’annonce de la confirmation du retard pris par Sanofi, l’hebdomadaire allemand Der Spiegel sous-entend que la France a fait pression sur la Commission européenne pour qu’elle privilégie Sanofi plutôt que Pfizer-BioNTech. Avec pour conséquences, compte tenu du retard du laboratoire français, de prévisibles tensions d’approvisionnement en doses de vaccins au moment du lancement de la campagne vaccinale sur le Vieux Continent.

« Les politiques défendent leur industrie. C’était de bonne guerre de la part du gouvernement français de mettre en avant le candidat vaccin de Sanofi, même s’il a toujours été un peu en retard, d’autant que cela arrive parfois qu’une entreprise pharmaceutique le rattrape au final, si un effet indésirable grave a lieu au cours des essais cliniques d’un concurrent par exemple », estime Antoine Flahault, épidémiologiste et professeur de santé publique à la faculté de médecine de Genève. Cela n’a pas été le cas.

« Le nombre de doses contractées pour chaque candidat vaccin dépend d’un certain nombre de critères objectifs définis dans la stratégie de l’UE pour les vaccins, cela n’a rien à voir avec la nationalité des fabricants », répond la Commission européenne à Mediapart.

Quant à Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’industrie, elle avait réagi à cette accusation de lobbyisme sur Twitter : « Comment expliquez-vous dans ce cas que les contrats passés avec AstraZeneca, CureVac (entreprise allemande) et Janssen [Johnson & Johnson – ndlr] comportent plus de doses que celles commandées à Sanofi ? » En l’occurrence, environ 400 pour chacun des trois fabricants mentionnés, en comptant les options de doses supplémentaires prévues.

Début janvier, les médias allemands relaient le fait que Berlin tente d’acheter des doses en plus de piqûres Pfizer-BioNTech en solo, alors que l’initiative européenne d’achats groupés vise à éviter que les États jouent une partition personnelle, au nom de la solidarité communautaire.

Pour clore la polémique, le 8 janvier, la Commission européenne conclut elle-même un nouvel accord avec Pfizer-BioNTech afin de doubler le nombre de vaccins réservés aux Européens, portant l’acquisition à 600 millions en tout. Le duo pharmaceutique s’est alors bien gardé de communiquer sur ses retards de livraison à venir en Europe : il l’a fait une semaine après avoir signé, seulement. Il ne suffit pas d’accepter les commandes supplémentaires, encore faut-il que le rythme de production suive.

Sanofi sous-traitant de ses concurrents ? « Une bonne façon de sortir la tête haute de tout ça »
Entre le besoin de produire davantage des uns et les chaînes de Sanofi à l’arrêt compte-tenu du retard pris, un lien peut-il être établi ? Pourquoi ne pas mettre à profit l’outil de production de la firme française pour ses concurrents, qui peinent à suivre le rythme de la demande mondiale, au nom de l’intérêt public ?

Agnès Pannier-Runacher a incité Sanofi à se poser la question. Tout comme les syndicats, dès décembre. « Nous préférerons fabriquer nos vaccins plutôt que ceux de la concurrence mais vu le contexte, c’est à étudier puisque, pour l’heure, la production est à l’arrêt », rapporte Jean-Marc Burlet, coordinateur CFE-CGC de Sanofi.

La direction a bien recruté fin 2020 une centaine de personnes sur les 113 prévues à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), où sera produit le futur vaccin Sanofi-GSK. Les 50 embauches à Marcy-l’Étoile (Rhône), dédiées au remplissage et au packaging, sont également confirmées. « Comment Sanofi pourrait expliquer avoir les capacités de produire son propre vaccin et pas celui d’un autre ? », interroge Fabien Mallet, de la CGT.

« Les sites industriels de Sanofi étaient en ordre de bataille pour commencer à produire à large échelle son vaccin en ce début d’année, confirme William Briant, délégué syndical central CFDT Sanofi Pasteur et technicien de maintenance sur le site de Val-de-Reuil (Eure). Nous serions prêts à assurer la dernière étape de fabrication de vaccins de nos concurrents, le façonnage, en devenant leur prestataire. Plus il y aura de doses disponibles, quel que soit le nom inscrit sur la seringue, et plus vite on sortira de cette pandémie. La direction de Sanofi ne devrait-elle pas mettre son ego de côté en période de crise sanitaire ? »

« Notre priorité est de mettre notre science au service de cette pandémie. Nous pouvons le faire avant tout en développant nos candidats vaccins, répond Sanofi à Mediapart. En parallèle, compte-tenu des circonstances uniques de cette crise, nous étudions des possibilités supplémentaires pour contribuer à la lutte contre la pandémie et aider les populations. Cela comprend une évaluation de la faisabilité technique de l’utilisation de certains de nos actifs pour fabriquer d’autres vaccins. À ce stade, c’est encore très préliminaire, car les technologies de fabrication sont très spécifiques à chaque vaccin. Une fois l’évaluation de faisabilité terminée, nous saurons si cette opportunité peut être efficacement mise en œuvre. »

Le ton a changé depuis le printemps 2020, quand Paul Hudson, directeur général de Sanofi, expliquait dans un courriel interne daté du 14 avril la collaboration avec le laboratoire britannique GSK en ces termes : « La coopération entre deux grandes sociétés pharmaceutiques n’est pas courante et je ne suis pas sûr qu’il y a à peine deux mois, nous aurions envisagé un partenariat comme celui-ci. Mais le Covid-19 nous oblige à remettre en question le statu quo. »

« Devenir un simple sous-traitant d’un concurrent serait un camouflet pour Sanofi », traduit Sandrine Caristan, membre de Sud Chimie. Légalement, pourtant, c’est possible. AstraZeneca, par exemple, sous-traite au Serum Institute of India la production de millions de doses. Le laboratoire britannico-suédois s’estime alors en mesure de fournir trois milliards de piqûres en 2021. Parmi les producteurs sur lesquels la Commission européenne mise, c’est celui qui a la plus forte capacité de production. L’autorisation de son vaccin par l’Agence européenne du médicament est attendue d’ici au 29 janvier.

Dans l’univers de Big Pharma, Sanofi qui produirait pour ses concurrents, ce serait du jamais vu. L’option est-elle crédible ? « Que des fabricants de génériques [les copies des médicaments de marques – ndlr] fabriquent pour le compte des détenteurs d’un brevet, c’est commun, mais qu’une entreprise pharmaceutique produise pour le compte d’un de ses concurrents qui accepterait de lui livrer quelques-uns de ses secrets industriels, ce serait très étonnant », commente Pauline Londeix, cofondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament.

À défaut d’être capable, techniquement, de produire les premières étapes, les plus délicates et secrètes, « Sanofi pourrait au moins servir de façonnier, en bout de chaîne, de sous-traitant pour accélérer la mise en flacon des produits », assure Nathalie Coutinet, coautrice d’Économie du médicament (La Découverte, 2018).

Antoine Flahault, épidémiologiste et professeur de santé publique à la faculté de médecine de Genève, estime que « ça serait une bonne façon de sortir la tête haute de tout ça ». Il a même soufflé l’idée aux sénateurs le 13 janvier, lors de son audition sur la stratégie vaccinale. « Vous avez un magnifique laboratoire. Ce serait une bonne chose qu’il participe à fabriquer les armes pour tuer le virus, même si ce ne sont pas des armes totalement made in France. Il faudrait quatre ou cinq mois pour préparer une telle chaîne de mise en flacon », estime-t-il. Alain Fischer, le Monsieur vaccin du gouvernement, a indiqué au Parisien être également favorable à cette option.

« Le problème, c’est que l’État n’ose pas mettre la pression sur Sanofi pour l’obliger à le faire », dénonce Fabien Mallet, coordinateur adjoint CGT Sanofi. Et ce, alors que, chaque année, Sanofi perçoit une centaine de millions d’euros d’argent public au titre du crédit d’impôt recherche (lire aussi Vaccin contre le Covid-19 : la toute-puissance de l’industrie pharmaceutique). Interrogé par Mediapart, le ministère délégué chargé de l’industrie précise simplement qu’« en temps normal un transfert technologique prend 12 à 18 mois. L’enjeu est donc de repérer les projets susceptibles de déboucher le plus rapidement ».

Comment en est-on arrivé là ? Comment expliquer un tel retard ? « Ce n’est pas une compétition entre laboratoires mais contre le Covid-19 », répond Sanofi à Mediapart. Dans son communiqué du 11 décembre 2020, le leader mondial de la vaccination attribue la mauvaise réponse immunitaire rencontrée lors de ses expérimentations à « une concentration insuffisante d’antigènes ».

En interne, les équipes de Sanofi sont très déçues. « Les collègues se font rentrer dedans à deux niveaux. Par les antivax, mais aussi par ceux qui attendaient le vaccin et qui nous demandent ce qu’on a fait. Certains ont honte et n’indiquent même plus où ils travaillent, sur les réseaux sociaux comme LinkedIn ou autres », souffle Fabien Mallet.

Il travaille au contrôle qualité sur le site de production de vaccins de Neuville-sur-Saône (Rhône). Lui explique ce retard par des causes bien plus profondes, comme la coupe dans les effectifs de R&D les dix dernières années. Selon la direction, Sanofi compte aujourd’hui 10 000 chercheurs dans le monde et 4 100 en France, soit respectivement 9 % et près de 23 % de moins qu’en 2011.

« Du fait de la destruction de la R&D, on est à la ramasse. Il y a eu un raté dans le processus d’essais cliniques. On n’a pas mis les moyens humains pour sécuriser les dosages. On ne sait même pas combien de personnes travaillent dessus », regrette le représentant de la CGT.

Interrogée par Mediapart, la direction répond qu’en tout, plus de 10 000 salariés de Sanofi travaillent sur le projet de vaccin contre le Covid-19. Soit 10 % de ses effectifs totaux dans le monde. Une telle mobilisation paraît difficile à croire pour les différents syndicats représentatifs dans l’entreprise.

Surtout, alors que le monde de la recherche scientifique est en ébullition pour trouver des réponses à cette pandémie, Sanofi prévoit encore un plan de départs volontaires de 400 salariés de la R&D dans les trois prochaines années, selon les syndicats. La direction admet simplement que « les processus sociaux concernant la R&D [évoqués] démarrent comme prévu au premier trimestre 2021 ». La CGT, suivie par la CFDT, la CFE-CGC, FO et Sud Chimie, appelle à la grève ce 19 janvier pour dénoncer cette diminution des effectifs, ainsi que les négociations salariales en cours.

Son représentant, Fabien Mallet, regrette que Sanofi, en tant que leader mondial de la vaccination, n’ait pas su saisir le virage de l’ARN messager (lire aussi Vaccins ARN : innovation virale). « Cette technologie est celle de l’avenir, c’est une piste importante pour soigner les cancers également, mais Sanofi a choisi de ne pas miser sur son développement en interne. Alors, ces dernières années, des chercheurs sont partis dans des entreprises concurrentes », assure-t-il.

L’ancien directeur de l’oncologie de Sanofi, Tal Zaks, est à présent médecin en chef de Moderna, dont le vaccin à ARN est le deuxième à avoir été autorisé en Europe le 6 janvier. Corinne Le Goff, qui a également fait ses classes chez Sanofi, est devenue directrice commerciale de Moderna. Elle ne fait « aucun commentaire sur [les] concurrents ».

Depuis le début de la crise sanitaire, Sanofi communique essentiellement sur son principal projet de vaccin contre le Covid-19, celui développé en partenariat avec GSK. Toutefois, l’entreprise s’est aussi positionnée sur le créneau ARN, mais pas en interne. À la place, elle a sous-traité la recherche à une start-up américaine spécialisée dans les biotechnologies, Translate Bio, comme cela se fait de plus en plus dans le secteur pharmaceutique. À l’image de Pfizer, qui s’est allié au Petit Poucet BioNTech. Le géant américain a ainsi doublé Sanofi, qui avait noué un partenariat avec BioNTech dès 2019, mais sur le secteur de l’oncologie.

« On se demande si Sanofi a mesuré les attentes face à l’ampleur de cette crise sanitaire. Sanofi aurait dû s’investir davantage dans son partenariat avec Translate Bio qui développe la technologie ARN. Le fait qu’il ait été noué en 2018 était l’occasion d’être dans la course mais finalement, depuis, Sanofi l’a fait vivoter et résultat, on va arriver un an après les premiers », regrette Fabien Mallet.

Pour ce deuxième candidat vaccin, Sanofi vise aussi une potentielle autorisation de mise sur le marché à la fin de 2021. C’est cette petite structure qui maîtrise les connaissances et le savoir-faire de l’ARN messager, pas Sanofi. La direction prévoit que « la production initiale [ait] lieu sur les sites de fabrication de Translate Bio au Massachusetts ».

« Sanofi a fait le choix de développer en interne une technologie qu’il connaissait bien. Il est très frileux sur les biotech. La stratégie financière prime au détriment de l’innovation », analyse aussi l’économiste de la santé Nathalie Coutinet. « Sanofi a surtout misé sur la technologie qui demandait le moins d’investissements en R&D. Or ce n’est pas parce qu’on a un vaccin contre la grippe saisonnière que la technique utilisée va fonctionner sur le Covid-19. La science ne se commande pas avec l’argent », déplore Fabien Mallet.

Pour Sanofi, pas question d’abandonner la course au vaccin
D’ailleurs, les résultats présentés en décembre sont si décevants que Sanofi-GSK reconnaît devoir lancer une nouvelle étude, « qui devrait débuter en février 2021 », dans l’espoir d’être en mesure de présenter un meilleur rapport à la Commission européenne. Si elle ne les estime pas suffisants, « les États membres sont désengagés de tout paiement à venir », précise à Mediapart le ministère délégué chargé de l’industrie.

Cela vaut-il encore la peine, à ce stade, de persister ? Pas question d’abandonner car, dans ce cas, Sanofi devrait rembourser l’avance reçue de la part de la Commission européenne. Si les États membres paient les laboratoires une fois les doses de vaccins livrées seulement, la Commission européenne, elle, aide financièrement les fabricants bien en amont. Elle a débloqué une enveloppe de 2,7 milliards d’euros pour soutenir la recherche et inciter les laboratoires à commencer à produire leurs doses avant même de connaître l’efficacité de leur produit.

« La Commission finance une partie des coûts initiaux supportés par les producteurs de vaccins grâce à notre instrument d’aide d’urgence. Cette approche permet de diminuer les risques pour les entreprises, tout en accélérant et en augmentant la capacité de fabrication. Ce financement est considéré comme un acompte sur les vaccins qui seront effectivement achetés par les États membres », précise la Commission européenne. Ni elle, ni Sanofi, ni le ministère délégué chargé de l’industrie n’ont accepté d’indiquer à Mediapart à combien s’élève ce montant déjà versé à Sanofi.

Suffisamment élevé pour ne pas laisser tomber a priori. « Un abandon de l’entreprise donne lieu, de la même manière que la non-obtention de l’autorisation de la mise sur le marché, à la clôture anticipée du contrat, avec des conséquences similaires : nous sommes désengagés de tout paiement à venir et, pour l’acompte déjà versé, cela donne lieu soit au remboursement (partiel ou intégral, selon les cas) de l’acompte versé, soit, selon les contrats, à un transfert par l’entreprise du matériel acheté et des réservations de capacité de production chez des sous-traitants, que nous pourrions alors allouer à d’autres projets de vaccin », détaille le ministère délégué chargé de l’industrie.

Aux précisions demandées, Sanofi renvoie la balle à la Commission européenne, et vice versa. La firme a pourtant indiqué à Mediapart : « Les termes spécifiques de l’accord complet avec la Commission européenne sont actuellement confidentiels, cependant, nous sommes ouverts – en accord avec la Commission européenne et notre partenaire GSK – à divulguer une version expurgée de l’accord avec les députés européens. » Le laboratoire allemand CureVac a été le premier à accepter de montrer aux eurodéputés qui le souhaitent une version expurgée du contrat passé avec les 27. Le 11 janvier, Pascal Canfin (Renew), qui le demandait depuis la fin de l’été, a enfin pu lire ce que CureVac a bien voulu montrer.

Il y a eu accès dans une salle de lecture pour 45 minutes, après avoir déposé son téléphone portable à l’entrée. Sauf que des parties concernant le régime de responsabilité et d’indemnisation en cas de survenue d’effets secondaires graves à la suite de l’inoculation du vaccin ou encore le partage des droits de propriété intellectuelle, par exemple, ont été noircies… « La Commission est disposée à rendre le contrat disponible dans son intégralité, mais cela dépend du résultat des discussions avec l’entreprise », précise la porte-parole en France de la Commission européenne.

Quoi qu’il en soit, pour le gouvernement, la question de l’abandon de Sanofi n’est pas non plus à l’ordre du jour. Le ministère délégué chargé de l’industrie estime qu’« il y a plus de 250 candidats vaccins en cours de développement à l’heure actuelle » et que « le vaccin de Sanofi développé avec GSK figure encore dans les premiers 10 % de vaccins susceptibles d’obtenir une autorisation de mise sur le marché ».

Même avec une arrivée tardive, le porte-parole de Sanofi se dit « très confiant dans le potentiel de [son] vaccin recombinant avec l’adjuvant de GSK », dont la technologie « permet de générer des réponses immunitaires élevées et soutenues et de prévenir potentiellement la transmission du virus ».

La capacité de limiter la circulation du virus est encore la grande inconnue des vaccins déjà sur le marché, inconnue qui intéresse d’autant plus pour la deuxième étape de la campagne vaccinale. Après la cible des populations les plus à risque, elle visera la masse d’adultes de moins de 55 ans. Sanofi tente ainsi de se repositionner habillement, faute d’avoir été en mesure de répondre présent pour la première étape.

Quand Sanofi débutera enfin la dernière phase de ses essais cliniques, a priori au deuxième trimestre 2021, il faudra trouver des milliers de volontaires pour y participer, alors que les vaccins Pfizer-BioNTech et Moderna, à l’exceptionnelle efficacité (autour de 95 %), sont déjà sur le marché. D’un point de vue éthique, pour calculer l’efficacité du vaccin de Sanofi-GSK, il n’est pas possible de réaliser ces études comparatives entre deux groupes de population, avec un qui recevrait un vaccin et l’autre, le placebo, puisque ce dernier serait privé de protections anti-Covid-19 existantes.

Alors Sanofi est en train de concevoir son protocole de façon à mesurer les résultats d’efficacité sur un groupe de volontaires à qui on injecterait son sérum et un autre qui serait vacciné avec celui d’un concurrent, sans indiquer lequel pour l’instant. Le risque d’une comparaison peu flatteuse, en tout cas, est bien présent.