Le chômage

Le Monde.fr : Les secrets de la flexisécurité danoise

Novembre 2016, par infosecusanté

Les secrets de la flexisécurité danoise

En dépit d’une croissance faible, le Danemark est parvenu à ramener son taux de chômage à 6,3 %. Le modèle de « flexisécurité » accélère les retours à l’emploi.

LE MONDE ECONOMIE

16.11.2016

Ils ont le front soucieux. Au gouvernement, à l’Agence pour le marché du travail et le recrutement, au patronat comme chez les syndicats, les experts danois sont inquiets.

« Nous venons de signer un grand accord tripartite pour trouver des solutions », explique Vibe Westh, conseillère au ministère de l’emploi, soulignant que tous travaillent main dans la main pour lutter contre le mal menaçant leur économie. Le chômage ? Non. Plutôt l’inverse. « La pénurie de main-d’œuvre se profile sur plusieurs secteurs, redoute Steen Nielsen, directeur adjoint de Dansk Industri (DI), la confédération des industries danoises. Si nous ne faisons rien, nous ne pourrons plus répondre aux commandes. »

Croissance modérée

Cela fait maintenant plusieurs mois que le Danemark, 5,7 millions d’habitants, flirte avec le plein-emploi. En septembre, le taux de chômage au sens d’Eurostat était de 6,3 % de la population active seulement, contre 10 % en moyenne dans la zone euro, ont confirmé les chiffres officiels publiés mardi 15 novembre.

Mieux : le taux d’emploi, cet indicateur révélant la capacité d’un pays à utiliser au mieux sa main-d’œuvre, était de 75,6 %, contre 68,9 % dans l’union monétaire. Le Danemark n’a quasiment pas de travailleurs pauvres et le chômage des jeunes n’est pas un fléau. « Nous n’avons pourtant pas été épargnés par la crise », rappelle Lars Andersen, directeur du Conseil économique du mouvement du travail, un think tank de centre-gauche.

Frappé par l’explosion de sa bulle immobilière, le pays a vu son produit intérieur brut (PIB) plonger de 5,1 % en 2009, tandis que le taux de chômage a décollé à 8,1 % en 2012. Depuis, la croissance est revenue. Mais, attendue autour de 1 % cette année, elle reste modérée ; elle n’est guère plus élevée qu’en France.

Par quel miracle le pays des Lego est malgré tout venu à bout du chômage ? « Cela tient beaucoup au secret de notre marché du travail : la flexisécurité », résume M. Andersen.

Conditions strictes

Instauré dans les années 1990 alors que le taux de chômage danois frôlait les 10 %, ce modèle, envié dans le monde entier, repose sur trois piliers. La flexibilité, d’abord : il est aussi facile d’embaucher que de licencier et il n’y a pas de différence entre contrats à durée déterminée (CDD) et contrats à durée indéterminée (CDI). De quoi permettre aux entreprises d’adapter immédiatement leurs effectifs à la conjoncture.

En contrepartie, les salariés bénéficient de généreuses indemnités chômage – surtout pour les bas revenus –, pendant deux ans. Elles représentent 90 % du salaire des trois derniers mois, et sont plafonnées à 4 180 couronnes par semaines (562 euros). « Grâce à cela, nous n’avons pas peur de changer de job ; les départs ne sont jamais conflictuels », témoigne Martin Stockfleth Larsen, responsable marketing chez Adform, une entreprise de publicité digitale de Copenhague.

Mais ce filet de sécurité est assorti de conditions strictes. « C’est le principe du bâton et de la carotte », dit sans ambages Morten Binder, directeur de l’Agence danoise pour le marché du travail et le recrutement.

Sur un espace Internet dédié, le chômeur doit rendre compte chaque semaine de ses candidatures. S’il n’en fait pas assez, son conseiller le recadre ou l’envoie en formation pour rafraîchir ses compétences. Voire, après quelques mois, lui met la pression pour qu’il accepte la prochaine offre qui se présente.

Forte adhésion des Danois

« J’ai fini par dire oui à ce job d’assistante de gestion des paies alors que je recherchais un poste de directrice des ressources humaines, confie ainsi Helle, 50 ans, vivant près d’Odense, au sud du pays. Un peu frustrant. Mais au moins, j’ai un emploi. »

Tout cela ne tiendrait pas sans la forte adhésion des Danois, dont près de 70 % sont syndiqués. La plupart des modalités concernant les conditions de travail ne sont pas fixées par la loi. Elles sont prises par les partenaires sociaux, via des accords de branches ou d’entreprises.

Mais ce modèle a un coût. Au total, les politiques actives de l’emploi (formation et accompagnement) pèsent 1,9 % du PIB contre 0,55 % en moyenne dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Un système financé par un taux de prélèvements obligatoires le plus haut de l’Union européenne : 50,8 % du PIB environ, contre 47,9 % en France ou 39,5 % en Allemagne. « Là aussi, cela ne fonctionne que parce que le consentement à l’impôt est élevé dans notre pays », note Steen Erik Navrbjerg, sociologue à l’université de Copenhague.

Face au quasi-plein-emploi, les entreprises danoises peinent désormais à recruter certains profils. Faute de candidats, Dansk Industri estime ainsi que 36 % de ses adhérents échouent à embaucher depuis plus d’un an. « Cela fait six mois que nous cherchons un développeur informatique », désespère ainsi Mads Fibiger Rasmussen. Installé à Aarhus, la deuxième ville du pays, il a créé voilà deux ans Organic Basics, une entreprise vendant en ligne des sous-vêtements équitables.

Système de bonus-malus

« Dans ces conditions, il est important de fidéliser nos salariés déjà en poste », témoigne Lotte Hjortlund Andersen, aux ressources humaines d’ISS, l’une des plus grandes entreprises de services du pays (propreté, hygiène, logistique). Lorsqu’elle est arrivée, il y a dix ans, le taux de turn-over dépassait les 50 %. « Nous l’avons ramené à 24,6 % en développant des programmes de formation et des prix internes pour valoriser les équipes. » Certaines années, il y a même un voyage à New York à gagner !

Le gouvernement, lui, travaille à un système de bonus-malus pour encourager les entreprises à prendre des apprentis dans les métiers en tension, notamment dans la mécanique et l’électronique. « Nous adaptons en permanence notre système de formation des adultes afin qu’un maximum de personnes restent sur le marché du travail, ajoute Vibe Westh, au ministère de l’emploi. Cela permet à notre modèle de résister aux crises. »

Ce dernier n’est pas parfait pour autant. Il peine ainsi à enrayer l’inquiétant déclin de la productivité observé dans le pays. En outre, certaines entreprises regrettent que le gouvernement libéral de Lars Lokke Rasmussen, au pouvoir depuis juin 2015, ait durci les conditions d’accès au marché du travail pour les travailleurs étrangers non européens – y compris les profils très qualifiés. « Dommage, déplore Steen Nielsen. Notre économie a pourtant grand besoin de cette ressource. »