Le système de santé en France

Le Monde.fr : Les biologistes indépendants s’inquiètent d’une financiarisation de la santé

Mai 2022, par infosecusanté

Le Monde.fr : Les biologistes indépendants s’inquiètent d’une financiarisation de la santé

Ce réseau de professionnels déplore la mainmise des acteurs financiers sur ce secteur, entraînant une dégradation des services fournis aux patients

Par Zeliha Chaffin
Publié le 06/05/2022
La mainmise croissante des sociétés de capital-investissement et d’opérateurs industriels sur les laboratoires de biologie médicale menace-t-elle le modèle social du système de soins, si cher aux Français ? Inquiet de l’évolution du secteur, le réseau Les Biologistes indépendants (LBI), qui regroupe près de 1 000 biologistes médicaux et compte plus de 650 laboratoires dans l’Hexagone, tire la sonnette d’alarme. Dénonçant le « danger de la financiarisation à outrance de la santé », responsable, selon eux, d’une dégradation des services fournis aux patients, ses représentants ont appelé, jeudi 5 mai, les pouvoirs publics à réagir.

« C’est notre modèle de santé de demain qui est aujourd’hui en jeu », insiste le docteur Dominique Lunte. À la tête du réseau LBI, l’Auvergnate déplore les conséquences de l’arrivée des opérateurs financiers (fonds d’investissement, fonds de pension…) et industriels sur le secteur depuis une quinzaine d’années. « Sous prétexte de rentabilité, les services se dégradent : de nombreux laboratoires, qui autrefois étaient ouverts six jours sur sept, de 7 h à 19 h, ferment désormais à midi ou ne réalisent plus d’analyses en urgence l’après-midi car les plateaux techniques sont trop éloignés des sites de prélèvement pour obtenir un résultat rapidement », pointe la biologiste médicale.

Un pilier incontournable
Délais d’attente plus longs, accueil des patients déshumanisé, explication des résultats d’analyses quasi inexistante, et même, accentuation de la désertification médicale, certains territoires se trouvant « délaissés par les investisseurs en raison d’une densité de population jugée trop faible pour présenter des ratios de rentabilité satisfaisants »… La liste des répercussions, attribuées par les indépendants, à l’arrivée massive des opérateurs financiers au capital des laboratoires de biologie médicale, et mise en exergue par une enquête Ipsos publiée jeudi 5 mai, est longue. Selon ce sondage, 67 % des Français redouteraient que les rachats de laboratoires par de grands groupes financiers conduisent à une réduction des investissements matériels et humains.

Le phénomène n’est pas nouveau. En 2016, un rapport d’information sur la réforme de la biologie médicale, rédigé par les députés Jean-Louis Touraine (à l’époque PS, aujourd’hui LRM) et Arnaud Robinet (LR), constatait déjà, de façon détaillée, les dérives de cette tendance à la financiarisation du secteur. Il faut dire que le secteur ne manque pas d’attraits. Près de 70 % des diagnostics médicaux sont établis grâce à l’appui de résultats d’analyses, faisant des laboratoires de biologie un pilier incontournable du système de santé. Et avec le vieillissement de la population, les besoins de soins ne sont pas près de se tarir, laissant augurer d’intéressantes perspectives de croissance. Cerise sur le gâteau : le payeur principal de ces actes médicaux étant l’assurance maladie, la prise de risque pour les investisseurs est d’autant plus limitée. L’exemple récent de la crise du Covid, qui a vu certains grands groupes de biologie cumuler des records de chiffres d’affaires grâce aux profits des tests PCR, en atteste.

En 2013, la Cour des comptes notait que le montant des prix de cession des laboratoires grimpait jusqu’à plus de 200 % de leur chiffre d’affaires annuel

Les opérateurs financiers ne s’y sont pas trompés. Depuis quinze ans, ils se sont rués en masse sur le secteur, s’arrachant, souvent à prix d’or, les petits laboratoires indépendants. En 2013, la Cour des comptes notait que le montant des prix de cession des laboratoires grimpait jusqu’à plus de 200 % de leur chiffre d’affaires annuel. Une spéculation qui a rendu l’accès à ces affaires quasi impossible pour les jeunes biologistes médicaux désireux de s’installer à leur compte.

Cette OPA du capital-risque sur le secteur a ainsi conduit à l’émergence, ces dernières années, de grands groupes de biologie médicale, à l’image de Biogroup, Cerba Healthcare, Synlab, Inovie ou Eurofins, aujourd’hui tous aux mains d’actionnaires principaux qui ne sont pas des biologistes. Afin de préserver l’indépendance des laboratoires, la réglementation française stipule pourtant que les non-biologistes ne peuvent pas acquérir plus de 25 % du capital. « Mais cette loi a été contournée, les opérateurs financiers se sont engouffrés dans une faille, et maintenant, 67 % des laboratoires sont détenus par des groupes financiers, alors qu’il y a à peine 20 ans, 100 % des laboratoires étaient indépendants », explique Mme Lunte. Le réseau LBI espère désormais que l’État y mettra rapidement un terme.

Il n’est pas le seul à s’en soucier. Car l’épidémie de financiarisation de la santé commence progressivement à s’étendre à d’autres pans. Le syndicat Avenir Spé, qui représente les médecins spécialisés, s’est ainsi ému, au début du printemps, de la montée en puissance de cette tendance dans les cabinets d’anatomopathologie, de radiologie ou encore d’ophtalmologie, appelant au plus vite à y mettre un terme.

Zeliha Chaffin