Le chômage

Médiapart - Au moins 25 % des chômeurs ne réclament pas leur allocation

Octobre 2022, par Info santé sécu social

Entre 390 000 et 690 000 personnes ne demandent pas d’allocation chômage alors qu’elles y ont droit, soit de 25 % à 42 % de taux de non-recours, essentiellement chez les plus précaires. Des chiffres communiqués au Parlement par le gouvernement.

Cécile Hautefeuille
3 octobre 2022

Dans le concert des préjugés sur les chômeuses et les chômeurs, c’est une remarquable dissonance. De quoi nourrir les débats, alors que l’Assemblée nationale examine, à partir de lundi 3 octobre, le projet de loi assurance-chômage, ouvrant la voie à une nouvelle réforme.

Un rapport du gouvernement, que Mediapart a pu consulter après Les Échos, révèle des chiffres saisissants sur le non-recours à l’assurance-chômage. Les estimations sont larges mais éloquentes : entre 25 % et 42 % des salarié·es éligibles après une fin de contrat ne réclament pas leurs droits au chômage. Soit, sur un an, entre 390 000 et 690 000 personnes.

Selon ce document, qui vient d’être remis au Parlement, le taux de non-recours est « comparable à celui observé sur d’autres prestations sociales » et provient d’une enquête quantitative, co-réalisée par la Dares, l’institut statistique du ministère du travail, et des chercheurs et chercheuses de l’École d’économie de Paris.

Entre 25 % et 42 % des salariés éligibles après une fin de contrat ne réclament pas leurs droits au chômage. © Photo Magali Cohen / Hans Lucas via AFP
L’étude porte sur une période précise : de novembre 2018 à octobre 2019. Soit avant la crise sanitaire et sous l’ancienne convention d’assurance-chômage, précédant la réforme entrée en vigueur en 2021.

Si les chiffres du non-recours aux allocations chômage sont bavards et battent en brèche nombre d’idées reçues, les détails de l’enquête méritent attention. En particulier le profil des « non-recourants » qui sont essentiellement des travailleuses et travailleurs précaires, ayant peu de droits.

« Les salariés en contrats temporaires (intérim et CDD) recourent significativement moins à l’assurance-chômage que les salariés en fin de CDI », souligne ainsi le rapport. « Les non-recourants ont travaillé moins longtemps que les recourants, leurs droits potentiels sont donc plus faibles : ainsi, plus de la moitié (55 %) des éligibles ayant travaillé entre 4 et 6 mois ne recourent pas à l’assurance-chômage, contre 19 % pour ceux ayant travaillé plus de deux ans. » Le rapport indique également que « près d’un quart [des non-recourants] retrouvent un emploi dans le mois suivant la fin de contrat, contre 15 % des recourants ».

Un rapport attendu depuis 2020

Cette « sur-représentation » des salarié·es en contrat court ne réclamant pas leur dû désavoue les discours et arguments en faveur de la première réforme de l’assurance-chômage.

Souvenons-nous du « chômeur optimisateur », récit selon lequel les personnes alternant emploi et chômage calculeraient comment profiter, au mieux, de confortables allocations chômage, en travaillant peu. Ce sont d’ailleurs ces salarié·es précaires qui ont été les plus pénalisé·es par la réforme.

Publiée plus tôt, l’enquête aurait pu offrir de sérieux arguments aux pourfendeurs du texte. Ce rapport devrait d’ailleurs être publié... depuis 2020. C’était une « obligation législative », instituée par la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ». Dès sa promulgation, en 2018, le gouvernement avait en effet deux ans, comme prévu par un amendement d’un député communiste, pour le remettre au Parlement.

Il n’en a rien fait.

Le sujet est réapparu juste avant l’élection présidentielle, en mars 2022, quand le député insoumis de la Somme François Ruffin a interpellé Élisabeth Borne, affirmant que ce rapport était « finalisé » et « relu » par le cabinet de la ministre du travail mais non publié, par volonté de « censure » avant l’élection.

Comme raconté par nos confrères de Libération, le gouvernement avait alors reconnu disposer des résultats et livré une explication surprenante : « Les premiers résultats nécessitent d’être approfondis car ils font apparaître que le taux de non-recours serait inférieur à celui des rares études disponibles, ce qui pose des questions. »

Le non-recours volontaire, la forme la plus répandue

Désormais remise aux parlementaires, l’étude livre une photographie inédite du non-recours à l’assurance-chômage, un phénomène jusqu’ici très peu documenté en France.

Quant aux causes de ce non-recours, elles sont rapidement expédiées dans le rapport. Un premier point évoque « un défaut d’information [...] sur l’existence de la prestation ou sur son mode d’accès » et pointe « la complexité des règles d’indemnisation et de leur évolution régulière ». Les non-recourants « n’entament donc pas les démarches d’inscription car ils pensent qu’ils ne pourront pas percevoir l’allocation ». Selon l’étude, « ne jamais avoir recouru à l’assurance-chômage par le passé et être né à l’étranger accroît le risque de non-recours ».

Un second paragraphe est consacré au « non-recours par défaut de sollicitation ». Cela signifie que « les chômeurs [sont] informés de leur possibilité de s’ouvrir un droit à l’assurance-chômage mais n’en font pas pour autant la demande ».

Cela peut être lié « à un désintérêt financier (montant d’allocation et durée d’indemnisation espérés trop faibles) » ou à la perception que l’allocation « est assortie d’obligations et de contrôles en matière de recherche d’emploi ». Enfin, la non-demande « peut aussi être due à un désintérêt lié à une anticipation de sortie rapide du chômage ».

Le rapport souligne en tout cas que cette volonté de ne pas réclamer son dû, en toute conscience, est « sans doute la forme la plus répandue dans le système d’assurance-chômage ».

Loin des couplets habituels sur les chômeurs profiteurs, optimisateurs ou fraudeurs, ce rapport apporte des faits, enquêtés et établis. Mais à l’heure où une seconde réforme de l’assurance-chômage se profile, seront-ils suffisants pour, enfin, faire changer de refrain ?

Cécile Hautefeuille