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Europe solidaire sans frontières - Ukraine : « Nous créons des syndicats indépendants dans les hôpitaux »

Avril 2023, par Info santé sécu social

Lundi 3 avril 2023, par LE TREHONDAT Patrick, SLOBODIANA Oksana

Depuis plusieurs mois, à Kyiv, Lviv et dans d’autres villes ukrainiennes, les travailleur·euses des hopitaux, notamment les infirmières, se sont mobilisé·es pour défendre leurs droits. En cause notamment, les salaires non payés, les conditions de travail et les fermetures d’hôpitaux. Des syndicats indépendants à la base sont apparus. Oksana Slobodiana du mouvement « Sois comme Nina » a bien voulu répondre à nos questions sur cette situation.

Pourriez-vous vous présenter pour nos lecteur·trices.

Je m’appelle Oksana Slobodiana. J’anime le mouvement dans le secteur de la santé le mouvement « Sois comme Nina », le syndicat indépendant de la région de Lviv, et je travaille comme infirmière dans un hôpital pour enfants. Je suis également mère de quatre enfants, dont trois sont encore mineurs.

Pourriez-vous nous présenter le mouvement « Sois comme Nina », son histoire, son rôle et la raison de son nom ?

Notre mouvement est né d’une initiative populaire de travailleur·euses à la base de la santé (infirmières) en 2019. Depuis lors, nous protégeons les droits des travailleur·euses de la santé. Si nous ne parvenons pas à résoudre les problèmes par le dialogue, nous organisons des manifestations. Notre tâche principale est d’améliorer les conditions de travail et de formation des travailleur·euses de la santé. Pour ce faire, nous utilisons toutes les méthodes, bien sûr, dans le respect de la loi. Le nom du mouvement « Sois comme Nina » vient du nom de l’initiatrice de la première manifestation d’infirmières, Nina Bondar. Nina, qui travaillait dans un hôpital de Kyiv, a décidé un soir de dire son mécontentement concernant les conditions de travail, le salaire et l’attitude de la direction à l’égard des infirmières. Elle a publié ce message – un cri du cœur – sur Facebook. Du jour au lendemain, elle a eu plus de 20 000 vues. Depuis, les travailleur·euses du secteur de la santé s’unissent pour défendre ensemble leurs droits professionnels. Comme Nina, tous et toutes veulent cesser de laisser passer sous silence toutes les violations auxquelles elles et ils sont confronté·es sur leur lieu de travail.

Le secteur des hôpitaux et des soins de santé est stratégique, en particulier pour un pays en guerre. Pourtant, nous constatons que les travailleur·euses de la santé sont confronté·es à de nombreuses difficultés. Pouvez-vous nous parler de la situation actuelle des médecins et des infirmières, et de l’état du secteur de la santé en Ukraine en général ?

Depuis 2018, l’Ukraine met en œuvre une réforme des soins de santé. Depuis lors, les établissements médicaux ferment régulièrement, les hôpitaux sont optimisés et fusionnés. Cela a un impact important sur les travailleur·euses du secteur de la santé, qui perdent leur emploi. Ce processus ne s’est pas arrêté pendant la guerre. La situation s’est considérablement aggravée : de nombreux établissements médicaux ont été fermés à la suite des bombardements et des tirs d’artillerie. À ce stade, il serait utile de mettre un terme à cette soi-disant « optimisation ». Mais la principale erreur de la réforme a été la décision de transférer la gestion du secteur des soins de santé aux autorités locales. Aujourd’hui, ce sont les fonctionnaires locaux qui décident si un établissement de santé est nécessaire ou non. Les autorités municipales sont devenues de facto les propriétaires des hôpitaux. Des personnes qui n’ont pas reçu de formation spéciale, qui ne comprennent pas comment cela fonctionne dans la pratique, décident du sort des établissements médicaux et, par la même occasion, de leurs employé·es et de leurs patient·es.

Nous avons assisté à des manifestations du personnel hospitalier à Kyiv et à Lviv. Je pense que des syndicats ont également été créés dans ces villes. Pourriez-vous nous parler de ces manifestations et des revendications qu’elles expriment ? Quels sont ces nouveaux syndicats ou organisations qui existent dans les hôpitaux pour protéger les employés et leur santé ?

Les manifestations sont interdites en Ukraine en raison de la « loi martiale ». Mais les travailleur·euses de la santé ne se reposent pas sur leurs lauriers et commencent à créer des syndicats indépendants sur le terrain. Jusqu’alors, les « syndicats d’État » opéraient dans les établissements médicaux, soutenus par des ressources « administratives » tout en ignorant les opinions et les intérêts de leurs membres.

Aujourd’hui, tout change. Les employé·es s’unissent pour défendre leurs droits professionnels. Auparavant, ces syndicats indépendants n’existaient que dans les grandes villes, mais aujourd’hui nous contribuons à ce qu’ils apparaissent également dans les petites villes et les villages. Les travailleur·euses des petites villes et des villages doivent également se sentir protégé·es.

Quel type de soutien recevez-vous de la part du public ?

L’attitude des gens à l’égard des médecins change suivant les périodes. Parfois, les patient·es pouvaient faire des reproches au personnel médical. Puis est survenue la pandémie du Coronavirus, et les gens ont vu comment les médecins, les infirmières et le personnel subalterne, sans protection spéciale, au péril de leur vie, ont commencé à les sauver. Le personnel de santé alors gagné en respect. Aujourd’hui, les choses se passent différemment. Pour être honnête, tous les Ukrainien·nes ne sont pas bien informé·es sur la réforme actuelle du secteur de la santé et ses conséquences, si bien qu’ils et elles se plaignent souvent de nous. Mais nous communiquons activement avec la population, en l’informant de la situation réelle. Les gens commencent à réfléchir à cette question plus en profondeur et à soutenir les professionnel·les de la santé.

Pensez-vous que les professionnels de la santé peuvent proposer un plan alternatif à la politique de santé du gouvernement ?

Bien sûr, car les changements ne peuvent être proposés que par des personnes qui travaillent dans ce domaine et connaissent ses problèmes de l’intérieur. En effet, il semble parfois que des personnes au hasard, sans expérience particulière, ont pris en charge la réforme du secteur de la santé en Ukraine. Par exemple, ils veulent réformer les soins de santé en Ukraine selon le « modèle britannique ». Mais nos réalités, la situation économique du pays, la mentalité des gens et la situation des soins de santé, qui n’ont jamais été correctement financés, sont très différentes de celles du Royaume-Uni. En outre, nous ne devons pas oublier que notre pays est actuellement engagé dans une guerre à grande échelle.

Patrick Le Tréhondat
Oksana Slobodiana