Le droit à la santé et à la vie

Journal International de Médecine - Grippe 2016-2017 : vers une catastrophe sanitaire ?

Janvier 2017, par Info santé sécu social

« Les très équipés hôpitaux français ont été débordés par des dizaines de patients, fiévreux et toussant, redoutant d’être atteints par la grippe et parfois (mais pas toujours) victimes de graves complications. Une situation imprévisible ? Sans doute pas ! ». C’est ainsi que nous débutions il y a deux ans un article sur l’épidémie de grippe qui frappait la France. Les papiers consacrés à la crise par le JIM et la presse décrivaient en effet une situation très proche de celle que nous vivons aujourd’hui.

Un pic de mortalité dès les derniers jours de décembre

Aucune leçon n’a donc été apprise depuis deux ans ou depuis la canicule de 2003 ? Les scénarios apparaissent très similaires. D’abord, comme il y a treize ans, il semble que les services des pompes funèbres apportent sur l’ampleur de la situation des informations plus pertinentes que les (lénifiants) rapports des organes de veille sanitaire. Ainsi, selon le réseau de surveillance Sentinelles-INSERM, 784 000 personnes ont consulté un médecin pour une grippe au cours des quatre dernières semaines et depuis le 1er novembre, 52 personnes admises pour une infection grippale sont mortes en réanimation. Mais le bilan, beaucoup le savent déjà, sera bien plus lourd.

Et pour s’en persuader, il suffit d’interroger les réseaux des pompes funèbres. Partout les agences évoquent une activité en forte hausse par rapport à l’année dernière. Les délais d’attente pour les incinérations ou les enterrements s’allongent et dans certains centres l’inquiétude de ne pas pouvoir respecter les réglementations s’accroit. Les marges de manœuvre en cette période où les cimetières ferment tôt sont en effet restreintes.

Dans certaines régions et départements, on évoque un surcroît d’activité atteignant jusqu’à 20 % par rapport à un mois de janvier classique, alors qu’une hausse, atteignant parfois 30 % a déjà été constaté fin décembre. Concernant les derniers jours de l’année 2016, les chiffres déjà disponibles confirment que le nombre de décès a dépassé les 10 500 lors de la cinquante-deuxième semaine, contre moins de 9 300 à la même époque l’année précédente.

Un bilan plus lourd qu’en 2015 ?

Assistera-t-on à un bilan final plus lourd que lors de l’hiver 2015 où la grippe et les infections saisonnières avaient été responsables de quelques 18 000 décès supplémentaires ? Les tendances de certaines agences le laissent redouter. « Par rapport à 2015, soit c’est plus fort, soit c’est plus concentré dans le temps », indique interrogée par le Parisien, la Confédération des professionnels du funéraire et de la marbrerie (CPFM). « Nos chiffres de crémation vont même dépasser ceux de 2015 » constate de son côté le directeur du crématorium du Père Lachaise.

Une anticipation possible, au moins pour éviter l’engorgement des hôpitaux

Une telle hécatombe était-elle prévisible ? La circulation du virus A(H3N2) était dès la fin novembre pour les épidémiologistes l’indice d’une épidémie plus à risque que l’année dernière, notamment pour les plus âgés. « A(H3N2) touche particulièrement les plus de 65 ans, entraînant une surmortalité dans cette tranche d’âge. Mais la particularité de cette année est que nous avons une épidémie quasi exclusive avec ce virus, d’où la probabilité d’un bilan lourd », remarque le professeur Bruno Lina. Ainsi, une anticipation n’était pas impossible et une plus grande mobilisation dans le cadre de la campagne de vaccination aurait pu être utile. Déjà face à la crise de 2015, les observateurs faisaient ce constat et proposaient tout au moins pour éviter l’engorgement des hôpitaux et favoriser une prise en charge plus rapide des malades (si ce n’est pour influer sur le bilan de l’épidémie) quelques pistes de réflexion. Le médecin et journaliste Jean-Daniel Flaysakier suggérait ainsi sur son blog à l’approche des épidémies hivernales la mise en place de structures « provisoires modulaires » permettant d’accueillir plusieurs lits et qui pourraient être gérées par des médecins ayant récemment cessé leur activité et des jeunes praticiens venant d’achever leur internat et par encore installés. « Evidemment mobiliser à l’avance a un coût. Mais gérer la pénurie de lits et de médecins, devoir rouvrir en catastrophe des services, annuler des interventions tout cela a aussi un coût » concluait-il. Mais rien n’a été fait et dans les hôpitaux, les politiques de fermetures de lits n’ont pas été interrompues en dépit des appels non pas seulement des syndicats mais aussi de la Fédération hospitalière de France (FHF). Par ailleurs, les difficultés des services d’urgence pour obtenir des lits d’aval, déjà décrites à plusieurs reprises dans ces colonnes (et dans d’autres), tout au long de ces dernières années ne se sont pas résorbées, en dépit des groupes de réflexion multiples et de l’arrivée dans les établissements publics de gestionnaires de lits (qui ne sont cependant pas généralisés).

Des hôpitaux débordés et exaspérés

Ce qui pourrait avoir changé depuis la canicule de 2003 est la sollicitude des autorités. Pas de ministre apparaissant en polo (ici en doudoune de ski) et assurant qu’il n’y a pas de crise. Marisol Touraine a été toute la semaine aux avant-postes, lançant des appels pour la déprogrammation des interventions mais répétant toute sa confiance aux hôpitaux surmenés.

Finalement, probablement pour marquer l’efficacité de son intervention, elle aura conclu la réunion interministérielle qui s’est tenue hier à l’Elysée par une satisfaction affichée en promettant que les hôpitaux n’étaient pas débordés. Mais pour certains praticiens, cette communication est presque pire que l’indifférence d’il y a quinze ans. Une interne a ainsi ironisé dans une vidéo postée sur Facebook, dont le message a été vu des millions de fois, sur cette opération visant à présenter une ministre prenant ses responsabilités. Mais la professionnelle a rappelé que l’état d’urgence était en réalité vécu tous les jours par des hôpitaux asphyxiés par les restrictions budgétaires, tandis que la recherche des lits d’aval demeure le quotidien désespéré des praticiens. Et la jeune femme ne manque pas d’ironiser : « Augmenter les fonds dédiés à la santé de 2 % par an quand les soins progressent de 4 % revient à administrer 2mg d’adrénaline à un patient quand il lui en faut 4. Et que répondre au patient qui fait remarquer qu’il risque de mourir. Un groupe de réflexion va être constitué et un plan sera présenté à l’automne ? », moque-t-elle avec rage.

Aurélie Haroche