Le droit à la santé et à la vie

Médiapart - Tiers payant : Agnès Buzyn détourne les conclusions d’un rapport de l’Igas

Octobre 2017, par Info santé sécu social

25 octobre 2017| Par Caroline Coq-Chodorge

La ministre de la santé renonce à la généralisation du tiers payant, à la grande satisfaction des syndicats de médecins libéraux. Pour se justifier, elle se livre à une lecture très partielle d’un rapport de l’inspection des affaires sociales.

L’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale a débuté mardi 24 octobre. Pour l’introduire, Agnès Buzyn a annoncé dimanche 22 octobre dans le JDD 3 qu’elle revenait sur l’une des rares mesures sociales du précédent gouvernement en matière de santé : la généralisation du tiers payant, qui devait entrer en vigueur le 30 novembre. Pour la ministre des solidarités et de la santé, « aujourd’hui, nous ne sommes pas prêts techniquement à l’étendre ». Elle a aussi précisé : « Nous tiendrons l’engagement du président de la République de rendre le tiers payant généralisable. » Généralisable, mais pas généralisé : « En clair, le tiers payant restera possible mais ne deviendra pas obligatoire », traduit la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), le premier syndicat de médecins libéraux, qui crie “victoire”. En plus clair encore, les libéraux hostiles au tiers payant pourront continuer à faire comme avant : réclamer l’avance des frais à leurs patients.

En multipliant les déclarations contradictoires, la ministre des solidarités et de la santé rend sa décision illisible. Dimanche, elle a sévèrement taclé la ministre précédente, Marisol Touraine, 3 sur RTL : « Je regrette qu’on vote des lois sans savoir si c’est faisable (…). Le cadeau n’est pas très sympathique. » Puis elle a déclaré son « attachement à ce que le tiers payant se généralise pour les consultations médicales » devant les parlementaires mardi 24 octobre. Avant de renvoyer sa généralisation aux calendes grecques : elle présentera « au Parlement, d’ici à l’été prochain, le calendrier selon lequel le tiers payant intégral pourra être proposé à tous les assurés dans des conditions techniques fiabilisées »…

Mais, surprise, le rapport de l’Igas, qu’elle a rendu public lundi 23 octobre, s’avère plus nuancé et bien plus optimiste. Les inspecteurs jugent en effet « irréaliste » la généralisation du tiers payant au 30 novembre, notamment parce qu’il existe des « freins techniques » à sa mise en œuvre pour la part complémentaire. Il est cependant « réalisable à courte échéance » en ce qui concerne la part Sécurité sociale, expliquent les inspecteurs. Grâce à la carte vitale, le processus s’avère « rapide, fiable et simple », avec moins de 1 % de rejets des télétransmissions.

L’Igas tire un bilan éclairant du tiers payant. Il est très largement pratiqué quand il est obligatoire : les bénéficiaires de la couverture maladie universelle, de l’aide à la complémentaire santé (ACS), les malades en affection longue durée (ALD), dans une moindre mesure les femmes enceintes. Pour tous les autres publics, il est pratiqué, pour la part Sécurité sociale, sur une majorité d’actes par la plupart des professions de santé : presque 100 % des pharmacies, des laboratoires et des centres de santé, 92,4 % des infirmiers, 65 % des kinésithérapeutes et des radiologues… mais seulement 10 % des dentistes, 20 % des généralistes, 23 % des médecins spécialistes (hors radiologues). Et leur pratique du tiers payant n’a presque pas évolué depuis 2015, preuve d’une mauvaise volonté manifeste. Pudiquement, l’Igas estime que le principal frein au développement du tiers « tient à une confiance encore trop fragile » de ces professionnels de santé. Dans ces conditions, difficile d’imaginer pouvoir y « aller doucement », sans obligation, comme le souhaite Agnès Buzyn 3.

L’Igas a formulé « deux scenarii » pour aider la ministre à prendre sa décision. Le premier est « la suppression de l’obligation ». Mais il comporte une mise en garde sur le « risque de démobilisation des acteurs », prévient l’Igas. Le deuxième scénario est « le report de l’obligation à 2019 », en le limitant à sa part obligatoire et sans sanctions. Cela reviendrait pour les patients à n’avancer que 7,5 euros (la part complémentaire) sur une consultation de 25 euros chez le médecin généraliste. C’est ce que font les médecins soucieux de faciliter à leurs patients l’accès financier aux soins.

Le choix d’Agnès Buzyn d’enterrer la généralisation du tiers payant est éminemment politique. Dans Mediapart en 2015, la médecin généraliste Mady Denantes, qui exerce au sein de la maison de santé Pyrénées-Belleville à Paris, expliquait l’« utilité sociale » du tiers payant, qu’elle pratique sans difficultés sur sa part Sécurité sociale. Il facilite selon elle l’accès aux soins d’une frange importante de la population, celle qui vit difficilement au-dessus des seuils sociaux de la couverture maladie universelle ou de l’aide à la couverture santé, qui ouvrent droit au tiers payant. Mady Denantes recueille méthodiquement les histoires de femmes seules avec des enfants, de travailleurs précaires, d’handicapés qui cumulent un peu trop d’aides sociales, et pour lesquels il est impossible d’avancer, même quelques jours, 25 ou 30 euros. « Le tiers payant correspond à la philosophie de la Sécurité sociale », rappelait de son côté un précédent rapport de l’Igas 3 sur le tiers payant, daté de 2013.