Le droit à la santé et à la vie

Le Parisien - Hôpitaux en surchauffe : « J’ai passé la nuit dans le couloir »

Mars 2018, par Info santé sécu social

La pièce a des allures de salle de garde… d’un hôpital des années 1950. Sauf que l’on est en 2018, aux urgences du Centre hospitalier d’Argenteuil (Val d’Oise). Ce matin-là, à 10 heures, huit patients sont installés, épuisés, sur des brancards médicalisés, simplement séparés les uns des autres par un rideau, tiré ou pas. Un autre n’a même pas la place de rentrer et stationne, allongé, sur son lit roulant dans le couloir. Pas beaucoup d’intimité, pas de sonnette d’alarme pour appeler les soignants. Du rustique.

« C’est malheureux de voir ça. Pourtant, on sait que l’hôpital sauve des vies… mais là, on voit bien qu’ils n’ont plus les moyens », soupire Malika, 43 ans, masque à oxygène sur le visage. Cette mère de trois enfants a été prise en charge à 21h30, la veille, et amenée aux urgences pour son asthme et son diabète. « Les équipes ici sont au top, je les connais depuis des années, mais là, avec une telle proximité avec les autres patients on ne peut pas se soigner comme il faut. C’est difficile », ajoute-t-elle.

« Pourquoi ne leur donne-t-on pas plus d’effectifs ? »
En face d’elle Janine, 89 ans, qui a passé la nuit dans cette pièce commune après avoir fait un malaise chez elle, susurre d’une petite voix chevrotante : « Oh ce n’est pas si mal ici, on s’occupe bien de nous quand même, parfois mieux qu’à la maison ». A quelques mètres, Amar, 58 ans, lunettes carrées et grosses moustaches, a du mal à dissimuler sa lassitude. « C’est dur. J’ai passé la nuit dans le couloir jusqu’à trois heures du matin. Pourquoi ne leur donne-t-on pas plus d’effectifs ? », s’interroge-t-il.

Même si elle le cache partiellement, on sent que le docteur Catherine Legall, 49 ans, la chef des urgences de cet hôpital, n’en peut plus, mais n’en montre rien en examinant les patients « Dans ces conditions, on ne fait pas de la bonne médecine. Nos malades polypathologiques sont en grand danger quand ils restent longtemps sur des lits de fortune ». Comme d’autres, l’hôpital Victor Dupouy d’Argenteuil est en ce moment mal classé dans le palmarès « no bed challenge », dressé par les équipes de Samu-Urgences de France, car il n’y a pas assez de lits hospitaliers disponibles dans les étages pour faire face à la demande.

« Au secours, on craque ! »
« Ça ne fait pas très plaisir à lire mais c’est la réalité. Ça ne sert à rien de mettre la poussière sous le tapis. Disons les choses pour pouvoir les changer », explique-t-elle. Parmi les pistes d’amélioration, elle plaide pour une meilleure répartition entre les opérations programmées à l’avance, et les « lits » réservés aux urgences, ce qui créerait plus de places pour les nouveaux arrivants. Mais cela suppose d’autres arbitrages entre chefs de service. De fait, avec l’organisation actuelle, l’hôpital d’Argenteuil, qui accueille 98 000 adultes et enfants par an aux urgences, et fait 10 000 hospitalisations, ne peut plus s’en sortir.

« Au secours, on craque ! », conclut la chef de service. De fait, la voiture-balai du système de santé est au bord de la panne. « On doit prendre en charge des personnes âgées qui ne peuvent plus être soignées dans des Ehpad, mais aussi beaucoup de gens qui sont en détresse sociale et ne savent pas où s’adresser. L’épidémie de grippe cet hiver, très longue, n’a rien arrangé. « Il faut vraiment que nos tutelles tirent les enseignements de ce terrible hiver 2018, sinon on va avoir de nombreux décès », conclut-elle.