Le droit à la santé et à la vie

JIM - Le naufrage de la médecine scolaire

Janvier 2019, par Info santé sécu social

Paris, le jeudi 3 janvier 2019

Face à la colère exprimée ces dernières semaines par beaucoup, cristallisée notamment autour de la teneur du niveau élevé de nos impôts et de nos divers prélèvements, beaucoup ont souhaité rappeler que cette situation fiscale permettait l’accès à des services publics de qualité gratuits ou totalement gratuits. L’exemple de l’école et de la santé a notamment été donné à plusieurs reprises. Tel était d’ailleurs le sens du message du Président de la République lors de ses vœux aux Français qui a insisté : « Nous vivons dans l’une des plus grandes économies du monde (…) on se soigne à un coût parmi les plus faibles des pays développés pour avoir accès à des médecins d’excellence ». S’il n’est pas question de dénier cette spécificité française, la situation actuelle de certains services de santé publique invite néanmoins à nuancer cette perception positiviste. Sans parler une nouvelle fois des problèmes récurrents que rencontrent les hôpitaux, on pourra se pencher sur la situation désastreuse des services de santé dédiés aux plus jeunes.

Une crise vieille de plus de 40 ans
La crise que connaissent le service social scolaire et le service de santé à l’école est loin d’être récente. Déjà, en 1975, le Conseil économique social et économique (CESE), comme le rappelle le président du tribunal pour enfants de Bobigny Jean-Pierre Rosen, alertait les pouvoirs publics sur leurs dysfonctionnements. Les correctifs apportés ont été largement insuffisants pour empêcher la situation de se dégrader continuellement pour atteindre aujourd’hui (peut-être) un point de non-retour.

Un médecin pour plus de 11 770 élèves

Le gouvernement s’est fixé comme objectif dans la loi de finances pour 2018 que le bilan complet prévu à l’âge de six ans qui suppose notamment un dépistage des troubles du langage et des apprentissages concerne 80 % des élèves. La réalité en est très loin. Selon les derniers chiffres du Syndicat national des médecins scolaires et universitaires (SNMSU-Unsa), ce bilan n’a concerné pour l’année scolaire 2017-2018 que 46,5 % des écoliers (réalisé soit par des médecins, soit par des infirmiers). La principale raison de ce taux regrettablement bas (même si les chiffres du ministère sont plus élevés) est simple : le manque d’effectifs. Le ratio est aujourd’hui de 11 772 élèves pour un médecin équivalent temps plein, contre 10 507 l’année précédente, quand les évaluations considèrent qu’un ratio d’un praticien pour 5 000 élèves serait souhaitable. Ces chiffres ne permettent pas par ailleurs d’appréhender de fortes disparités. Ainsi, dans certains secteurs, on ne compte plus aucun médecin scolaire et le SNMSU-Unsa signale deux praticiens couvrant des secteurs de plus de 50 000 élèves. « On constate (…) en un an une augmentation de 8 % des médecins ayant des secteurs confiés en plus des secteurs d’attribution » relève encore l’organisation. Le manque total d’attractivité de cette discipline, dont les salaires varient entre 1 700 euros en début de carrière et 2 200 euros avec les primes, explique largement la désaffection dont elle souffre et la multiplication des postes vacants qui en est la première manifestation.

Pédopsychiatrie à l’abandon, PMI en proie aux difficultés
Cette situation fait le lit d’une prise en charge dégradée, notamment pour les enfants issus des milieux les plus défavorisés qui souvent n’ont pas assez accès à la médecine de ville. Jean-Pierre Rosen relève des indicateurs inquiétants : le nombre d’enfants accueillis par l’Aide sociale à l’enfance a ainsi augmenté de 20 % en quatre ans remarque-t-il notamment. « Quel sera le coût économique de ces absences de dépistage, de la perte de chance de n’avoir pas eu accès à ces dépistages ? » s’interroge de son côté le SNMSU-Unsa. Ces interrogations et ces situations « trahissent une défaillance relative, mais réelle, des dispositifs qui en amont doivent venir en aide aux familles fragiles, aux parents comme aux enfants » constate encore Jean-Pierre Rosen. Car à la déshérence de la médecine scolaire, s’ajoutent le naufrage de la pédopsychiatrie et de la prévention spécialisée et les dysfonctionnements de la protection maternelle infantile.

Transférer à d’autres médecins débordés des bilans essentiels
Quelle solution apporter pour répondre, en premier lieu, aux difficultés de la médecine scolaire ? Les méthodes adoptées aujourd’hui sont loin d’être satisfaisantes pour les spécialistes. Dans le Gers, par exemple, les écoles du département viennent de recevoir de nouvelles consignes qui invitent les enseignants à réaliser eux-mêmes les repérages prévus lors du bilan programmé à six ans, alors que les professeurs ne disposent nullement de l’ensemble des compétences nécessaires pour ces dépistages. L’idée de déléguer aux médecins généralistes une partie de ces consultations pourrait être plus séduisante, mais elle nécessite des formations adaptées. Aujourd’hui, le SNMSU-Unsa indique que « le retour fait par les collègues est que, quand les enfants ont un médecin traitant, moins de 1 % réalise un bilan comprenant un dépistage sensoriel, du langage et des apprentissages. De plus, de nombreuses familles n’ont plus de médecin traitant soit en raison de situations de précarité, soit en raison de départs en retraite de médecins » relève l’organisation. « Les médecins généralistes sont débordés, ils n’arrivent déjà pas à assurer toutes leurs missions, alors comment pourraient-ils prendre en charge aussi la médecine scolaire » renchérit Patricia Colson du SNAMSPEN Sgen-CFDT, l’autre syndicat représentatif, citée par Libération.

Ainsi, on le voit, si Emmanuel Macron a félicité le gouvernement d’avoir jeté les bases d’une réforme de l’organisation des hôpitaux, en matière plus globale de santé publique, beaucoup reste à faire.

Aurélie Haroche