Le chômage

Médiapart - Pour la nouvelle année, le gouvernement durcit encore le contrôle des chômeurs

Janvier 2019, par Info santé sécu social

Le 2 janv. 2019
Par Mathilde Goanec

Dans un décret paru le 30 décembre 2018, les conditions du contrôle des chômeurs s’alourdissent encore. Emmanuel Macron, dans ses vœux, a rappelé aussi qu’il entendait modifier « en profondeur » les règles d’indemnisation des demandeurs d’emploi.

La réforme du contrôle des chômeurs avait déjà fait grincer des dents, lors de l’examen de la loi sur « l’avenir professionnel » adoptée l’été dernier. Mais à la lecture d’un décret paru dimanche 30 décembre au Journal officiel, les conditions seront encore plus drastiques qu’annoncé.

Le fait de ne pas se rendre à un rendez-vous avec un conseiller sans motif légitime devait être sanctionné de 15 jours de radiation des listes de Pôle emploi, selon le texte voté par les députés. Finalement, ce sera un mois de radiation, deux mois au bout de deux manquements et quatre mois au « troisième manquement » constaté.
Pour les sanctions concernant l’insuffisance de recherche d’emploi (refus à deux reprises de deux offres raisonnables d’emploi par exemple), la loi défendue par la ministre du travail Muriel Pénicaud prévoyait des sanctions graduelles : suspension de l’allocation d’un mois la première fois (ce qui revient à « décaler » ses droits), de deux mois la deuxième fois et quatre mois la troisième fois. Il était alors précisé que l’allocation serait amputée à partir de la deuxième fois seulement. D’après le décret, l’allocation est carrément « supprimée » dès le premier manquement.

Moins commenté mais potentiellement explosif, le décret abroge aussi « la définition du salaire antérieurement perçu », qui était jusqu’ici pris en compte pour déterminer l’offre raisonnable d’emploi, bâtie par un conseiller Pôle emploi. En clair, si vous touchiez par exemple un salaire de 2 000 euros, vous étiez en droit de refuser des offres d’emploi trop inférieures à ce montant, pendant un an. Ce n’est plus le cas.

Comment expliquer un tel écart entre le texte et sa mise en œuvre par décret ? Les législateurs avaient, semble-t-il, prévu un tel durcissement, loin de la surveillance de l’Assemblée : ainsi, dans la loi telle que rédigée à l’été 2018, il était écrit que « les éléments constitutifs de l’offre raisonnable d’emploi » pouvaient être révisés, afin « d’accroître les perspectives de retour à l’emploi ». Il était aussi prévu qu’un décret préciserait « les conditions dans lesquelles et la durée pendant laquelle » l’allocation chômage pouvait éventuellement être supprimée.

Syndicats et partis à gauche, la France insoumise notamment, ont vivement réagi à ce nouveau tour de vis : « Un emploi non pourvu pour 40 chômeurs, 80% des embauches en contrats précaires mais plutôt que de s’attaquer au chômage, Macron le fainéant s’attaque aux chômeurs ! », a tweeté le député Adrien Quatennens. Denis Gravouil, à la CGT, a regretté que l’on prenne à nouveau « les chômeurs pour des fraudeurs », quand son homologue à Force ouvrière prédit leur « précarisation rampante ». Même tonalité au PCF.

Aurore Bergé a donc du faire le service après-vente, mercredi 2 janvier. « C’est fait tout simplement dans une logique qui est une logique de justice », a plaidé la députée des Yvelines sur Cnews, défendant un « équilibre entre des droits supplémentaires », par exemple en matière de formation, et des « devoirs supplémentaires, recherche d’emploi notamment ».

Le gouvernement et sa majorité parlementaire tiennent leur ligne, quitte à le faire en catimini : l’incitation au retour à l’emploi passe par un contrôle de plus en plus étroit des chômeurs. Même si la plupart des experts s’accordent à dire que le problème tient surtout au nombre largement insuffisant d’offres d’emploi (a fortiori d’emplois à peu près correctement rémunérés et stables), une partie du monde politique croit au coup de bâton supplémentaire, pour faire baisser les chiffres du chômage.

Le sociologue Didier Demazière, que Mediapart avait interrogé lors de l’examen du projet de loi, rappelait que « la volonté de renforcer le contrôle des chômeurs est une des traductions de la tendance générale à privilégier “l’activation” des chômeurs, c’est-à-dire rendre leurs démarches plus actives, plus intensives ». Une politique qui vise « à fluidifier le marché du travail et à y faciliter les mouvements – les recrutements comme les licenciements », que l’on peut lire aussi dans la modification dès le début du quinquennat du code du travail, et la simplification assumée des conditions de licenciement.

Pousser à la sortie peut avoir deux effets, rappelait le sociologue : d’une part les demandeurs d’emploi, sous pression, acceptent plus volontiers des emplois de très faible qualité – des contrats de très courte durée, avec des temps de travail très limités et des salaires très faibles. « Ici, le contrôle incite à accepter plus facilement des formes dégradées d’emploi, ce qui a des effets structurants sur le marché du travail. »

D’autre part, les sorties du chômage déclenchées par un contrôle accru peuvent inciter à « jeter l’éponge » et donc à sortir des listes de Pôle emploi, surtout quand les chômeurs ne sont plus indemnisés, ce qui est le cas pour la moitié d’entre eux. « Cela fait baisser le taux de chômage apparent, mais pas le taux de chômage réel », concluait Didier Demazière.

La réforme de l’assurance-chômage n’a pas fini d’alimenter les débats. Emmanuel Macron l’a confirmé lors de ses vœux de la Saint-Sylvestre. Le gouvernement souhaite « changer en profondeur les règles de l’indemnisation du chômage afin d’inciter davantage à reprendre le travail », dès 2019. Les syndicats et le patronat sont actuellement engagés dans une série de réunions pour répondre à la commande présidentielle, détaillée dans cet article.

Le 25 septembre 2018, ils ont reçu une lettre de cadrage très précise. L’exécutif leur demande de tailler dans les dépenses de l’Unedic (qui gère le versement des allocations chômage) et d’économiser entre 1 et 1,3 milliard d’euros par an de 2019 à 2021. Des sommes à comparer aux 39,7 milliards d’euros versés aux chômeurs en 2017.

À revoir, les règles qui permettent de bénéficier de droits rechargeables à l’assurance-chômage. Depuis 2014, il est prévu que si un chômeur travaille pendant qu’il touche son allocation chômage, il allonge la période pendant laquelle il peut toucher de l’argent de Pôle emploi. Un mécanisme qui peut durer indéfiniment, pour peu qu’il travaille au moins 150 heures pendant sa période d’indemnisation.

À revoir aussi, la définition du calcul du salaire journalier de référence. Ce calcul sert à établir le montant de l’allocation versée à un chômeur. Selon le gouvernement, il est source d’inégalités : un même nombre d’heures de travail et un même salaire horaire peuvent donner droit à des allocations plus importantes si ce travail a été effectué dans le cadre de plusieurs contrats fractionnés de quelques jours, au lieu d’un contrat courant sur plus d’une semaine.

Le gouvernement prévoit également de remettre en cause la règle de l’activité conservée, qui permet à certains inscrits d’être bien indemnisés s’ils perdent un employeur, mais en conservent deux ou trois autres. Autant de mesures qui pourraient fragiliser en premier lieux les travailleurs les plus précaires, cumulant des petits emplois de faible durée. Mais pourront-ils encore les refuser ?