Branche allocation familiale de la Sécurité sociale

Huffpost - Supprimer les allocations familiales pour les parents d’élèves violents, une mesure contre-productive

Janvier 2019, par Info santé sécu social

Par Marine Le Breton

Le ministère de l’Éducation réfléchit à supprimer les allocations familiales pour les parents d’élèves violents. Mais est-ce une bonne idée pour les enfants ?

Alors qu’elle n’est pas encore prise mais simplement "sur la table", la mesure fait déjà polémique. Celle-ci consiste à supprimer les allocations familiales pour les parents d’élèves violents.

Révélée par Le Parisien mercredi 9 janvier, cette mesure inspirée de la loi Ciotti abrogée sous le quinquennat de François Hollande permettrait d’établir un lien entre la caisse d’allocations familiales et l’inspection académique. Elle intervient dans un contexte de hausse des violences en milieu scolaire.

À peine prononcée, cette annonce a déclenché une levée de boucliers, même au sein de la majorité. "Vieille lubie prétendument destinée à responsabiliser les familles, cette mesure n’a jamais apporté la preuve de son efficacité. Dans une famille, comme ailleurs, on règle rarement des difficultés en ajoutant des difficultés. Je n’y suis pas favorable", a écrit sur Twitter le vice-président de l’Assemblée Nationale Hugues Renson.

"Double peine insupportable"

"Comment imaginer une seconde qu’ une famille dépassée par un adolescent violent, pourra mieux y faire face une fois privée de ces allocations ?", s’interroge Aurélien Taché, député LREM. "Ce serait une double peine insupportable."

Contactée par Le HuffPost, Florence Beuken, psychopraticienne spécialiste de la famille, est directe : elle ne "voit pas le rapport" entre la sanction financière pour les parents et le comportement violent d’un enfant.

Philippe Vincent, secrétaire général du premier syndicat de chefs d’établissements (Snpden), se posait la même question au micro d’Europe 1 : "on a du mal à imaginer un rapport direct entre un soutien financier à une famille qui éprouve des difficultés financières et le comportement d’un jeune, fut-il violent par ailleurs".

"Que fait-on de la responsabilité de l’enfant ?", s’interroge alors Florence Beuken. "S’il est déjà en difficultés, s’il est violent, c’est qu’il y a quelque chose à régler derrière. Sanctionner ses parents ne changera rien à cette situation. Dans le pire des cas, l’enfant n’en aura rien à faire."

Par ailleurs, "punir est désagréable et humiliant. Une sanction, en revanche, doit être dans la réparation. L’idée du gouvernement, dans ce cas, est de punir, pas de sanctionner. Le problème avec les punitions, c’est qu’on reprend ses mauvaises habitudes", poursuit-elle.

D’anciennes mesures semblables inefficaces

Cette mesure s’inspire de la loi Ciotti, qui suspendait les prestations sociales pour les élèves trop absents. Son but était de lutter contre l’absentéisme. Abrogé sous le quinquennat de François Hollande, ce dispositif avait déjà soulevé de nombreux questionnements.

Eirick Prairat, professeur en sciences de l’éducation, avait par exemple jugé cette mesure "très largement inutile". "L’exemple de nombreux pays montre que c’est plutôt le contraire qu’il faut faire : aider notamment financièrement les familles plutôt que de les affaiblir", affirmait-il auprès du Monde en 2010.

Comme le souligne Europe 1, une ordonnance permettait aussi, entre 1959 et 2004, de supprimer les allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire. Une note de la Caf publiée en 2007 avait jugé cette mesure inéquitable car excluant 1,3 million de familles n’ayant qu’un seul enfant et inefficace car "20% seulement des signalements d’absentéisme remontés aux inspections donnaient réellement lieu à des sanctions".

Par ailleurs, "la suppression des allocations familiales provoque dans certains cas le désarroi des familles les plus démunies financièrement et aggrave la situation de l’élève", affirmait un rapport du Groupe de travail sur les manquements à l’obligation scolaire commandé par le gouvernement Raffarin, en 2004.

Aider les parents plutôt que de les sanctionner

En outre, Florence Beuken estime qu’en général, les parents veulent bien faire avec leurs enfants. "La plupart des familles se sentent impuissantes face à ce genre de situations. Les priver d’allocations, ce serait les marginaliser", affirme-t-elle. En effet, ces familles auraient déjà besoin d’une aide extérieure.

Mais souvent, ces aides, comme les consultations psychologiques, coûtent de l’argent. En retirant leurs allocations, on leur donne encore moins la possibilité d’aider leurs enfants. C’est pourquoi, plutôt que de supprimer une entrée d’argent, Florence Beuken explique elle aussi qu’il vaudrait mieux agir au niveau de la prévention ou des formations.