Asie

Courrier International - Au Vietnam communiste, la “sécu” face au défi du vieillissement

Février 2019, par Info santé sécu social

Vendredi 22 février 2019, par HUTT David

Le système de santé du pays est mis en péril par le viellissement rapide de la population. Une situation qui, associée à la gestion discutable du domaine de la santé, creuse le déficit de la Sécurité sociale.

À première vue, le système de sécurité sociale du Vietnam, pilier essentiel d’un régime communiste défenseur des services publics, semble sain et solide. Au-delà des apparences cependant, l’évolution de la démographie et les difficultés financières invitent à poser un tout autre diagnostic.

Une majorité de Vietnamiens ont accès à un régime national d’assurance santé financé par l’État, ce qu’offrent peu de pays, même parmi les plus riches. L’espérance de vie moyenne dans ce pays communiste atteint 76 ans, soit deux ans de moins qu’aux États-Unis.

De plus, plusieurs années de croissance économique rapide ont permis à de nombreux Vietnamiens d’épargner et de placer de l’argent dans des assurances privées qui complètent le régime public.

Mais le système de santé vietnamien est frappé de plusieurs maux. Malgré les efforts faits depuis plusieurs années par l’État pour étendre la couverture du régime public de la Sécurité sociale du Vietnam, 13 % de la population [les travailleurs informels], soit plus de 10 millions de personnes, n’était pas assurée fin 2018.

Prendre soins des seniors va coûter cher

De plus, le Vietnam prend de l’âge. Certes le rythme du vieillissement y est moins alarmant que dans certains pays, comme la Thaïlande ou le Japon. Mais, en 2040, les plus de 60 ans devraient représenter 21 % des Vietnamiens, contre 12 % aujourd’hui. Et si le pays affiche aujourd’hui un âge médian très bas, à 26 ans, il connaît aussi l’un des vieillissements les plus rapides d’Asie.

En somme, comme l’a établi un rapport publié par le FMI l’année dernière, “le Vietnam risque de devenir vieux avant de devenir riche”. De fait, lorsque en 2013 la population active vietnamienne, soit les 15-64 ans, a atteint son pic démographique, le produit intérieur brut dépassait tout juste les 5000 dollars par habitant et par an.

Or prendre soin des seniors va coûter cher, dans ce pays qui se targue de la deuxième espérance de vie en Asie du Sud-Est.

Actuellement, comme viennent de le révéler des études, seuls 30 % des plus de 60 ans bénéficient d’une pension versée par l’État, et ils sont moins de 10 % à posséder une épargne. Si l’épargne des seniors peut s’améliorer avec l’augmentation des revenus, la hausse de la part des pensionnaires se fera à un coût exorbitant, de plusieurs milliards de dollars, pour l’État.

Une Sécurité sociale en difficulté

Selon le FMI, le coût des retraites, s’il progresse au rythme actuel, pourrait faire augmenter les dépenses publiques de huit points de PIB d’ici à 2050, soit plus vite qu’aucun autre des 12 pays d’Asie étudiés.

Ces inquiétudes autour d’un problème futur qu’une politique proactive pourrait éviter peuvent sembler gratuites.

Après tout, l’économie vietnamienne affiche environ 7 %, l’une des plus fortes croissances en Asie, et rien n’indique un ralentissement à venir.

Parallèlement, l’État vietnamien laisse entendre qu’il ne prendra pas en charge l’intégralité d’une facture qui ne cesse de s’alourdir. Et ce, avant même que le basculement démographique vers une population vieillissante n’obère plus gravement ses finances.

Cela fait des années que la Sécurité sociale vietnamienne est en difficulté. Ce système, qui englobe l’assurance santé, mais aussi les pensions de retraite et les indemnités de maternité et de chômage, pourrait entrer en déficit dès 2021, avertissent certains économistes.

Pour maintenir l’équilibre, ajoutent-ils, il faudra certainement dans les années à venir augmenter le niveau de cotisations salariales et patronales.

En dépit de la rhétorique gouvernementale sur une protection sociale universelle, les dépenses publiques de santé sont en baisse depuis trois ans. En 2018, selon la presse vietnamienne, le budget de l’État pour les hôpitaux était de seulement 137 millions de dollars, c’est-à-dire en recul par rapport à 2017.

Limiter la dette publique

L’explication ? Le gouvernement est à court d’argent et doit se serrer la ceinture. Les déficits budgétaires et la part de la dette publique dans le PIB ont explosé ces dernières années et le gouvernement a dû mettre en place de nombreuses mesures d’austérité très dures.

Et afin de s’exonérer de la responsabilité des coûts de santé, le gouvernement a lancé une politique d’autonomie du secteur de la santé, déléguant aux hôpitaux publics la charge d’augmenter leurs revenus.

Si cette politique a été engagée en 2002, avec un décret gouvernemental accordant une plus grande indépendance aux établissements de santé, elle a été plus largement mise en œuvre ces dernières années.

Sur le papier, cela devait signifier moins de bureaucratie et une plus grande marge de manœuvre pour les médecins et les praticiens, censés savoir mieux que les apparatchiks d’Hanoi comment investir et dépenser l’argent public dans leurs établissements.

Le gouvernement a beau affirmer que cette politique permet aux hôpitaux publics de mieux répondre aux demandes des patients, les personnes critiques affirment au contraire qu’elle diminue la qualité des services, car les hôpitaux donnent la priorité aux patients plus riches.

Privatisation rampante des hôpitaux publics

Elle a également conduit les hôpitaux à orienter leurs efforts vers une recherche accrue du profit, un phénomène qui devrait s’aggraver si les dépenses de santé de l’État continuent à diminuer.

Selon ce décret du gouvernement, si les hôpitaux publics veulent acheter de nouveaux équipements médicaux ou agrandir leurs installations, ils doivent chercher des investisseurs et faire des appels d’offres comme une entreprise privée. Une démarche qui, selon ses opposants, freine souvent les hôpitaux qui rechignent à acheter les équipements modernes dont ils ont besoin parce qu’ils sont trop coûteux.

Minh Thi Hai Vo, titulaire d’un doctorat en politiques publiques à l’université Victoria de Wellington, en Nouvelle-Zélande, a écrit récemment dans un article que “pour les élites communistes, cette autonomie est une stratégie afin de réduire – et de supprimer progressivement – le financement public des services de santé”.

Les hôpitaux publics sont maintenant incités à instaurer des “pratiques contraires à l’éthique afin de faire le maximum de bénéfices”.

Malversations et abus

Des étages entiers sont ainsi réservés aux patients les plus riches, prêts à débourser un supplément pour avoir plus de confort, tandis que les équipements haut de gamme servent uniquement à facturer davantage les patients, affirme-t-elle.

De plus, les hôpitaux prolongent inutilement la durée de séjour des patients ou prescrivent trop de médicaments, tout cela dans le but de gonfler les factures des patients et les bénéfices des hôpitaux.

Cette inflation des frais médicaux vient grever le budget de l’assurance-maladie et risque à terme de creuser ses déficits de manière irrémédiable.

Par ailleurs la corruption au sein des hôpitaux se généralise, et ce problème ne risque pas d’être résolu rapidement étant donné que le Vietnam a déjà l’un des taux les plus élevés d’Asie en matière de corruption dans l’administration.

“Ces pratiques sont le reflet des malversations et des abus dans le secteur de la santé”, écrit Minh Vo.

De récentes inspections par le ministre de la Santé ont également révélé que les médecins prescrivaient des traitements superflus ou prolongeaient inutilement les séjours de leurs patients.

Combattre la corruption
Pour résoudre ces problèmes, le gouvernement compte apparemment simplifier les démarches administratives dans les hôpitaux, multiplier les inspections pour débusquer les mauvaises pratiques et mieux éduquer les patients.

Pourtant, étant donné l’incapacité manifeste du gouvernement à enrayer la corruption à petite échelle – des pots-de-vin aux fonctionnaires de police en passant par des “versements” pour obtenir des places dans les meilleures écoles –, le combat est perdu d’avance, s’accordent à dire les spécialistes.

Pour Minh Vo par exemple, le gouvernement devrait changer son approche des “services de santé et de leur contribution à la croissance économique : ils doivent être considérés comme un investissement pour l’avenir, et non comme un fardeau économique”.

David Hutt