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JIM - Levothyrox : une nouvelle lecture des données de bioéquivalence ravive la flambée médiatique

Avril 2019, par Info santé sécu social

Paris, le vendredi 5 avril 2019 –

Des chercheurs Français ont publié dans la revue Clinical Pharmacokinetics une lettre à l’éditeur présentant leurs résultats d’une réanalyse de l’étude de bioéquivalence comparant ancienne et nouvelle formule du Levothyrox réalisée par les laboratoires Merck.

Ces spécialistes considèrent que si une bioéquivalence moyenne est bien mise en évidence par cette étude, une observation minutieuse des données individuelles aurait pu permettre d’anticiper la multiplication et la nature des effets secondaires signalés par de nombreux patients.

Un changement de formulation discret mais non dissimulé
Au printemps 2017, à la demande de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), afin de proposer une formulation plus stable du médicament, une nouvelle formule du Levothyrox a été mise sur le marché français. L’une des principales modifications a été le remplacement d’un des excipients (le mannitol a pris la place du lactose). Les professionnels de santé ont été informés de cette modification par un courrier de l’ANSM et des laboratoires Merck, tandis que la présentation des boîtes a été très discrètement changée. Les spécialistes de l’hypothyroïdie n’ignoraient pas que chez les patients présentant un équilibre difficile à obtenir et à maintenir, ce changement de formulation pouvait conduire à des effets secondaires transitoires. Aussi, les professionnels de santé avaient été incités à la vigilance.

Un silence qui favorise les théories du complot
Un certain nombre de patients a effectivement été concerné par ces effets transitoires, un nombre absolu non négligeable compte tenu du fait que trois millions de personnes prennent du Levothyrox dans notre pays. Beaucoup cependant n’avaient pas été alertés et préparés par leur médecin, conduisant à des situations anxiogènes. Bientôt, ces cas qui étaient demeurés inexpliqués ont été médiatisés, donnant régulièrement lieu à des présentations erronées de la réalité et à des dérives. C’est ainsi que l’on a vu affirmer que le changement de formulation avait été à l’origine de décès, tandis que les théories du complot ont été nombreuses pour expliquer les raisons du changement de formulation.

Des enseignements multiples
Au-delà de ces ravages médiatiques qui en eux-mêmes ne sont pas sans nourrir la réflexion sur la transmission de l’information scientifique et les effets des réseaux sociaux, l’affaire pouvait conduire à de nombreuses questions médicales. La première d’ordre relationnel vise la communication auprès des patients sur les médicaments : le cas Levothyrox a en effet clairement mis en évidence les limites d’un discours cloisonné et sans accès direct aux personnes concernées. La seconde est plus scientifique et technique et concerne la pertinence des études de bioéquivalence, notamment pour des médicaments à marge thérapeutique étroite comme le Levothyrox.

En dehors de la bande de bioéquivalence
Ces dernières interrogations sont aujourd’hui de nouveau nourries par la publication dans la revue Clinical Pharmacokinetics d’une lettre à l’éditeur par des chercheurs français, qui a été largement médiatisée grâce à un article publié par Le Monde (qui en a fait sa une !). Les chercheurs ont procédé à une réanalyse des données de bioéquivalence produites par les laboratoires Merck. Leur lecture les a conduits à constater que parallèlement à une bioéquivalence moyenne satisfaisante, on pouvait observer une grande dispersion des résultats individuels. Les chercheurs indiquent qu’avec la nouvelle formule, 60 % des sujets inclus dans l’essai (qui comptait 200 personnes) se situaient en dehors de la bande de bioéquivalence. Ils émettent l’hypothèse que ce phénomène est lié à la différence de biodisponibilité entre le lactose et le mannitol. Les auteurs signalent encore que leurs travaux permettent de comprendre la diversité des effets secondaires signalés (évocateurs d’hypothyroïdie comme d’hyperthyroïdie).

Significativité ?
Que conclure de cette analyse qui fera l’objet d’un prochain article scientifique concernant sa méthode et ses résultats précis sur le JIM ? Les lecteurs avisés de la lettre publiée dans Clinical Pharmacokinetics ne semblent pas tous partager les conclusions des auteurs et encore moins celles des journalistes du Monde quant au fait que ces travaux démontrent qu’il existait des éléments sérieux qui auraient dû empêcher la substitution. La significativité des différences entre les deux groupes pourrait ainsi être discutée. Le Dr Dominique Dupagne qui avait également, avant ces chercheurs français, procédé à une analyse complète des données de bioéquivalence (analyse qui l’avait conduit à relativiser ses doutes initiaux), remarque ainsi sur Twitter : « Les auteurs concluent que des différences d’effet significatives entre les deux formulations pourraient concerner plus de patients que prévu, jusqu’à 50 % par exemple. Personne ne peut leur donner tort, personne peut affirmer qu’ils ont raison ». Il estime en tout état de cause qu’au-delà du débat « complexe » et pertinent concernant la méthodologie des études de bioéquivalence et le point de savoir si face à cette substitution une attention plus importante aurait dû être accordée à la dispersion individuelle « ce travail ne remet pas en cause les qualités intrinsèques du nouveau Levothyrox et ne peut expliquer les effets négatifs à long terme (…). Mais il peut expliquer le nombre inattendu de patients ayant souffert du changement de formule ».

Hystérie ?
Ainsi, ces travaux pourraient confirmer l’éventuel manque de préparation de l’ANSM concernant la substitution d’un médicament à marge thérapeutique étroite, à propos duquel existaient en outre déjà des précédents évocateurs (difficultés de substitution par les génériques). Mais ils ne préjugent en rien comme certains le suggèrent d’une intention malveillante de la part des autorités ou des laboratoires (on rappellera notamment qu’en retenant la bioéquivalence moyenne et en se basant sur les résultats d’une étude conduite par le laboratoire, l’ANSM s’est parfaitement conformée aux réglementations en vigueur, même si certains pourraient juger qu’elles sont inadaptées). Alors que beaucoup ont fait remarquer que ces données apportaient une contradiction cinglante à ceux qui ont raillé "l’hystérie" de certaines patientes, on peut effectivement une nouvelle fois observer combien cette affaire a révélé l’ampleur des blessures qui peuvent être provoquées par la minimisation de certaines plaintes. Néanmoins, ces travaux ne peuvent nullement totalement invalider l’existence d’une outrance très certaine de certaines réactions (notamment judiciaires), outrance confirmée par le fait que d’une part le nombre de signalements d’effets secondaires à l’ANSM reste en réalité très restreint par rapport au nombre de patients traités et qu’en Suisse la transition a été réalisée sans accroc majeur.

Aurélie Haroche