Le chômage

Alternative Economique - La réforme de l’assurance chômage ou le bel avenir du revenu universel d’activité

Juillet 2019, par Info santé sécu social

12/07/2019

Anne Eydoux
Chercheuse au CEET-Cnam et LISE

Deux importantes réformes de la protection sociale des personnes privées d’emploi ont été lancées juste avant l’été : celle du revenu de solidarité active (RSA), appelé à fusionner avec d’autres prestations pour devenir « revenu universel d’activité » (RUA), et celle de l’assurance chômage qui devrait entre autres 1 assécher les droits des demandeurs d’emploi en activité précaire.

La concomitance des deux réformes ne doit vraisemblablement rien au hasard. Il existe un phénomène de vases communicants entre l’assurance chômage et les minima sociaux. Selon une note de l’Unedic évoquée par le quotidien Le Monde 2, environ « 1,2 million de personnes seraient affectées » par la réforme de l’assurance chômage et exposées à une baisse plus ou moins importante de leur revenu d’indemnisation et de leurs droits à la retraite. Toujours selon cette note, certaines d’entre elles basculeraient vers le RSA, la prime d’activité et/ou les aides au logement. Avant même de voir le jour, voilà le RUA promis à un bel l’avenir !

Revenu universel d’activité : quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup !
Le gouvernement a lancé fin mai 2019 la concertation sur le RUA, en prévision d’un projet de loi en 2020. Les contours de la réforme sont encore flous et signalent que l’universalité pourrait ne pas être là où on l’attend – à savoir dans la généralisation et l’inconditionnalité des droits.

On peut d’abord s’attendre à une rationalisation annonciatrice de coupes sociales. L’idée est de mettre en place un guichet unique de prestations sociales aujourd’hui gérées par divers organismes selon des règles différentes. Ces prestations devraient être autant que possible fusionnées en une seule et versées dans certains cas de manière « automatique ». L’universalité fait ici référence au périmètre du RUA qui devrait, en englobant plusieurs minima sociaux et les aides au logement, inclure toute une gamme d’allocataires.

Interpréter ce regroupement comme une simplification est délicat, sachant que chaque prestation répond à des besoins spécifiques, avec des règles souvent sur mesure. La « simplification » pourrait être artificielle, regroupant sous un même nom des prestations différentes. Elle pourrait sinon impliquer une détérioration de certains droits, à commencer par les aides au logement si elles devaient être réservées aux allocataires des anciens minima sociaux et cesser de bénéficier à un éventail plus étendu de ménages modestes.

Le revenu universel dont il est question sera bien loin de l’inconditionnalité. Selon le Président de la république, les allocataires auront une « obligation d’inscription dans un parcours d’insertion, qui empêche de refuser plus de deux offres raisonnables d’emploi ou d’activité figurant dans son contrat » 3. Le discours annonce une conditionnalité et des sanctions renforcées, faisant comme si les allocataires passaient leur temps à refuser des emplois et omettant les difficultés réelles de celles et ceux qui ne sont pas en situation de travailler à court terme (du fait de problèmes de santé, de contraintes familiales, etc.). Mais, tout en excluant ces personnes, le RUA pourrait accueillir des demandeurs d’emploi précaires rejetés de l’assurance chômage par la réforme à venir.

Assurance chômage : une précarisation des précaires
Le 18 juin 2019, le Premier ministre et la ministre du Travail ont annoncé la réforme de l’assurance chômage, avec pour mesure phare (celle dont le gouvernement attend près de trois milliards d’euros d’économie) la réduction drastique des droits de nombreux demandeurs d’emploi. Le lapsus de la ministre annonçait pour ainsi dire la couleur : une réforme « contre le chômage et pour la précarité (…) contre la précarité ». Les demandeurs d’emploi les plus précaires devraient de fait payer le prix fort de la réforme.

Ils subiront d’abord le durcissement des conditions d’accès à l’assurance chômage (avoir travaillé 6 mois dans les 24 derniers mois au lieu de 4 mois dans les 28 derniers mois) et aux droits rechargeables (totaliser 6 mois de travail et non plus 150 heures, soit un mois). Ils seront aussi affectés par la mise en place d’un mode de calcul de l’indemnité de chômage particulièrement défavorable à ceux qui ont une trajectoire d’activité discontinue.

Comment le gouvernement justifie-t-il cette réforme ? L’argumentation se focalise sur le changement du mode de calcul. Pour Muriel Pénicaud, il y aurait un problème dans le système actuel qui permettrait « de rester indéfiniment au chômage en travaillant un jour sur deux » 4. La formule est confuse, et pour la comprendre il faut se pencher sur une note de deux économistes orthodoxes, Pierre Cahuc et Corinne Prost, publiée par le Conseil d’analyse économique (CAE) en septembre 2015. Cette note suggère que, compte tenu des règles de cumul s’appliquant aux activités réduites, les demandeurs d’emploi indemnisés seraient incités à choisir un contrat de travail précaire afin d’optimiser leurs gains en travaillant le moins possible. Le raisonnement ne tient qu’en confrontant des demandeurs d’emploi fictifs à un choix parfaitement irréaliste entre deux formes d’emplois précaires, à savoir un mi-temps et un CDD d’un jour sur deux payés le double du Smic.

Les précaires profiteurs, un argument fallacieux
Pour trouver avantageux les CDD, Cahuc, Prost et la ministre doivent les comparer à une situation plus défavorable encore : les temps partiels. Pour justifier un affaiblissement des droits, il leur faut imaginer des demandeurs d’emploi gagnant deux fois le Smic. Précisons que l’idée selon laquelle les demandeurs d’emploi pourraient gagner davantage en restant chez eux « un jour sur deux » plutôt qu’en travaillant continument relève largement du fantasme. Un salarié au Smic à temps complet ayant un droit à l’assurance chômage avait un taux de remplacement à 79 % en 2018, ce qui signifie que pour chaque jour non travaillé son indemnité ne représentait que 79 % de son salaire ; en travaillant continûment, il gagnait 100 % de son salaire, donc davantage. Personne n’a intérêt à « rester indéfiniment au chômage en travaillant un jour sur deux » 5, comme suggéré par la ministre. Lorsque cela arrive, c’est généralement faute de trouver un emploi en CDI à temps complet dans son domaine d’activité.

Au lieu de reconnaître que les règles d’indemnisation sont particulièrement défavorables aux travailleurs (souvent des travailleuses) à temps partiel, nos économistes et la ministre laissent entendre que les salariés en CDD seraient des profiteurs. Et proposent d’y remédier en recalculant leur indemnité à la baisse à l’aide d’un nouvel indicateur inventé de toute pièce : le « salaire mensuel de référence », qui se substituerait au salaire journalier de référence.

L’affaiblissement de la logique de contributivité
Comment une telle réforme agirait-elle sur les revenus des demandeurs d’emploi précaires ? Elle va détacher un peu plus leurs droits de leur contribution (désormais sous forme de CSG plutôt que de cotisation salariale). Aujourd’hui, un demandeur d’emploi qui a suffisamment contribué au système d’assurance chômage pour bénéficier d’une indemnité reçoit pendant une durée limitée (en fonction de sa durée de contribution et de son âge) une allocation dont le montant correspond à un pourcentage de son salaire journalier de référence.

On peut facilement illustrer les effets de la réforme à l’aide d’exemples réalistes. Durcir les conditions d’accès à l’assurance chômage et aux droits rechargeables privera un certain nombre de demandeurs d’emploi précaires de toute indemnité. Remplacer l’indicateur du salaire journalier par celui du salaire mensuel net n’aura en principe pas d’impact sur les indemnités de ceux qui ont travaillé continûment pendant la période de référence. Mais cela aura un impact négatif pour les plus précaires, impact qui dépendra du calendrier de leurs contrats de travail.

Prenons deux salariés précaires ayant travaillé chacun 6 mois au Smic dans les 24 derniers mois (conditions minimales prévues pour accéder aux droits à une indemnité), selon des agendas différents. Le premier a travaillé continûment les 6 derniers mois tandis que le second a connu des périodes de travail morcelées, par exemple des contrats de travail de 15 jours par mois sur la dernière année. Pour le premier, si elle est calculée en base mensuelle, l’indemnité correspondra à un pourcentage du Smic mensuel pour un emploi à temps complet. Pour le second, elle sera moitié moindre (le même pourcentage d’un demi Smic mensuel pour un emploi à temps complet, comme pour un.e salarié.e à mi-temps).

Les réformes d’après : tous au revenu universel d’activité
Une telle réforme permet d’imaginer les suivantes. Nos économistes orthodoxes (et le gouvernement) s’apercevront que les deux demandeurs d’emploi évoqués ci-dessus, bien qu’ayant contribué de la même manière au système, n’auront pas les mêmes droits. Au lieu de considérer que la réforme est peut-être allée trop loin dans la pénalité infligée à celles et ceux dont la trajectoire d’activité est morcelée, ils suggéreront qu’il serait plus logique d’aligner par le bas les conditions d’indemnisation de ces deux demandeurs d’emploi. Le bon indicateur pourrait alors être le « taux de remplacement bisannuel net » couvrant toute la période de référence.

Cela permettrait d’indemniser nos deux demandeurs d’emploi sur la même base, soit le quart d’un smic mensuel à temps complet et de faire des économies supplémentaires. En l’absence d’autres revenus, ils dépendraient principalement de leur famille, ou des minima sociaux si les ressources de leur foyer sont en dessous du seuil administratif d’accès aux aides sociales. Pour une prochaine réforme, nos économistes et le gouvernement pourraient éventuellement envisager de les basculer dans le futur RUA qui deviendrait ainsi vraiment le filet de sécurité minimum et universel de tou.te.s les précaires. Tout est prêt pour que se poursuive le détricotage de l’assurance chômage et l’appauvrissement des demandeurs d’emploi les plus précaires !

1. Pour plus des analyses plus détaillées sur la réforme, voir la note des économistes atterrés sur ce sujet, à paraître en juillet 2019.
2. Bertrand Bissuel, « La réforme de l’assurance-chômage pourrait avoir un impact plus massif qu’annoncé », Le Monde, 5 juillet 2019.
3. Cité par Adrien Sénécat, « Cinq questions sur le ‘revenu universel d’activité’ annoncé par Emmanuel Macron », Le Monde, 14 septembre 2018.
4. Citée par Alain Ruello, « Assurance-chômage : face à Pénicaud, la majorité remise ses critiques », Les Échos, 2 juillet 2019.
5. Cité par Adrien Sénécat, « Cinq questions sur le « revenu universel d’activité » annoncé par Emmanuel Macron », Le Monde, 15 septembre 2018.