Les retraites

Médiapart - Budget 2020 de la sécu : sus aux retraités !

Octobre 2019, par Info santé sécu social

4 OCTOBRE 2019 PAR LAURENT MAUDUIT

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 proroge la hausse de la CSG et la désindexation des pensions pour les retraités percevant plus de 2 000 euros par mois. À cela s’ajoute une mesure nouvelle : une hausse de la fiscalité sur les indemnités de départ à la retraite.

Dans les tiroirs du ministère des finances, d’innombrables rapports ont été rédigés depuis des lustres par des hauts fonctionnaires accréditant l’idée que, dans leur majorité, les retraités sont des nantis, et que, si des économies sont à faire pour résorber le fameux « trou » de la sécurité sociale, c’est d’abord à leurs dépens qu’il faut les réaliser. Cette croyance-là, Emmanuel Macron en est l’un des propagandistes les plus connus. Et sans grande surprise, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 et le projet de loi de finances pour 2020 en portent la trace.

Il faut scruter de près ces deux projets de budget, celui pour la sécu et celui pour l’État, et agréger les dispositions qu’ils prévoient pour mesurer que les retraités sont toujours dans la ligne de mire du gouvernement. En réponse au mouvement des « gilets jaunes », Emmanuel Macron avait pourtant assuré qu’il avait compris la colère sociale et avait fait quelques gestes d’apaisement. Mais, visiblement, la trêve est finie et le gouvernement veut repartir à la charge : sus aux retraités !

Dans le projet de loi de finances pour 2020 (que l’on peut télécharger ici (pdf, 1.8 MB)), à l’article 7 (page 75), une mesure nouvelle est passée largement inaperçue : la fiscalité des indemnités de départ à la retraite va être alourdie. Sous le titre « Limitation dans le temps de dépenses fiscales afin d’en garantir l’évaluation et suppression de dépenses fiscales inefficientes », la mesure est présentée de manière parfaitement anodine, dans « l’exposé des motifs » : « Cet article propose l’abrogation de l’option pour l’étalement de certains revenus tels que les indemnités de départ à la retraite, ces revenus résultant du versement de jours de congé versés sur un plan d’épargne salariale ou l’indemnité compensatrice de délai-congés (préavis), dès lors que ces dispositifs ne sont pas adaptés au contexte du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu et n’atteignent pas toujours l’objectif de limitation de la progressivité de l’impôt qui leur est assigné. »

Le gouvernement cherche à faire croire qu’il s’agit d’une mesure purement technique, de simple bon sens, qui aurait deux avantages : primo, elle serait en cohérence avec la mise en œuvre du prélèvement à la source ; secundo, elle n’aurait pas d’impact véritable sur la progressivité de l’impôt.
Cette présentation est mensongère, car cette disposition va conduire à une hausse de la fiscalité sur les indemnités de retraite. Concrètement, quand un salarié perçoit une indemnité de départ à la retraite, deux cas de figure se présentent : si celle-ci résulte d’un plan de sauvegarde de l’emploi, elle n’est pas imposable. Mais si ce n’est pas le cas, cette indemnité peut être assujettie de deux manières différentes, comme l’explique le site des impôts : le contribuable concerné peut opter pour le système du quotient ou il peut choisir l’étalement du paiement sur quatre années : « En cas d’étalement, l’indemnité ou la prime de départ à la retraite est répartie par parts égales sur l’année d’encaissement et les trois années suivantes. » En clair, le contribuable est imposé chaque année sur 25 % de la somme pendant quatre ans.

Jusqu’à présent, c’était ce système de l’étalement qui était le plus avantageux. Car, compte tenu du caractère progressif de l’impôt sur le revenu, l’imposition sur une seule année d’une telle indemnité exposait le contribuable à être frappé par des taux d’imposition plus élevés que dans le cas d’une imposition étalée sur quatre ans.

L’avantage de l’étalement sur quatre ans était d’autant plus fort que cette indemnité peut être importante. Le minimum légal est le suivant : un demi-mois de salaire de 10 ans à moins de 15 ans d’ancienneté, 1 mois de salaire de 15 ans à moins de 20 ans, 1 mois et demi de salaire de 20 ans à moins de 30 ans et 2 mois de salaire pour 30 ans et plus. Mais dans certaines entreprises, ou dans certaines branches où les conventions collectives sont plus généreuses, l’indemnité peut être beaucoup plus élevée, allant jusqu’à 7 ou 8 mois de salaire : par exemple jusqu’à 6 mois pour la convention collective nationale de la métallurgie et 7,5 mois pour celle des industries chimiques.

Le gouvernement prend de manière hypocrite une disposition qui équivaut à une hausse fiscale. La disposition est d’autant plus injuste qu’il ne s’agit pas d’un revenu récurrent mais d’un revenu exceptionnel, qui intervient à un moment de la vie où les salariés voient soudainement leurs revenus s’effondrer, du fait de leur basculement dans la retraite. Les salariés, et parmi eux les plus modestes, vont donc voir leur impôt augmenter du fait de cette disposition ; et des contribuables qui n’étaient pas assujettis risquent une année de le devenir.

Au passage, on peut observer que le ministère des finances fait feu de tout bois. Car, dans la perspective de l’entrée en vigueur du prélèvement à la source, pour les revenus de l’année 2018, il a organisé une année blanche, sauf pour les revenus exceptionnels. Et il a qualifié l’indemnité de départ en retraite de revenus exceptionnels taxables à ce titre, contrairement aux revenus courants. Si la disposition législative est adoptée, l’indemnité de départ en retraite ne sera plus considérée comme un revenu exceptionnel. Comprenne qui pourra ! Ou plutôt, c’est très simple à comprendre : le gouvernement retient ou écarte cette qualification de revenus exceptionnels selon que cela l’arrange ou non. Et donc, pour 2020, une année fiscale qui n’est pas blanche, il trouve une autre justification pour continuer à imposer au maximum ces mêmes revenus exceptionnels. Étrange tour de bonneteau fiscal où, à tous les coups, c’est Bercy qui gagne…

L’obsession anti-retraités du ministère du gouvernement fait d’autant moins de doute qu’elle est protéiforme. Pas plus tard que la semaine passée, on a ainsi appris que le gouvernement envisageait de mettre fin à l’exonération des cotisations sociales sur l’emploi à domicile pour toutes les personnes de plus de 70 ans. Une mesure aux effets très lourds pour beaucoup de personnes âgées. Aussitôt, le projet a suscité un tel tollé que Matignon a annoncé qu’il ne serait pas mis en œuvre. « Avec Muriel Pénicaud, la ministre du travail, nous sommes convenus que cette décision aurait mérité une consultation beaucoup plus approfondie. J’ai demandé à la ministre du travail de renoncer à cette mesure. Elle n’entrera pas en vigueur mais nous devrons trouver d’autres pistes d’économies », a expliqué le premier ministre le 24 septembre à l’Assemblée nationale.

En clair, le gouvernement avance sur ses obsessions à chaque fois que c’est possible. Et il fait un demi-pas en arrière, quand il y est contraint. Mais il poursuit toujours le même cap.

Les autres dispositions qui figurent dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 (que l’on peut télécharger ici (pdf, 2.8 MB)) en apportent la confirmation. Dans ce texte, on trouve ainsi une cascade de mesures d’austérité concernant tous les assurés sociaux (lire ici ou là). Mais on découvre aussi que d’autres mesures visant les retraités vont être prorogées et vont peser lourdement sur le pouvoir d’achat de certains d’entre eux.

Dans le lot, il y a bien sûr le maintien du dispositif sur la CSG. Voilà un an, le gouvernement avait annoncé une énorme ponction sur le pouvoir d’achat des retraités, en décidant de relever en 2019 de 1,7 point la CSG applicable aux pensions, portée du même coup à 9,2 %, contre 7,5 % auparavant. Face à la colère sociale, le gouvernement a finalement reculé et a annoncé que la hausse serait annulée pour les pensions inférieures à 2 000 euros brut.

Ce dispositif est, sans surprise, maintenu pour 2020, alors qu’il taxe fortement les pensions à partir de 2 000 euros, un niveau de revenu où l’on peut avoir encore beaucoup de difficultés à boucler les fins de mois. Disposerait-on d’une pension modeste à 1 900 euros brut par mois et d’une pension de riches avec 101 euros de plus ? L’incohérence du dispositif souligne que le souci du gouvernement n’est pas la justice sociale.

La désindexation des retraites est un autre indice de cette politique ciblant en priorité les retraités. Le gouvernement n’a pas revalorisé les retraites en 2018 et a annoncé que la revalorisation sera repoussée au 1er janvier 2019. Mais, finalement, pour cette année 2019, il a choisi de mettre en œuvre une politique violente d’austérité, en annonçant que les pensions ne seront revalorisées que de 0,3 % aussi bien en 2019 qu’en 2020, alors que l’inflation était évaluée autour de 1,6 % sur chacune des deux années. En 2019, le pouvoir d’achat de tous les retraités a donc baissé massivement.

Mais le Conseil constitutionnel a mis des bâtons dans les roues du gouvernement en annulant la désindexation des pensions pour 2020, au motif qu’une loi de finances est régie par la règle de l’annualité budgétaire.

Cela n’a été que partie remise. Dans le PLFSS pour 2020 (à la page 16), voici le dispositif prévu pour l’an prochain : « La revalorisation des pensions de base interviendra dès janvier 2020 sur le niveau d’inflation pour les retraités percevant moins de 2 000 euros brut par mois et à hauteur de 0,3 % pour les retraités dont les revenus sont supérieurs à ce seuil. » En clair, le gouvernement fait encore un petit pas en arrière, mais maintient un dispositif qui reste très pénalisant pour la très grande majorité des retraités, dont beaucoup sont modestes.

Ces mesures nombreuses n’ont certes rien à voir avec l’ampleur de la réforme des retraites à laquelle travaille le gouvernement. Mais au moins servent-elles d’alerte : faut-il vraiment le croire quand il jure ses grands dieux que le but qu’il poursuit est celui de la justice sociale ? Si le présent parle pour l’avenir, le doute est légitime…