Les retraites

L’Humanité - Retraites. La « clause du grand-père » hérisse

Novembre 2019, par Info santé sécu social

L’Humanité, 12 novembre 2019

Imaginé pour contrer la mobilisation du 5 décembre qui s’est élargie aux cheminots CGT, le stratagème est en passe de se retourner contre le gouvernement.

C’est une drôle d’histoire que content ces temps-ci les promoteurs de la transformation du régime universel des retraites en un système de cotisation par points. Un film qui pourrait avoir pour titre « la clause du grand-père contre le 5 décembre », contre lequel la critique ne cesse de grandir.

La clause du grand-père est une sorte de stratagème, imaginé par Emmanuel Macron, censé faire refluer la large mobilisation qui s’annonce dans trois semaines à l’appel de la CGT, FO et Solidaires contre cette réforme et, plus globalement, censé emporter l’adhésion des Français. La bidouille est simple. Le système par points envisagé ayant pour principe de créer un seul et même système en mettant fin aux régimes autonomes et spéciaux, l’idée serait de n’appliquer les conséquences de sa mise en pratique que sur les nouveaux entrants sur le marché du travail après le vote de la loi. C’est ce qu’avait laissé entendre le président de la République, en marge de son déplacement à La Réunion, en estimant que « sans doute il ne faut pas tout bousculer » pour ces salariés (policiers, cheminots, personnels soignants…) qui « ont un pacte avec la nation ». Après tout, la tactique a déjà été utilisée pour l’extinction progressive à partir du 1er janvier 2020 du statut de cheminots, telle qu’inscrite dans la récente réforme de la SNCF. Pourquoi ne pas la ressortir ?

La stratégie de la patate chaude appliquée une nouvelle fois
Mais la manœuvre ne va pas de soi, à voir le pas de deux effectué par Jean-Paul Delevoye la semaine dernière. Jeudi, le haut-commissaire aux retraites montait au créneau contre ce scénario par voie de presse, affirmant impossible la clause du grand-père. « Si on (le) fait pour une profession, il faut (le) faire pour tout le monde, question d’équité, ça veut dire que l’on renonce à la réforme. » Vendredi, le même, après recadrage du premier ministre, adoucissait son propos, sans en taire les enjeux. « Que les choses soient claires : (…) j’ai écrit dans mon rapport qu’il y avait trois options. Le système s’applique-t-il à la génération dite 1963 ? S’applique-t-il aux générations postérieures ou aux nouveaux entrants ? Le débat est clairement ouvert : il n’est pas tranché et sera tranché en son heure par le président de la République et le premier ministre. » La patate chaude dans les mains, Édouard Philippe a renvoyé le sujet à la seconde phase de la concertation en cours qui doit mener à la publication d’un projet de loi au printemps 2020. « Je suis déterminé à prendre mon temps pour faire en sorte de discuter et de trouver les bonnes solutions, pour rassurer l’ensemble des citoyens. »

Les cheminots s’incrivent dans le mouvement
Ces stratagèmes gouvernementaux exposés au grand jour ont eu pour conséquence de renforcer le front contre la réforme des retraites. Les cheminots CGT ont ainsi annoncé qu’ils s’inscrivaient « massivement dans la grève le 5 décembre », au côté de l’Unsa ferroviaire, SUD rail et FO cheminots (non représentatif), appelant leurs collègues « à participer aux assemblées générales pour décider des suites ». Une façon d’ouvrir la voie à une grève reconductible à la SNCF, comme à la RATP. Affirmant que « les contours de la future réforme des retraites sont rejetés massivement par les cheminots », le conseil national de la CGT cheminots exige non seulement « l’amélioration du régime général » actuel de retraite mais surtout « la réouverture du régime spécial » des cheminots « par son extension » à toute « la branche ferroviaire ».

Autre conséquence de cette histoire de clause du grand-père, le gouvernement semble avoir perdu une manche dans la bataille de l’opinion publique. Selon un sondage Elabe pour les Échos, seuls 29 % des Français soutiennent la réforme des retraites, parmi lesquels prévalent les personnes âgées de 65 ans et plus, soit celles qui n’auront pas à pâtir du futur système. En revanche, le front des opposants se renforce (47 %, + 4 % en un mois) notamment chez les actifs entre 25 et 49 ans.

Stéphane Guérard