Les retraites

Le Monde.fr : Réforme des retraites : l’exécutif inquiet face à la propagation des foyers de tensions

Novembre 2019, par infosecusanté

Le Monde.fr : Réforme des retraites : l’exécutif inquiet face à la propagation des foyers de tensions

Le gouvernement tente de maintenir son ambition réformatrice tout en évitant l’émergence d’une nouvelle mobilisation sociale, un an après le début du mouvement des « gilets jaunes ».

Par Manon Rescan , Cédric Pietralunga et Aline Leclerc •

Publié le 12 Novembre 2019

La cocotte-minute monte en pression. Alors que la mobilisation contre la réforme des retraites prend de l’ampleur et qu’un nombre croissant d’organisations syndicales et de professions appellent à rejoindre la grève reconductible prévue à partir du 5 décembre à la SNCF et à la RATP, l’exécutif tente de tenir sur une ligne de crête lui permettant de maintenir son ambition réformatrice tout en évitant l’émergence d’une nouvelle jacquerie sociale, un an après le début du mouvement des « gilets jaunes ».

Le gouvernement le sait et ne se cache même plus pour le dire : la mobilisation sera « très importante » le 5 décembre. Il y a une semaine, lors d’une réunion de groupe des députés de La République en marche (LRM), Edouard Philippe a lui-même préparé les esprits à un conflit dur. « Je viens souvent vous voir en vous disant que ça va tanguer. Cela a parfois tangué, parfois pas du tout. Mais ce n’est rien en comparaison de ce que l’on peut craindre avec la réforme des retraites. Cela va être sportif », a-t-il dit, en substance, aux élus de la majorité.

« A partir du 5 décembre, on rentre dans le rapport de force. Le changement de ton de Laurent Berger [secrétaire général de la CFDT], qui d’habitude sait dire ce qui va, est un signal faible qui dit à quel point celui-ci va être compliqué », estime une députée LRM. Secrétaire d’Etat aux transports, Jean-Baptiste Djebbari a reconnu que la journée du 5 décembre serait « difficile », a fortiori depuis l’annonce, le 8 novembre, du ralliement de la CGT-Cheminots à l’appel à la grève de SUD-Rail et de l’UNSA ferroviaire.

Possible alliance entre « gilets jaunes » et grévistes

Au sein de l’exécutif, on s’inquiète d’un blocage du pays, qui pourrait durer plusieurs jours voire plusieurs semaines. Mais aussi de nouveaux accès de violences, après ceux vécus lors de la crise des « gilets jaunes », qui fêteront le 17 novembre le premier anniversaire de leur mouvement. « Il va y avoir deux temps, la manifestation puis les violences », redoute une parlementaire LRM. « La crainte, c’est que des éléments perturbateurs qui ne cherchent que la violence viennent pour en découdre avec les forces de l’ordre », abonde Stéphane Travert, député (LRM) de la Manche et ancien ministre de l’agriculture.

D’autres s’interrogent sur une possible alliance entre « gilets jaunes » et grévistes. Réunies début novembre à Montpellier, pour leur quatrième « assemblée des assemblées », 200 délégations de « gilets jaunes » ont voté leur participation à la journée du 5 décembre. « L’heure est à la convergence avec le monde du travail et son maillage de milliers de syndicalistes qui, comme nous, n’acceptent pas », ont-ils écrit dans un communiqué. « La défaite du gouvernement sur sa réforme des retraites ouvrirait la voie à d’autres victoires pour notre camp », ajoutent-ils, avant de conclure par un « Tous ensemble, tous unis et cette fois, en même temps ! ».

Ces « gilets jaunes » ne représentent cependant qu’un courant parmi d’autres au sein de la fronde et cet appel ne dit rien de l’ampleur de la mobilisation le 5 décembre, un jeudi. Le mouvement n’a jusqu’ici connu ses temps forts, ses « actes », que le samedi, les « gilets jaunes », non syndiqués pour la plupart, et travaillant souvent dans des conditions précaires ou dans des toutes petites entreprises, étant peu enclin à faire grève. « En réalité, personne n’en sait rien », estime un conseiller ministériel, pour qui cette convergence serait « un cauchemar éveillé ».

« Détermination » à mener la réforme des retraites

Face à cette mobilisation, l’exécutif manie le chaud et le froid. D’un côté, le gouvernement assure que sa « détermination » à mener la réforme des retraites est « totale », comme l’a encore répété la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye, à l’issue du conseil des ministres du 7 novembre. Le gouvernement « ira au bout de cette transformation », a confirmé la porte-parole des députés LRM Aurore Bergé, le 10 novembre sur BFM-TV. « Le premier ministre a la volonté de poursuivre le travail, de ne pas poser le stylo », confirme l’entourage d’Edouard Philippe à Matignon.

Pour autant, pas question de réitérer l’erreur d’Alain Juppé, qui avait joué sur la seule fermeté pour tenter d’imposer en 1995 sa réforme des retraites et de la sécurité sociale. « Le gouvernement aborde cette échéance [du 5 décembre] dans une logique de la main tendue, pas dans une logique de confrontation », explique-t-on à Matignon. C’est pour cette raison que Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire chargé des retraites, a été recadré la semaine dernière, après avoir dit qu’activer la « clause du grand-père », c’est-à-dire n’appliquer la réforme qu’aux nouveaux entrants sur le marché du travail, comme l’a envisagé Emmanuel Macron fin octobre sur RTL, était « impossible ».

« Réformer, ce n’est pas taper sur la tête des gens. Le gouvernement a la volonté d’écouter et de prendre le temps qu’il faut pour rassurer », explique-t-on à Matignon, où l’on affirme que « rien n’est arbitré » sur cette « clause du grand-père ». De la même façon, pas question de s’enfermer dans un calendrier trop contraint. « Ralentir le rythme de transition entre l’ancien et le nouveau système de retraite permet de diminuer mécaniquement le nombre de personnes qui y perdront », observe un conseiller de l’exécutif, alors que les experts ont du mal à estimer le pourcentage de gagnants et de perdants à la réforme.

Pour éviter une éventuelle convergence des luttes, le gouvernement se dit également prêt à lâcher du lest à certaines professions, comme elle vient de le faire pour les policiers, qui ont obtenu le paiement d’une partie de leurs heures supplémentaires, ou pourrait le faire pour les agriculteurs, confronté à d’importantes difficultés. Un plan d’urgence pour les personnels de santé, qui appellent à une journée de grève dans les hôpitaux le 14 novembre, devrait également être annoncé dans les prochains jours.

« Il y a des revendications sociales qui sont légitimes. On essaie d’y répondre par des réformes de long terme mais on se rend compte que cela ne suffit pas et qu’il y a besoin de mesures d’urgence pour certains », concède l’entourage d’Edouard Philippe, qui se dit prêt à « des annonces fortes ». Assez pour faire baisser la tension et reprendre la négociation sur les retraites dans un climat apaisé ? Selon un sondage Elabe publié le 8 novembre, 47 % des Français se disent opposés à la réforme des pensions, un chiffre en hausse de quatre points sur un mois.

Manon Rescan , Cédric Pietralunga et Aline Leclerc