Les retraites

Alternatives Economiques : Retraites : un train peut en cacher... beaucoup d’autres

Novembre 2019, par infosecusanté

Alternatives Economiques : Retraites : un train peut en cacher... beaucoup d’autres

08/11/2019

A écouter les médias, rien ne serait plus urgent pour les habitants de ce beau pays de France que d’acheter une paire de basket ou un vélo, voire de remplir le réservoir de son automobile en prévision de la grève de la SNCF à partir du 5 décembre. « Une grève reconductible se profile », s’inquiète le Point. « La tension monte à la SNCF » constate Le Monde. Le Parisien, toujours proche de ses lecteurs ausculte la RATP et questionne : « y aura-t-il zéro métro, zéro RER ? »
Evidemment, un conflit dans les transports à propos des retraites, ça réveille quelques souvenirs. Ceux de novembre et décembre 1995 en premier lieu, lorsque 21 jours de blocages avaient contraint le gouvernement Juppé à jeter aux orties sa réforme des régimes spéciaux de retraite.

Vingt-cinq années ont passé et la pièce semble sur le point d’être rejouée. L’Elysée compulse les archives du mouvement syndical pour tenter un pronostic sur la durée probable du blocage, de 8 jours minimum (conflit de 2004) jusqu’à 4 semaines (en 1986).

Il y a une forme de confort (et de conformisme) intellectuel à remettre en scène l’éternelle lutte du pot de fer syndical cheminot, forcément conservateur, avec le pot de terre libéral gouvernemental, évidemment progressiste. On se souvient de Libération qui avait titré en 1995 « Juppé l’audace ! », à l’annonce du plan gouvernemental et provoquant une virulente protestation de la rédaction « de base ». Comme alors, nombre d’éditorialistes se plaisent à lire par avance le conflit comme celui des « deux France », celle qui est exposée aux risques et celle qui est protégée, avec le cheminot dans le rôle du plus privilégié, suivi de peu par le fonctionnaire.

Foyers d’affrontements

Mais à focaliser sur les grèves dans les transports, on risque bien de rater les nombreux autres trains que visent les réformes gouvernementales et donc autant de foyers d’affrontement. On en donnera ici quelques exemples : les personnels non médicaux hospitaliers et les enseignants qui pourraient voir leurs futures pensions chuter de 20 % à 30 % avec le nouveau calcul par point. Ou les personnels navigants du transport aérien dont le régime « spécial » permet aux salariés de Ryanair de se construire une retraite alors que leur employeur irlandais ne verse pas un kopeck de cotisation. Difficile de qualifier ces catégories de « privilégiées », lorsqu’elles se feront certainement entendre... comme en 2010. Cette année-là, les arrêts de travail contre le relèvement de l’âge de la retraite à 62 ans, concernaient non seulement les chemins de fer publics mais aussi l’enseignement, la chimie, le transport routier de marchandise, la santé, et même… les lycéens, menant à des manifestations rassemblant plusieurs millions de personnes.

Il y a une réalité à peine cachée dans le projet de réforme Macron-Delevoye, celle d’une nouvelle répartition des restrictions de pouvoir d’achat entre retraités. Explication : le fil rouge de toutes les réformes des retraites est de bloquer la part des richesses créées accordée aux pensions (actuellement 13,8% du PIB), alors que le nombre de seniors va augmenter de 20 % au cours des années à venir. Plus de gens devront manger la même part du gâteau. La réforme débattue en ce moment vise à prendre une cuillerée à Paul pour la redistribuer à Pierre et Jacques, sans remettre en cause les autres parties prenantes du PIB : salariés, actionnaires, rentiers… Et sans même se poser la question d’une plus grande création de richesse globale. Résultat, le gouvernement risque de dresser les futurs retraités les uns contre les autres.

Pour rester dans la métaphore ferroviaire, le gouvernement cherche donc à séparer les wagons. Tout en affichant la fermeté – « je ne renoncerai pas à l’objectif », dit Emmanuel Macron – , il cherche la négociation profession par profession : cheminot, enseignants, aide-soignantes, avocats, pilotes…. Cela ressemble à la tactique du « salami hongrois », qui consiste à avaler les oppositions les unes après les autres.

Le 22 novembre, l’exécutif dit soumettre une proposition sur le régime de la SNCF dans l’espoir de séparer la CFDT et l’Unsa du front CGT-SUD-FO. Au ministère des Transports, très inquiet de la réactivité sociale de la SNCF et de la RATP, on évoque une flexibilité maximale avec la « clause du grand-père », qui n’appliquerait la réforme qu’aux nouveaux entrants dans les emplois, soit vers 2060 !

Cela désarme les critiques les plus virulentes en brouillant la cible des opposants. Cela permet à Alain Minc, chaud partisan de la clause du grand-père et visiteur du soir d’Emmanuel Macron, d’amuser la galerie. Mais pas le haut commissaire à la réforme Jean-Paul Delevoye qui le dit nettement dans le Parisien : « si l’on fait la clause du grand-père pour une profession, il faudra la faire pour les autres. Question d’équité. Cela veut dire qu’on renonce à la réforme ». Et de fixer les bornes d’une négociation : la transition pour les régimes spéciaux pourrait prendre de 15 ans à… trente ans. Il semble bien que la négociation avec les syndicats réformistes se double d’un débat interne au gouvernement sur l’étendue des concessions possibles.

Serait-ce suffisant pour éviter une déflagration majeure ? Rien n’est moins sûr. D’autant que les bombes, c’est comme les emmerdes, ça vole en escadrille : la veille de la réunion avec certains syndicats de la SNCF, le Conseil d’orientation des retraites rendra un avis (sur saisine du gouvernement) relatif aux « conditions de l’équilibre des retraites ». S’il s’avérait qu’il manquera quelques milliards dans les caisses sociales en 2025 ou 2030, l’allongement de la durée de cotisation ou de l’âge de départ reviendraient au centre des débats. Et là, ce ne seront plus quelques centaines de milliers d’agents des services publics qui seront concernés, mais pas moins de 35 millions de personnes au travail ! Un sacré train, pour sûr.