Les retraites

Le Monde.fr : Retraites : « La question de la santé est un enjeu essentiel pour bâtir un système équitable »

Décembre 2019, par infosecusanté

Le Monde.fr : Retraites : « La question de la santé est un enjeu essentiel pour bâtir un système équitable »

Tribune

Thierry Lang

Professeur de santé publique à l’université de Toulouse

Les inégalités sociales, la pénibilité au travail et les conditions d’habitat, qui ont un impact sur la santé, doivent êtres prises en compte dans le débat sur les retraites, estime l’épidémiologiste Thierry Lang, dans une tribune au « Monde ».

Publié le 18/12/2019

Tribune. Dans le débat sur les retraites, la santé apparaît comme un secteur particulier, avec des professionnels dont le départ de l’âge à la retraite pourrait être revu et un secteur hospitalier en crise profonde. Mais la santé, c’est aussi l’état de santé des salariés, qui est un paramètre majeur de la réflexion sur les retraites.

On sait que de fortes différences d’espérance de vie existent en France, parmi les plus élevées de l’ouest de l’Europe. Treize ans d’espérance de vie, pas moins, séparent les 5 % des Français qui disposent des plus hauts revenus des 5 % aux revenus les plus faibles. Encore faut-il bien vivre ces années et en bénéficier pleinement. De ce point de vue, globalement, la France fait pâle figure comparativement à ses voisins.

L’espérance de vie en bonne santé, qui mesure cette part de la vie dont on peut jouir sans incapacité, sans être gêné dans sa vie quotidienne, stagne en France depuis dix ans, reste inférieure à la moyenne de l’Union européenne et de dix ans inférieure à celle de la Suède pour une espérance de vie comparable.

De fortes inégalités

Parvenir à l’âge de la retraite en bonne santé n’est donc pas particulièrement facile en France. Mais ces atteintes à la santé ne frappent pas au hasard et les mauvaises performances françaises cachent de fortes inégalités. A 35 ans, un cadre peut espérer vivre 40 ans en bonne santé (auxquels s’ajoutent 7 ans avec une incapacité), alors que cette quarantaine d’années est tout ce que peut espérer vivre un ouvrier et encore en passera-t-il neuf ans avec une incapacité.

Le travail vient immédiatement à l’esprit pour expliquer ces différences, à la fin d’une vie professionnelle au cours de laquelle la répartition des expositions toxiques de tous ordres est loin d’être équitablement partagée.

Par exemple, selon les services du ministère du travail (enquête Sumer 2017), moins de 2 % des cadres sont exposés à au moins un produit chimique cancérogène, alors que 30 % des ouvriers qualifiés le sont. Les conditions de travail ne sont certes pas seules en cause. L’ensemble des conditions de vie qui va de pair avec de petits revenus contribue à ce résultat.

Pour ne prendre qu’un exemple, l’urbanisme ajoute souvent un problème de justice environnementale. En 2001, l’explosion de l’usine AZF n’est pas survenue n’importe où dans Toulouse, mais dans des quartiers populaires. Pour prendre un autre exemple, dans nombre de projets d’urbanisme, les logements sociaux sont situés à proximité des axes routiers et ferroviaires, donc les plus exposés à la pollution, selon un schéma qui n’est pas retrouvé qu’en France.

Formidable injustice

Autrement dit, à un âge donné, l’usure du corps ou son âge biologique vont permettre d’aborder la retraite dans des conditions très différentes, courte et de qualité médiocre en bas de l’échelle des revenus, plus longue et agréable pour les plus hauts revenus. La question de la santé est donc un enjeu essentiel pour bâtir un système équitable. Pour réduire l’usure du corps, la question de la pénibilité est centrale. Certes, elle est difficile à mesurer, mais cet argument « de méthode » n’en n’est pas un, dès lors que chercheurs et professionnels pourraient s’en donner les moyens dans le cadre d’un appel d’offres de recherche.

On sait que la survenue d’incapacités liées au travail rend l’accès à l’emploi plus difficile. Dans un système de retraite à points, ces difficultés pourraient pénaliser un peu plus les travailleurs victimes de diverses atteintes à la santé, en limitant leur parcours d’emploi et donc le niveau de leur retraite.

Si une réflexion sur les retraites met au centre la solidarité, elle doit aussi prendre en compte cette formidable injustice que sont les inégalités sociales de santé et pas seulement face à l’espérance de vie. Négliger la santé dans une réflexion serait une contribution à l’élargissement des inégalités sociales, dont celles de la santé, que le plan national de santé publique appelle précisément à réduire.

Thierry Lang (Professeur de santé publique à l’université de Toulouse)