Les retraites

Le Monde.fr : Retraites : « La plus grande...

Décembre 2019, par infosecusanté

Le Monde.fr : Retraites : « La plus grande inégalité est d’ordre générationnel »

Tribune

Arnaud Chéron

Economiste

Dans une tribune au « Monde », l’économiste Arnaud Chéron propose de taxer les retraités les plus aisés pour financer l’effort de formation professionnelle des salariés les plus âgés, amenés à travailler plus longtemps.

Publié le 18/12/2019

Tribune. Le débat autour du projet de réforme des retraites porte aujourd’hui très largement sur la question des inégalités entre les bénéficiaires du régime général et ceux des régimes spéciaux, ainsi que sur la nécessité de relever l’âge moyen de départ en retraite, dans le cadre d’une réforme systémique qui introduirait la retraite par points.

« Le choix fait est celui de la réduction des inégalités entre les actifs, futurs retraités, sans mettre à contribution les retraités actuels, au moins les plus aisés d’entre eux »

Ce débat oublie en fait que la plus grande inégalité (iniquité) est d’ordre générationnel : les papy-boomers (génération du baby-boom aujourd’hui partie en retraite) ont réalisé un « hold-up » sur le système par répartition. Tout en contribuant en moyenne relativement moins à la protection sociale durant leur carrière, du fait de prélèvements obligatoires inférieurs à ceux actuellement en vigueur, ils ont bénéficié d’un âge de départ à la retraite substantiellement plus bas que celui que connaîtront leurs descendants, alors même que l’espérance de vie se stabilise. Or, le choix fait est celui de la réduction des inégalités entre les actifs, futurs retraités, sans mettre à contribution les retraités actuels, au moins les plus aisés d’entre eux.

Il semble raisonnable de très largement uniformiser notre système, qui a entretenu le déficit de certaines caisses en arguant de facteurs de pénibilité aujourd’hui plus que contestables, tout en maintenant hors du régime général quelques métiers à risques (pompiers, militaires ou policiers). Il semble également raisonnable que cette uniformisation passe par un relèvement de l’âge moyen de départ en retraite (avec un âge pivot, par exemple à 64 ans), afin de pérenniser une fois pour toutes l’équilibre financier du régime, dont les dépenses représentent déjà 14 % du PIB, et faire face au défi posé par la démographie.

Pas de « montée en gamme » chez les 50-59 ans

En revanche, il semble tout aussi raisonnable de mettre à contribution les retraités les plus aisés pour faciliter cette transition : l’allongement des carrières doit pouvoir se faire dans les meilleures conditions, notamment en terme d’emploi. L’augmentation continue de l’âge moyen de départ à la retraite depuis une quinzaine d’années (proche de 62 ans actuellement), qui fait suite aux réformes successives du système et à la suppression des dispenses de recherche d’emploi, s’est accompagnée d’un relèvement très marqué de l’emploi des seniors, bien avant 60 ans. Le taux moyen d’emploi entre 50 et 59 ans a ainsi progressé d’environ 10 points sur cette période, malgré une conjoncture peu porteuse.

Cette appréciation quantitative ne doit pas pour autant éluder une appréciation plus qualitative des emplois occupés, en distinguant notamment les postes dits complexes, bien rémunérés, renvoyant à l’exécution de fonctions managériales et à fortes dominantes cognitives, des postes dits routiniers (typiquement ceux occupés par les employés et ouvriers). Et c’est là que le bât blesse : alors que, pour les 30-49 ans, la part des emplois complexes dans l’emploi non agricole a progressé de 8 points depuis le début des années 2000 pour atteindre près de 32 %, contrepartie de la diminution de la part des emplois routiniers, on n’a pas observé cette même « montée en gamme » chez les 50-59 ans : la part des postes complexes, tout comme celle des emplois routiniers, est restée stable pour cette classe d’âge.

« Il ne faut pas faire porter sur les seuls actifs le prix des erreurs du passé »

La formation professionnelle doit donc être au cœur des mesures d’accompagnement de la réforme du système des retraites, avec un véritable soutien financier offert aux entreprises qui proposent de former leurs salariés en deuxième partie de carrière. Comment financer cette sorte de « plan Marshall » de la formation professionnelle ? Précisément avec une mise à contribution fiscale des retraités les plus aisés. Ce serait un juste retour des choses, de nature à restaurer une certaine équité intergénérationnelle. Il ne faut pas faire porter sur les seuls actifs le prix des erreurs du passé.

¶Arnaud Chéron est directeur du pôle de recherche en économie de l’EDHEC Business School.

Arnaud Chéron (Economiste)