Les retraites

Le Monde.fr : Réforme des retraites : la CFDT fait grise mine

Décembre 2019, par infosecusanté

Le Monde.fr : Réforme des retraites : la CFDT fait grise mine

Le syndicat dirigé par Laurent Berger n’a pas obtenu satisfaction sur nombre de ses revendications comme le retrait de l’âge pivot qu’il dénonce depuis des mois.

Par Bertrand Bissuel et Raphaëlle Besse Desmoulières •

Publié le 23/12/2019

L’exécutif a-t-il cherché à « cornériser » la CFDT sur la réforme des retraites ? C’est le drôle de sentiment qui régnait, ces derniers jours, dans les couloirs du premier syndicat de France. « Ce ne sont pas des poètes, s’ils pensent qu’ils peuvent se passer de nous, ils ne s’embêteront pas, explique-t-on à la confédération cédétiste, boulevard de la Villette, à Paris. Et s’ils veulent nous mettre dans le corner, on en sortira. »

Avant les vacances de Noël, la CFDT faisait grise mine. La centrale de Belleville n’a pas obtenu satisfaction sur nombre de ses revendications. A commencer par le retrait de l’« âge pivot », également appelé « âge d’équilibre », qu’elle dénonce depuis des mois.

« Il n’y a pas de compromis possible sur la base de discussions que le gouvernement a choisie », redit-on dans l’entourage du secrétaire général, Laurent Berger. Celui-ci donne désormais rendez-vous à la rentrée. S’il n’appelle pas à s’associer à la journée d’action du 9 janvier organisée, entre autres, par la CGT et Force ouvrière (FO), il n’est pas question de rester sans rien faire. Il s’agira d’« aller interpeller des parlementaires dès la première semaine de janvier », mais aussi de « proposer aux citoyens de se mobiliser, pourquoi pas un samedi », de manière « festive », a détaillé le numéro un cédétiste, le 20 décembre, sur France Inter. Avec en ligne de mire la présentation, le 22 janvier, du projet de loi en conseil des ministres.

Basculement dans le camp des contestataires

Favorable depuis plus de dix ans à l’idée d’une réforme universelle des retraites, la CFDT a pourtant basculé dans le camp des contestataires. En cause : le mécanisme de l’âge pivot, assorti d’un malus et d’un bonus, que le gouvernement souhaite mettre en place. Il est, selon M. Berger, profondément injuste, notamment pour les actifs qui ont commencé à travailler jeunes. Et plus encore pour ceux « dans la métallurgie, dans le bâtiment et les travaux publics, dans l’agroalimentaire » qui « en 2022 auront tous leurs trimestres, tout comme il faut », mais « qui seront obligés de travailler en 2022 quatre mois de plus, en 2023 huit mois de plus, en 2024 un an de plus ». Le but de ce mécanisme, prévu pour atteindre 64 ans en 2027, est de remettre les comptes dans le vert.

Pour M. Berger, ce dispositif est « une verrue » qu’il faut retirer au plus vite. Cela fait des mois qu’il répète que sa confédération n’en veut pas et qu’elle mobilisera contre s’il était retenu. Mais rien n’y a fait. Même pas un ultime coup de téléphone entre le président de la République, Emmanuel Macron, et le leader cédétiste, le week-end du 7 décembre.

Quatre jours plus tard, après les annonces du premier ministre, Edouard Philippe, au Conseil économique, social et environnemental, M. Berger laisse éclater sa colère. Le 19 décembre, après un nouveau tour de discussion entre le chef du gouvernement et les partenaires sociaux, l’ancien conseiller en insertion continue à déplorer ce « point qui fâche ».

Au sommet de l’Etat, on se défend d’avoir cherché à marginaliser la confédération de Belleville. « C’est un acteur essentiel du dialogue social, rappelle un membre du gouvernement. Mais l’alpha et l’oméga avec la CFDT se résument à : “Il faut retirer l’âge d’équilibre.” Il y a plein d’autres choses à discuter. »

« Une stratégie qui n’a pas porté ses fruits »

Le fait que des améliorations soient « envisageables » sur des thèmes qui lui sont chers, comme le minimum de pension et la retraite progressive, est perçu par le successeur de François Chérèque comme la preuve d’une « volonté de dialogue ». Mais sur la pénibilité, un autre de ses marqueurs forts, on est encore loin du compte. Certains seuils pourraient être retravaillés, mais les quatre critères supprimés en 2017 ne seront pas réintroduits.

« En termes d’ouvertures, sauf sur les régimes spéciaux, tout ça est assez faible », critique-t-on à la CFDT. « Certes, répond un bon connaisseur du dossier, mais tout ce que le gouvernement cède, il faudra le financer : plus ils en rajoutent, plus ils auront besoin de l’âge pivot. » Comprendre : une raison de plus pour l’exécutif de ne pas lâcher ce mécanisme.

« Berger a vécu une vie d’enfant gâté, lâche un dirigeant patronal. Sous le précédent quinquennat, il était ministre bis du travail, là, il revient sur Terre. » Pour le responsable d’un autre mouvement d’employeurs, ce que demande le secrétaire général de la CFDT « est complètement irréaliste ». Selon lui, ce dernier « a besoin d’un os à ronger car il a un problème avec sa base ». « Il est sous la pression de sa fédération dans le secteur ferroviaire », complète l’artisan d’une des dernières réformes des retraites. Contrairement au souhait qu’il a formulé quelques jours plus tôt, la CFDT-Cheminots a refusé, vendredi 20 décembre, de faire une « trêve » pendant les vacances. Lundi, le trafic devait être encore très perturbé à la SNCF comme à la RATP.

La direction de la centrale cédétiste est dans une position d’autant plus délicate que « sa stratégie de différenciation par rapport à d’autres syndicats – la CGT, en particulier – n’a pas porté ses fruits », analyse un ex-conseiller de l’exécutif qui connaît bien les questions sociales. « Ça doit être assez décevant à vivre, pour une organisation qui a placé le dialogue au cœur de son action, ajoute-t-il. Elle se retrouve dans une impasse. »

Dans une impasse, effectivement, car un mur a été dressé face à elle par le gouvernement. Celui-ci reste sourd aux doléances de M. Berger « pour des raisons tactiques », estime Dominique Andolfatto, chercheur en science politique à l’université Bourgogne Franche-Comté. L’équipe de M. Philippe pense que « la CFDT n’a pas les clés du conflit en cours », notamment à la RATP et à la SNCF, contrairement à l’UNSA, par exemple, premier syndicat dans la régie des transports parisiens et numéro deux dans l’entreprise ferroviaire. Deux secteurs qui ont constitué la priorité de l’exécutif ces derniers jours.

« La CFDT n’est pas perçue comme un “adversaire” qui compte autant que d’autres syndicats, juge M. Andolfatto. D’ailleurs, le fait qu’elle ait rejoint la contestation n’a pas augmenté les effectifs de manifestants, le 17 décembre, par rapport à la première journée nationale d’action initiée douze jours plus tôt. Céder à la CFDT ne permettrait pas de clore le conflit car la CGT, FO ou SUD poursuivraient, de leur côté, la lutte. »

L’attitude extrêmement ferme du premier ministre tient aussi à des considérations politiques. « Le gouvernement – et sans doute Emmanuel Macron – ne veut pas faire de Laurent Berger son interlocuteur privilégié, voire exclusif, décrypte M. Andolfatto. Ce serait lui donner beaucoup d’importance, voire lui conférer un rôle, à proprement parler, politique : il pourrait ainsi apparaître comme un homme providentiel, comme le reconstructeur et le chef de file d’une nouvelle social-démocratie à la française, réalisant un vieux rêve cédétiste. » Une perspective que le chef de l’Etat ne peut même pas envisager, car le secrétaire général de la CFDT « deviendrait une sorte de rival bien plus dangereux que Marine Le Pen pour la présidentielle de 2022 », pronostique M. Andolfatto.

Pour l’ex-numéro un de FO, Jean-Claude Mailly, cela tient aussi à des représentations différentes du syndicalisme entre MM. Macron et Berger : pour le premier, le rôle du syndicat se situe dans l’entreprise et non au niveau national, pour le second, cela relève de l’intérêt général. « Ce n’est pas tant une question de personnes, insiste-t-il. Mais depuis le début, entre les deux, il y a une forme d’incompatibilité, le nœud est là. »

La CFDT reléguée au second plan par le gouvernement

Boulevard de la Villette, on considère d’ailleurs qu’il est plus facile de discuter avec le locataire de Matignon qu’avec celui de l’Elysée. « D’un côté, on a un homme de droite, budgétaire mais avec des valeurs, bref, un mec respectable, décrit un responsable de la CFDT. De l’autre, on a quelqu’un qui a une colonne vertébrale plus souple. »

Le fait de tenir à distance M. Berger n’est pas du goût de tout le monde au sein de la Macronie, en particulier dans l’aile gauche du groupe La République en marche (LRM) à l’Assemblée nationale.

« Ce n’est pas forcément très habile de s’en passer, confie Sacha Houlié, député de la Vienne. Dans un contexte de profonde léthargie de la social-démocratie, il est l’un des rares à redonner de la fierté à ce courant de pensée. » Son collègue du Vaucluse, Jean-François Cesarini, trouve « quand même étrange » que la CFDT soit reléguée au second plan par le gouvernement. Ces deux élus, avec d’autres collègues du « pôle social-démocrate » de la majorité, plaident pour une tout autre approche.

Le 16 décembre, ils étaient environ une dizaine pour échanger avec le leader cédétiste dans un café, à quelques pas du Palais-Bourbon. Des discussions informelles qui n’avaient rien d’inédit : plusieurs membres du groupe LRM – comme Sacha Houlié ou Pierre Person (Paris) – entretiennent des contacts réguliers avec des dirigeants syndicaux. Mais cette réunion avec M. Berger avait une dimension particulière puisqu’il a beaucoup été question de la réforme des retraites : « Nous avons essayé de dégager de possibles points de convergence, notamment sur la question de l’âge d’équilibre », explique M. Cesarini, qui aimerait une meilleure prise en compte de l’espérance de vie en bonne santé dans le calcul des droits.

« Une République sociale étrange »

Le parlementaire de Vaucluse souligne, par ailleurs, que la recherche de l’équilibre budgétaire est certes importante mais ne doit pas brouiller le projet d’un système universel de pensions. « Je ne suis pas du tout convaincue par l’âge pivot, indique également Barbara Pompili, députée (LRM) de la Somme, qui était présente lors de la rencontre. Du coup, on ne parle pas de l’architecture du système. Il ne faut pas mélanger les deux. » L’initiative de ces francs-tireurs indispose les patrons de la majorité comme l’exécutif. Un député rapporte que plusieurs de ses collègues ont été contactés pour les dissuader de participer au rendez-vous avec M. Berger.

Le sort réservé à la CFDT « interroge la fabrique des réformes en France », aux yeux de M. Andolfatto. Comment, en effet, notre pays peut-il avoir plongé dans un tel état de tensions, alors que le projet du gouvernement a fait l’objet d’une concertation depuis la fin 2017 avec les partenaires sociaux ?

Cette longue phase de réflexion pouvait laisser penser que les corps intermédiaires ne seraient pas cantonnés à un rôle de figurant. « Mais à cette première séquence succède aujourd’hui une crise sociale profonde conduisant à marginaliser celui qui est pourtant le leader de la première confédération syndicale, remarque M. Andolfatto. Nous sommes dans une République sociale étrange. »

Pour M. Mailly, la stratégie de l’exécutif est « risquée ». « Un gouvernement qui passe en force, ce n’est jamais bon, pointe l’ancien secrétaire général de FO. Il le paie toujours à un moment donné et, en général, c’est dans les urnes. Jouer à ça, c’est jouer avec le feu. »