Les retraites

Le Monde.fr : Réforme des retraites : l’or de la campagne présidentielle s’est transformé en plomb

Décembre 2019, par infosecusanté

Le Monde.fr : Réforme des retraites : l’or de la campagne présidentielle s’est transformé en plomb

Françoise Fressoz

éditorialiste au « Monde »

Le candidat Macron avait fait de la rénovation du modèle social une promesse de campagne. Mais dans le conflit actuel, il a contre lui la gauche et une partie de l’opinion, relève Françoise Fressoz, éditorialiste au « Monde ».

Publié le 24/12/2019

Quel gâchis ! Quelle que soit l’issue du rapport de force autour de la réforme des retraites, l’exécutif a déjà perdu une bataille. Au lieu de décrisper la société, il a transformé en plomb l’or de la campagne présidentielle de 2017.

La rénovation du modèle social était la grande promesse du candidat Macron. Elle visait à mettre à bas les rentes pour mieux protéger ceux qui avaient du mal à se faire une place sur le marché du travail. S’inspirant de la doctrine sociale libérale qui imprégnait de plus en plus le Parti socialiste, Emmanuel Macron se faisait fort de doter les individus de droits sociaux qui les accompagneraient durant toute leur vie.
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Au lieu d’être vécue comme une menace, la mobilité devait devenir une opportunité. Le renforcement des droits individuels allait de pair avec la notion du libre choix : liberté de changer de travail grâce au compte épargne formation ; liberté de choisir librement la date de la fin de sa vie professionnelle grâce au système universel de retraite par points.

Toute cette dimension émancipatrice a disparu, entretenant un malentendu profond sur la nature de la transformation en cours : unie dans le rejet de la réforme des retraites, la gauche accuse le président de la République de vouloir raboter les droits sociaux, ce qui, dans Les Echos du 17 décembre, fait bondir l’économiste Nicolas Bouzou.

« La réforme des retraites présente l’immense avantage social de faire entrer dans le système les personnes qui jusqu’alors ne travaillaient pas suffisamment pour être protégées, constate-t-il. Elle constitue un effort de solidarité important à l’égard des Français les plus fragiles via une série de mesures comme l’augmentation du minimum contributif… Elle pénalise en retour les plus fortunés qui, au-delà d’un plafond de 120 000 euros, cotiseront sans droits. »

Limites du macronisme

A ses yeux, la réforme est bel et bien de gauche, y compris, ajoute-t-il, dans le risque qu’elle comporte d’accroître à terme les déficits et la dette publique.

Car le fait est qu’elle se construit à l’aveugle, c’est-à-dire sans chiffrage précis alors même que le gouvernement est conduit, pour tenter d’éteindre l’incendie social, à multiplier les concessions. C’est le cas notamment à la SNCF et à la RATP où, pour inciter à la reprise du travail, les directions des deux entreprises s’efforcent d’effacer, pour les personnels en place, les conséquences de la disparition des régimes spéciaux.

Il n’existe personne à gauche pour défendre haut et fort les bienfaits de la réforme.

Le manque d’alliés à gauche explique en grande partie les difficultés actuelles du gouvernement. Il n’existe personne dans ce camp pour défendre haut et fort les bienfaits de la réforme. Le seul qui aurait pu le faire s’appelle Laurent Berger. Le secrétaire général de la CFDT est en effet un ardent partisan de la retraite universelle par points.

Mais Emmanuel Macron et le premier ministre Edouard Philippe le tiennent soigneusement à distance en maintenant le chiffon rouge de l’âge pivot pour tenter d’équilibrer le système. Hors de question pour eux d’acheter telle quelle une réforme venue du monde syndical, dut-elle être la plus conforme aux aspirations de la campagne présidentielle.

On touche là aux limites du macronisme : pour escompter une réélection, Emmanuel Macron se doit d’abord de flatter sa base électorale. Celle-ci était en 2017 et de gauche et de droite. Elle penche en 2019 de plus en plus à droite.

Dans le conflit actuel, le président de la République a contre lui l’ensemble de la gauche. Il bénéficie en revanche du soutien appuyé des sympathisants de La République en marche et de l’appui majoritaire des anciens électeurs de François Fillon. Les actuels retraités, non impactés par la réforme, sont également derrière lui. Non seulement il ne faut pas les effaroucher, mais il faut leur fournir des gages de fermeté et de sérieux.

Question de l’équilibre financier

L’épreuve de force avec les syndicats les plus extrémistes fait partie de la scénographie obligée de même que la question de l’équilibre financier. Et tant pis si ce dernier critère entre en contradiction flagrante avec la dizaine de milliards d’euros que le gouvernement semble par ailleurs prêt à mobiliser pour sauver sa réforme.

Pour éviter l’émergence sur son flanc droit d’un challengeur sérieux en 2022, Emmanuel Macron doit être celui qui aura mis à bas les régimes spéciaux et fait travailler les Français un peu plus longtemps. Ces deux antiennes sont en effet celles de la droite.

Paradoxe dans lequel s’est enfermé le gouvernement : les syndicats réformistes ne sont pas complètement ostracisés

On en arrive ainsi au cœur du paradoxe dans lequel s’est enfermé le gouvernement : les syndicats réformistes ne sont pas complètement ostracisés. Au fil des semaines, ils parviennent même à arracher de substantiels aménagements sur des sujets clés, comme la pénibilité, le montant minimum de la pension ou les retraites progressives, mais ces avancées sociales ne sont jamais maximisées. Au contraire, elles sont systématiquement minimisées, leur coût est masqué afin de ne pas ouvrir, à droite, un procès en laxisme budgétaire. Le « en même temps » présidentiel qui était, au départ, une promesse de vérité et de renouvellement est devenu une machine à fabriquer du faux-semblant et à laminer le discours social.

Il en résulte que, loin de décroître, la défiance marque le climat ambiant. Chez les grévistes, la stratégie du pourrissement adoptée par le gouvernement entretient le ressentiment. Rien en effet n’est pire que de devoir reprendre le travail sans avoir le sentiment d’avoir été écouté. Dans le reste de l’opinion, la lassitude à l’égard du conflit gagne mais elle ne se traduit pas pour autant en une adhésion à la réforme.

Assuré de disposer d’une majorité à l’Assemblée nationale pour faire adopter son projet de loi, le président de la République continue de se heurter à une partie non négligeable de l’opinion publique qui ne comprend pas le sens de ses réformes. Cette méprise constitue en vue de 2022 un sérieux handicap.