Les retraites

Infirmiers.com - La réforme des retraites : une réforme qui comporte encore trop de zones d’ombres et qui parait injuste aux yeux des infirmières libérales

Février 2020, par Info santé sécu social

Le 20.02.20

Ce jeudi 20 février c’est une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Alors que lundi des débats houleux ont débuté à l’Assemblée Nationale, les professionnels libéraux, dont les IDEL, s’inquiètent toujours autant de l’application de cette réforme en l’état car beaucoup de zones d’ombres demeurent. De même, l’augmentation des cotisations pour parvenir à un régime "universel" ne passe pas. On a demandé à plusieurs infirmiers libéraux leur opinion sur le sujet. Pour certains, cette nouvelle réforme c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. D’autres se demandent clairement si ce n’est pas la fin de leur métier…

Sylvie, IDEL exerçant en Bourgogne : « La réforme des retraites représente avant tout une hausse des cotisations. Certains cabinets ruraux ou même en ville ne pourront pas supporter cette augmentation des charges et devront cesser, sinon repenser leur activité. Sans parler des multiples zones d’ombres comme l’âge pivot, le point d’indice… Sans parler de toute la désinformation et les fake news que l’on entend sur le sujet. La réalité, c’est que nous les IDEL, on est des chefs d’entreprise, en dehors des tâches administratives on doit supporter une hausse des charges, une hausse du carburant et avec cela on doit se tenir à des obligations de formation avec des indemnisations qui ne sont pas à hauteur de la perte d’exploitation. On a un délai de carence de 90 jours en cas de maladie. Avec tout cela on va devoir revoir notre budget consommation pour pouvoir continuer à financer notre activité. C’est difficile d’envisager un avenir serein quand on constate que le régime des Sénateurs ne sera pas impacté. Quand pour d’autres professions, on prend en compte la pénibilité et pas pour la nôtre. On ne fait pas un métier pénible ? Aujourd’hui j’ai fait 4h48 de voiture pour faire mes soins. On doit parfois porter des patients de 80 kg dans des domiciles qui ne disposent pas de matériel pour aider. Cela fait environ 15 ans que les gouvernements se succèdent sans comprendre ni les besoins spécifiques à notre profession, ni ceux liés à nos territoires d’exercice. Cette réforme c’est le désaveu de trop, on a embrassé le choix du libéral parce qu’on en connaissait les contraintes. Je n’ai pas signé pour gagner des mille et des cents mais pour ne pas faire la course à la rentabilité comme c’est déjà le cas à l’hôpital. Je pourrais travailler 15 heures par jour mais qu’en est-il de la qualité et de la sécurité des soins quand l’infirmier ne prend plus le temps de dormir ou de se reposer ? La FNI parle encore de négociations, mais quand Monsieur Delevoye est venu présenter la réforme ce n’était pas négociable, il nous disait simplement à quelle sauce on allait être mangés ».

Une réforme injuste ?
Antoinette, IDEL : « On constate tellement de désinformation sur ce sujet alors que cette réforme est tellement injuste avec leur 3 PASS. Jusqu’à 40 000 euros de revenus brut, le taux de cotisation à 28% s’appliquera puis entre 40 000 et 120 000 euros ce taux diminuera à 12,9% et au-delà de ce revenu il ne sera plus qu’à 2,8%. La grande majorité des infirmiers libéraux se situent dans la première fourchette et devront donc payer plein pot. Nous sommes une profession très féminisée et beaucoup ont des enfants, elles ne pourront pas travailler beaucoup plus pour passer à un revenu au-dessus des 40 000 euros ! De manière générale, on se demande pourquoi autant d’acharnement sur notre profession ? On n’arrête pas de nous affirmer que l’on va revaloriser les infirmiers mais en attendant on délègue nos actes aux pharmaciens et bientôt aux AS. Il ne s’agit pas de corporatisme mais de ce qui fait un métier. On ne demande pas à n’importe qui de faire une charpente mais à un professionnel spécialisé. Dans le cas présent, c’est pareil. On en est au stade où beaucoup de collègues songent à se reconvertir. On ne sait plus vers qui se tourner pour arrêter le massacre. C’est une spirale infernale dans laquelle la santé est devenue une entreprise qui doit être source de bénéfice. Même notre rôle propre est nié car maintenant c’est un algorithme qui détermine mes prises en charge. Par exemple, un patient Alzheimer qui marche et qui est continent il est classé comme une prise en charge légère. Mais même pour se laver c’est parfois une négociation pour ce type de patient. On rentre des critères sur un ordinateur et il fait des combinaisons, c’est lui qui décide. On doit donner du temps au patient ! »

Claire, IDEL, exerce en région grenobloise : « Le principal impact de la réforme, c’est l’augmentation de 14% à 28% pour la première tranche (moins de 40 000 euros de revenu brut), fourchette dans laquelle je suis. Je devrais faire face à une hausse de 100% de mes cotisations. En libéral, on a un chiffre d’affaire brut auquel on doit soustraire toutes les charges pour avoir un reste net. En ce qui me concerne, cela va impacter le budget nourriture de mon foyer. Il va falloir remettre en question l’équilibre de l’économie familiale. Cette réforme est injuste car elle touche les plus petits revenus. Les infirmiers libéraux demeurent majoritairement des femmes potentiellement avec des enfants et certaines les élèvent seules. D’ailleurs même si elles sont en couple, c’est souvent les femmes qui font le choix de réduire leur activité professionnelle pour se consacrer davantage aux enfants. Avec ces nouveaux taux de cotisation, ceux qui travaillent moins vont gagner beaucoup moins. Si nous décidons d’augmenter notre temps de travail, nous sacrifions notre vie de femme et de famille. C’est une réforme discriminante notamment pour les femmes car elle touche aussi en priorité les professionnels à temps partiel. Or, comme nous n’avons pas de congés parentaux, beaucoup d’infirmières libérales décident d’aménager leur temps de travail pour s’occuper de leurs enfants. »

Sophie, IDEL : « La réforme des retraites, je la trouve très inquiétante pour mon activité. Non seulement, je ne sais pas comment mon cabinet peut survivre avec une augmentation des cotisations aussi importante. Une hausse de 10 points c’est énorme, ils ne se rendent pas compte ! Je gagne dans les 2000 euros par mois, je ne peux pas assumer d’aussi grosses augmentations ou alors en devant me séparer de ma collaboratrice et donc en étant obligée de travailler davantage. Mais en plus, j’ai l’impression que notre retraite future, qui n’est déjà pas formidable quand on est infirmier libéral, va encore diminuer. En outre, je trouve très injuste qu’on nous prive de notre réserve, sachant que nous avons cotisé pour cela. »

Point de vue de l’ONSIL (Organisation Nationale des Syndicats d’Infirmiers Libéraux) sur la réforme
« Le sentiment de l’ONSIL est que des syndicats de salariés et le MEDEF ont imaginé avec le gouvernement un régime universel basé en grande partie sur la spoliation des cotisations des professionnels libéraux. Comment expliquer, qu’au nom de la solidarité, ce soit ces mêmes syndicats qui vont engager l’avenir des professionnels libéraux en signant cette réforme ? Nous allons passer de 14 à 28% de cotisations pour les revenus médians inférieurs à 40 000 euros BNC, et ne nous leurrons pas, l’abattement promis de la CSG ne suffira pas à compenser la perte de revenus. Nous allons ainsi allègrement dépasser les 50% de charges. Qu’y-a-t-il de solidaire quand on fait payer le double de cotisations retraites aux infirmiers qui gagnent le moins, sans aucune prestation sociale significative en contrepartie (délai de carence maladie accident maintenu à 90 jours, …) ? Sachant qu’on met en péril l’économie des cabinets qui à terme fermeront, accentuant encore la difficulté d’accès aux soins pour tous et sur tous les territoires. Je vous rappelle que la signature de l’Avenant n° 6 avec l’Uncam a acté des baisses d’honoraires de son côté, avec un forfait journalier lourd en dessous des tarifs antérieurs à prise en charge égale. Quel système de santé voulons-nous pour notre pays ? »