Les retraites

HuffPost - Retraites : les agriculteurs sont-ils vraiment les grands gagnants ?

Février 2020, par Info santé sécu social

Le système "universel" voulu par le gouvernement prévoit notamment une pension minimum de 1000 euros censée booster les retraites des agriculteurs. Mais le diable se cache dans les détails.

Par Anthony Berthelier

Les femmes et les agriculteurs d’abord. Depuis la présentation de la réforme des retraites, la majorité -et Emmanuel Macron en tête- s’échine à vanter un texte “vraiment de gauche” en s’appuyant notamment sur les deux “grands gagnants” de son système futur : les femmes et les paysans.

Pour les premières, le gouvernement prévoit par exemple de revoir le dispositif de réversion et d’établir des droits à la retraite de 5% par enfant dès le premier. Mais le diable se cache souvent dans les détails et la promesse d’un système avantageux pour les femmes s’avère en réalité plus complexe. Dans un flou généralisé autour du projet gouvernemental, la présidente du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes reconnaît de son côté être incapable de dire effectivement si le nouveau système permettra d’améliorer la situation. Elle pointe même certaines dispositions pouvant défavoriser les femmes.

Alors qu’en est-il des deuxièmes “grands gagnants” de ce système universel tant contesté ? Les paysans, dont plus de 20% d’entre eux vivent actuellement sous le seuil de pauvreté, sont-ils vraiment les premiers bénéficiaires du système universel ? Là encore, les choses sont plus complexes et la dernière sortie du président de la République à ce sujet n’est pas de nature à satisfaire les syndicats. Charge à lui de rassurer les paysans lors de son inauguration du salon de l’Agriculture samedi 22 février.

Histoire d’une promesse non tenue

Et la tâche ne s’annonce pas simple, malgré le soutien initial de la puissante organisation syndicale FNSEA. Car de l’aveu du chef de l’État, le dispositif phare du système promu par le gouvernement, consistant à établir une pension de retraite de 1000 euros net minimum pour quiconque aura fait “toute sa carrière au smic”, ne pourra s’appliquer à tous les agriculteurs.

“Il y a la question du stock. Et il ne faut pas se leurrer, on ne pourra pas aller à 1000 euros pour tous”, avait-il lancé le 11 février devant les parlementaires de la majorité. Problème ? C’est sur ce dispositif et lui seul que s’appuie le gouvernement pour aider les “oubliés du système”.

Une mesure annoncée initialement en 2003 par Jean-Paul Delevoye et sans cesse repoussée depuis pour une partie des agriculteurs. Désormais appliqué à partir de 2022, ce dispositif est-il de nature à satisfaire les agriculteurs ? “Quand on commence à creuser, c’est épouvantable”, tranche au HuffPost André Tissot de la Confédération paysanne.

Et si le syndicaliste se montre aussi amer, c’est que les agriculteurs n’étaient pas initialement défavorables à l’idée d’un système universel. “C’était trop beau, on voulait y croire. On n’avait pas d’a priori contre cette réforme et quand on a commencé à creuser, c’était la déception”, nous explique-t-il avant de revenir sur ses propos et de parler de “trahison.”

Raquette (multi)trouée
Mais pourquoi les “grands gagnants” de la réforme font-ils preuve d’autant de ressentiment ? Car au-dessus de la promesse des pensions à 1000 euros se trouvent beaucoup d’astérisques qui conditionnent en réalité l’attribution de cette somme.

Ainsi, seuls les chefs d’exploitation ayant fait une carrière complète de 43 ans -et cotisant à hauteur du smic- y seraient éligibles. Exit les conjoints de paysans et les agriculteurs aux carrières hachées en raison, d’incapacité, d’invalidité ou toutes autres raisons. En d’autres termes : exit les plus fragiles.

“Ces règles excluent 40% du monde agricole”, estime André Tissot, reprenant des chiffres du rapport Delevoye.

Car rares sont les agriculteurs à pouvoir s’assurer un smic tout au long de leur vie. Au contraire, les carrières agricoles sont faites d’imprévues et les revenus des paysans varient d’une année sur l’autre comme d’un territoire à l’autre. Rares certitudes : selon l’Insee, 22% des agriculteurs vivaient en 2016 sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 1026 euros par mois. Pour des pensions de retraite qui atteignent en moyenne 760 euros pour les hommes et 580 euros pour les femmes

De quoi faire dire à Armand Paquereau, du syndicat Coordination rurale que la promesse d’une retraite à 1000 euros pour tous les agriculteurs n’est rien d’autre qu’une “fausse information.” “Quand on connaît le revenu d’une grande partie des agriculteurs, on sait que beaucoup n’auront pas le droit à cette pension”, déplore-t-il au HuffPost.

Et les retraités actuels ?
D’autant que les agriculteurs gardent en mémoire une proposition de loi du député communiste André Chassaigne qui promettait déjà, en 2017 des pensions assurées à 85% du smic. “Elle a été votée à la quasi-unanimité, jusqu’à ce que le nouveau gouvernement ne la refuse”, se souvient l’élu du Puy-de-Dôme. À peine installée, la macronie -par la voix d’Agnès Buzyn- avait effectivement dégainé l’article 44 de la Constitution pour forcer les parlementaires à ne voter que sur les amendements “acceptés par le gouvernement”.

Un premier coup de force alors que le texte devait être définitivement validé par le Sénat fort du soutien des socialistes comme des républicains.

Reprise dans le projet de loi sur la réforme des retraites, la proposition d’André Chassaigne est toutefois vidée d’une substance primordiale : le sort des retraités agricoles actuels. “Le dispositif du gouvernement sera appliqué pour les retraites liquidées en 2022. Tous les paysans déjà à la retraite vont eux rester sur une enveloppe correspondant à 75% du smic”, déplore au HuffPost le député communiste précisant que cela représente 1,3 million de personnes.

Une absence qui fait pester jusqu’à la FNSEA. Quelques jours avant le début du salon de l’agriculture, le syndicat majoritaire a mis la pression sur le gouvernement réclamant une “revalorisation urgente” des pensions de retraite des agriculteurs, à “au moins à 85% du smic.”

Reste désormais à savoir si le président de la République profitera de ce rendez-vous incontournable pour donner des gages au monde paysan et éclaircir un certain flou autour des conditions d’attribution de ces 1000 euros.

Mais pour l’heure, l’ambiance n’est pas franchement à l’optimisme. “Nous, les paysans on est habitués à s’appuyer sur des faits, pas sur des mots”, prévient Armand Paquereau. André Chassaigne nous donne la traduction auvergnate : “on n’achète pas un âne dans un sac.” Encore moins s’il est opaque