Les retraites

Médiapart - La réforme des retraites, « victime collatérale » de la pandémie

Mai 2020, par Info santé sécu social

NOTRE DOSSIER. RETRAITES, LA BATAILLE PARLEMENTAIRE

27 MAI 2020 PAR DAN ISRAEL ET ELLEN SALVI

« Je reste sur mes gardes »
Depuis le printemps 2019, le duo exécutif s’était lancé dans un pas de deux délicat, pour ne pas dire incohérent. D’un côté, le président de la République voulait voir naître un nouveau régime de retraites, dont le principe même n’emballait pas vraiment le premier ministre. De l’autre, ce dernier, et avec lui une partie du gouvernement, comptait surtout réaliser des économies, en poussant l’idée de reculer l’âge de départ. Quitte à abandonner les trop grandes ambitions de remise à plat de tout le système.

Au mois de mars, après des semaines et des semaines de discussions, le débat sur les mesures budgétaires n’était toujours pas clos, puisqu’il avait été renvoyé aux travaux d’une « conférence de financement » lancée au début de l’année. « Pour nous, la conférence de financement, c’était une sorte d’armistice, mais toutes les divergences n’étaient pas comblées », rappelle le secrétaire national de la CFDT, qui estime encore possible d’avancer à petits pas, plus discrets, vers l’unification du système de retraites.

« Vous pouvez très bien construire le système universel par petits morceaux, explique Frédéric Sève. D’abord en créant des grands pôles – public, privé et indépendants – pour les régimes de retraites, puis en uniformisant les modes de calcul, voire en mutualisant les réserves. D’autant que tous les régimes ne vont pas sortir en bonne forme de la crise économique qui s’annonce. »

Catherine Perret, de la CGT, se veut prudente : « Notre équipe retraites va se réunir dans la semaine, car dans diverses caisses de retraites, et notamment celles des régimes spéciaux, on nous a alertés sur le fait que, même pendant la période de confinement, les travaux pour préparer le rapprochement des différents régimes ne s’étaient pas interrompus… » D’ailleurs, ce n’est pas parce que la réforme des retraites ne verra pas le jour telle quelle que certains de ses paramètres ne pourraient pas réapparaître.

« Je reste sur mes gardes, indique le secrétaire général de FO Yves Veyrier. Contrairement à ce qui avait été annoncé, on avait vite compris que l’objectif de cette réforme était de piloter le régime des retraites avec une vision budgétaire dominante. Or, aujourd’hui, compte tenu de l’endettement auquel nous serons confrontés à la sortie de la crise, d’aucuns pourraient considérer qu’il faut toujours agir sur l’âge de départ à la retraite. »

Les déficits vont en effet se creuser au cours des prochaines années. Alors que la conférence de financement était chargée de trouver comment combler 8 à 17 milliards d’euros de déficit à l’horizon 2027, un projet de loi organique du gouvernement évoque désormais 136 milliards d’euros de trou financier pour l’ensemble de la Sécurité sociale en 2033. L’idée qui circule actuellement serait de loger cette énorme dette dans la caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades).

Sans le choc du coronavirus et de ses conséquences économiques, cet organisme, chargé d’amortir les déficits, accumulés depuis 20 ans, de la Sécu, aurait dû disparaître en 2024, après avoir épongé toute la dette. Il faudra donc que les futurs gouvernements trouvent des recettes budgétaires supplémentaires, afin de résorber les nouveaux déficits. Toucher aux retraites pourrait alors être tentant, au regard des masses brassées : chaque année, environ 314 milliards d’euros de pensions sont versés à 16 millions de retraités.

« Dans un premier temps, on a gagné par forfait sur les retraites, mais nous ne sommes pas rassurés pour autant. Que va-t-il se passer pour le budget 2021 de la Sécurité sociale ?, demande Catherine Perret, de la CGT. Si le gouvernement décide d’annuler ou de reporter sa réforme après la présidentielle de 2022, ne sera-t-il pas tenté de mettre en place des mesures d’économies tout de suite, à partir de 2021 ? » C’est une question qui se pose, y compris dans les rangs de la majorité et du gouvernement, où certains poussent dans ce sens, malgré l’écueil politique qu’il comporte.

Dans tous les cas, « il faudra reparler des retraites, ne serait-ce que sur le budget », affirme le député LREM Guillaume Gouffier-Cha. « Certains plaident pour que l’on mette en œuvre toutes les avancées sociales du texte dès à présent, mais encore faudrait-il qu’il y ait un équilibre général du système, souligne un ministre. À ce stade, cette option n’est pas à l’ordre du jour. » Le sujet est balayé par plusieurs autres interlocuteurs, persuadés que l’heure n’est plus aux économies : « Je ne suis pas sûr que ce soit une réforme démontable », tranche un bon connaisseur du dossier.

La prochaine bataille concernant les retraites pourrait finalement se jouer sur un autre terrain. Car dans son projet de loi organique sur la Cades, le gouvernement prévoit aussi qu’une petite partie des sommes apportées dans cette caisse via la CSG serve bientôt à financer une nouvelle branche de la Sécurité sociale, chargée de gérer les questions de la dépendance des personnes âgées – aujourd’hui, la Sécu englobe quatre branches : retraites, maladie, famille, accidents du travail et maladies professionnelles.

Cette possibilité est un chiffon rouge pour la CGT. « Si ce projet aboutit, cela signifie que la Sécurité sociale sera en partie financée par l’impôt, à la main de l’État, et ce serait un pas de plus vers la privatisation de la Sécu, détaille Catherine Perret. Nous préconisons plutôt que la dépendance soit intégrée dans la branche assurance-maladie. » Le syndicat prévoit déjà qu’« il faudra sans doute défendre plus globalement le statut de la Sécurité sociale ». Mais il reconnaît aussi que cette question, plus générale et moins concrète, « rendra sans doute moins facile la mobilisation de la population ».

Or, c’est précisément ce que souhaiterait éviter Emmanuel Macron d’ici l’élection présidentielle de 2022 : la remobilisation de la population. « La réforme des retraites devra être mise de côté » si elle empêche la formation d’un « pacte républicain » à l’issue de la crise sanitaire, avait d’ailleurs fait valoir le patron des députés LREM Gilles Le Gendre, dans Le JDD, le 12 avril. Cette réforme « a montré à quel point notre démocratie sociale est épuisée », avait-il encore indiqué. « Entre deux réformes utiles, il faudra toujours choisir celle qui rassemble les Français. »

Pour ce faire, le délégué général du parti présidentiel, Stanislas Guerini, a même soumis l’idée, dans les colonnes de La Voix du Nord, de laisser tomber le sujet d’ici la fin du quinquennat, pour le remettre sur la table « dans le cadre d’un nouveau projet présidentiel ». Cette proposition est moquée jusque dans les rangs de la majorité, où certains des collègues du député de Paris pointent ironiquement son « indéniable sens politique ». « Repartir en campagne avec un tel boulet, faut en avoir envie quand même », plaisante l’un d’entre eux.