Segur de la santé (Mai Juillet 2020)

Le Monde.fr : Martin Hirsch et Thierry Beaudet : « Avec le Ségur de la santé, il y a une opportunité formidable de réformer le reste à charge à l’hôpital »

Juillet 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Martin Hirsch et Thierry Beaudet : « Avec le Ségur de la santé, il y a une opportunité formidable de réformer le reste à charge à l’hôpital »

TRIBUNE
Martin Hirsch

Directeur général de l’APHP

Thierry Beaudet

Président de la Mutualité française

Alors que le reste à charge après un séjour hospitalier varie grandement, l’Assurance-maladie devrait le couvrir dans sa totalité, estiment, dans une tribune au « Monde », le directeur général de l’AP-HP et le président de la Mutualité française.

Publié le 10/07/2020

Tribune. La crise due au Covid-19 a mis en évidence un phénomène mal connu, celui des restes à charge hospitaliers, c’est-à-dire la part des frais lors d’un séjour hospitalier non pris en charge par l’Assurance-maladie obligatoire, et qui demeurent à la charge du patient ou de sa mutuelle ou assurance complémentaire. Un mécanisme mal connu du grand public, peu connu des experts, mais bien connu des praticiens, qu’il s’agisse des acteurs du monde hospitalier ou des mutuelles, qui ont à faire face à une complexité extraordinaire et une logique difficile à expliquer.

Comment justifier qu’un enfant admis pour une bronchiolite est redevable d’un ticket modérateur qui est en moyenne de 1 600 euros, alors que le même enfant qui se fait opérer de l’appendicite ne devra qu’un reste à charge minime ? Pourquoi le séjour en gériatrie aiguë d’une personne âgée fragile conduit-il à un reste à charge bien plus élevé que celui demandé à un patient plus jeune pour la pose d’un stent, si aucun des deux n’est dans le régime des affections à longue durée ?

« Il n’y a aucune logique liée à la gravité de la maladie, aucune logique liée à des considérations de santé publique, aucune logique liée à un risque particulier. Il n’y a pas plus de logique économique »

Il n’y a aucune logique liée à la gravité de la maladie – qui peut prétendre à l’absence de gravité d’un séjour en réanimation d’un patient atteint d’une forme sévère du Covid-19 ? –, aucune logique liée à des considérations de santé publique, aucune logique liée à un risque particulier. Il n’y a pas plus de logique économique. Le ticket modérateur, à l’origine, a été créé pour « modérer » l’excès de consommation de soins. Aucun de ces motifs d’hospitalisation ne peut être qualifié de consumérisme médical. Ce sont juste des soins vitaux !

Impossible de trouver une rationalité à ces restes à charge erratiques, même s’il est une constante : ils sont directement corrélés à la durée du séjour et frappent donc plus durement les personnes âgées, plus souvent et plus longtemps hospitalisées. En 2018, après intervention de la Sécurité sociale, les patients qui supportent des restes à charge hospitaliers de plus de 4 000 euros ont en moyenne 68 ans.

Complexités administratives
En revanche, ces restes à charge génèrent des complexités administratives qui ont des coûts importants, tant pour les hôpitaux que pour les organismes complémentaires. Des millions de restes à charge à calculer, facturer, rembourser, avec, à chaque fois, d’importants traitements au cas par cas, des formalités administratives conséquentes. Cela représente des milliers d’emplois qui ne sont pas au service direct du patient ou de l’assuré. Les hôpitaux sont parfois conduits à dépenser plus pour recouvrir la créance que le montant de la créance elle-même quand il s’agit de petites sommes. Et ils sont conduits à devoir abandonner la créance face à des patients qui ne peuvent l’honorer quand il s’agit de grosses sommes. Les organismes complémentaires doivent traiter et retraiter des quantités de justificatifs pour un phénomène sur lequel ils n’ont pas prise.

« Il est souhaitable de forfaitiser les restes à charge en les déconnectant des motifs d’hospitalisation et des durées de séjour, et de simplifier les processus de facturation »

Au moment où l’on cherche à améliorer notre système de santé, à le simplifier, à le débureaucratiser, à donner priorité aux soins et à la prévention, et à mieux reconnaître les soignants, il y a une opportunité formidable de réformer le reste à charge à l’hôpital et de résoudre ce problème gestionnaire. Il est souhaitable de forfaitiser les restes à charge en les déconnectant des motifs d’hospitalisation et des durées de séjour, et de simplifier les processus de facturation en généralisant la dématérialisation et le tiers payant à l’hôpital. Les hôpitaux pourraient se recentrer sur leurs missions premières et redéployer sur le soin les milliers d’emplois aujourd’hui consacrés aux incompréhensibles subtilités de facturation. Et la contribution des mutuelles, pour qui l’hôpital représente aujourd’hui le quart des dépenses, serait ainsi considérée à sa juste valeur.

Un autre choix politique est possible. L’Assurance-maladie pourrait couvrir – à l’instar de ce qui se passe dans de nombreux pays européens – la totalité des frais hospitaliers (dépassements d’honoraires et chambres particulières inclus), sans avoir de frais de gestion supplémentaires. Les besoins de santé évoluent, les mutuelles seraient conduites à repenser leurs offres, y compris en pouvant proposer de répondre à des besoins non couverts aujourd’hui, comme le sport sur prescription ou un accompagnement renforcé des maladies chroniques, renforçant leur rôle en prévention ; les patients y trouveraient leur compte. Les accords de Grenelle avaient scellé des progrès dans la Sécurité sociale. Au moment du Ségur, il y a une belle opportunité pour s’inscrire dans la même lignée.