Les retraites

Le site du Figaro - Réforme des retraites : le plan post-Covid que prépare Macron

Août 2020, par Info santé sécu social

Le chef de l’État va fortement amender le projet de loi adopté en mars à l’Assemblée pour tenir sa promesse de créer un régime universel.

Promesse du candidat Macron, la réforme des retraites devait être un marqueur fort du quinquennat - « la mère des réformes » , disait l’exécutif - mais le coronavirus est venu tout balayer et chacun l’a cru enterrée. À tort, car le président de la République a bien l’intention de la mettre en œuvre avant 2022.

Pas question de laisser en plan le projet de loi adopté le 4 mars en première lecture à l’Assemblée, après trois mois de grève dure, grâce à l’article 49.3. Le chef de l’État est également condamné à agir tant il y a urgence à renouer un système qui prend l’eau de toute part, avec un décit de 30 milliards d’euros attendu à la n de l’année, d’après la dernière estimation du Conseil d’orientation des retraites (COR). Soit 25 milliards de plus en seulement six mois de temps…

L’enjeu pour le chef de l’État est simple : mettre en œuvre un régime universel de retraite sans braquer l’opinion et faire redescendre dans les rues les opposants à son projet. « Il ne peut pas faire la même réforme, mal chue, mal pensée, incomprise des Français. Il faut se donner du temps, augmenter l’âge légal de départ et expliquer pourquoi », conjure Éric Woerth, président LR de la commission des finances et principal artisan de la réforme de 2010 qui a relevé de deux ans l’âge de départ. Un passage à 62 ans qui, malgré les manifestations à répétition pendant six mois, a été acté plutôt facilement dans la foulée de la crise financière alors même qu’il n’était pas au programme du président Sarkozy.

Relever l’âge légal de deux ans
« Jamais, jusqu’ici, les pensions des Français n’ont été mises en péril, mais la question peut se poser aujourd’hui alors qu’il faut débourser chaque année plus de 300 milliards pour payer les retraites dans un État surendetté, avec des entreprises surendettées et une vague de chômage sans précédent », fait valoir l’ancien ministre du Travail. « Si on ne veut pas baisser les pensions, il va falloir relever l’âge légal, et très vite. Plus on attend, plus ce sera dur » , le conforte un spécialiste du système de retraite. La solution rationnelle serait de relever l’âge légal de deux ans, comme l’ont déjà fait la plupart des pays européens. Ou, a minima, d’instaurer un âge pivot à 64 ans comme le soutenait en début d’année Édouard Philippe.

En 2010, le passage progressif de l’âge légal à 62 ans avait permis de ramener 20 milliards d’euros par an dans les caisses, soit la moitié du besoin de financement à combler à moyen terme. La fixation d’un âge pivot à 64 ans dès 2022 aurait permis de ramener 12 milliards par an à compter de 2027.

Problème : le candidat Macron s’est lié les mains en promettant qu’il ne relèverait pas l’âge légal. « Le président est tenu par son engagement de campagne. S’il se renie, on va l’accuser de céder à son premier ministre et de se droitiser », estime un visiteur du soir bien informé. Car les divisions sont profondes, au sein de la majorité, sur le sujet. Si Matignon a beaucoup poussé pour une mesure d’âge pour une question budgétaire, les députés LREM, dont certains sont proches de la CFDT, y restent opposés. « Ce n’est pas avec les vieilles recettes qu’on va réinventer notre pays , assure le député LREM et rapporteur du projet de loi à l’Assemblée Guillaume Goufer-Cha. Vu la tension dans le pays, nous ne devons pas nous orienter vers des
solutions dures qui recréeraient du conflit social. La réforme ne doit pas être un sujet de crispation mais d’avancée sociale. »

Autre problème, avancé par un artisan du dossier : « La mesure d’âge est la seule qui rapporte de l’argent à court terme mais elle serait contra-cyclique en période de chômage . » Comprenez, l’opinion comprendrait mal qu’on demande aux seniors de rester en emploi pour assurer les pensions des retraités alors que les jeunes pointent au chômage faute de perspectives dans les entreprises…

Louvoiement et sucreries
Face à cette impasse, Emmanuel Macron n’a donc pas 40 options. Sa voie de passage ? « Réenclencher le projet de loi en le focalisant sur le futur, en étant ferme sur l’objectif et souple sur les modalités, avance Raymond Soubie, conseiller social de Nicolas Sarkozy qui était à la manœuvre lors de la réforme de 2010. Il peut faire voter un texte fixant le cadre général et se donner de la flexibilité sur le chemin pour y parvenir, en renvoyant les sujets qui fâchent à des concertations. Comme au golf, il renvoie la balle plus loin. » Le gouvernement, qui a déjà beaucoup lâché, peut faire de nouvelles concessions : ne faire basculer dans le régime universel que les nouveaux entrants des régimes spéciaux
 soit le retour de la « clause du grand-père »
 , se donner du temps pour discuter des modalités d’intégration des professions libérales… « Ce scénario est sur la table : on peut faire le système universel pour le privé, le public et les régimes spéciaux, et sortir temporairement les professions libérales » , selon une source ministérielle, pour qui l’opposition de certains corps de métiers à la réforme ne serait plus aussi vive aujourd’hui qu’avant la crise sanitaire.

Sur la question du financement, « le président peut, comme prévu, créer la grande Caisse nationale du système universel dotée de très larges pouvoirs et laisser à ses responsables le soin d’en débattre », avance Raymond Soubie, qui préside aujourd’hui les cabinets de conseil Taddeo et Alixio. Un louvoiement - identique à celui de la création d’une 5e branche de Sécu dédiée à la dépendance dont la question du financement a été renvoyée à une conférence de consensus - qui permettra de sauvegarder l’illusion de la réforme… Et puis la donne a changé en trois mois. Avec la crise, les comptes sociaux ont explosé en vol - plus de 52 milliards de déficit de la Sécu , renvoyant aux calendes grecques un retour dans le vert.

La priorité du président de la République a changé : il veut absolument faire adopter « les mesures de justice sociale » qui doivent entrer en application en 2022. À savoir le minimum contributif porté à 85 % du smic, majoration des droits à la retraite dès le premier enfant, meilleure prise en compte de la pénibilité, revalorisation salariale des enseignants… « La dimension sociale du texte reste très attendue » , confirrme un ministre.

Mais il ne faut pas se leurrer : distribuer des « sucreries » ne fera que repousser à plus tard les décisions difficiles, notamment financières ou d’équité, qui s’imposent. Quoi qu’il en soit, « la réforme des retraites s’inscrira dans la feuille de route du quinquennat et elle sera très différente de la loi votée en première lecture en mars à l’Assemblée » , jure un proche du président Macron. D’ailleurs, il n’est pas impossible qu’il reparte d’un nouveau texte, expurgé des questions qui fâchent, pour aller vite, limiter les concertations et débats qui s’enlisent, et aussi tourner une page de son mandat qui n’a que trop duré