Politique santé sécu social de l’exécutif

Chronique ouvrière - Qui osera signer l’accord collectif remettant en cause le droit au repos et à l’évasion du travailleur ?

Avril 2020, par Info santé sécu social

Marie-Laure DUFRESNE-CASTETS

Contrairement à une idée répandue, le monde patronal n’est ni idiot ni irrationnel. Il a seulement la rationalité de ses intérêts. Il sait se saisir de toute occasion pour les servir.

Dans un contexte de peur et de culpabilisation entretenue par les medias, qui désignent les citoyens dits « irresponsables » comme étant la cause de l’expansion de la pandémie et de ses conséquences, le pouvoir saisit l’occasion de rogner les droits des salariés. Ainsi, l’accent étant porté uniquement sur les conséquences et non sur les causes de la situation, il règne une atmosphère de catastrophe, qui, les mots guerriers aidant, permet des appels à l’unité nationale. On sait qu’un tel climat pourrait en effet éteindre toute velléité de contestation. Le coronavirus illustre sans appel que les causes se situent dans l’organisation sociale fruit de la doctrine politique portée par nos gouvernants. Alors que la pandémie démontre le coût humain des politiques de restrictions budgétaires, le gouvernement ne craint pas de l’utiliser pour préparer l’opinion à la mise en place d’une nouvelle période d’austérité à la sortie de la crise sanitaire. Les « armes » proposées par le gouvernement - à la suite du patronat - pour combattre les conséquences économiques de cette crise en sont une illustration.

L’une des armes en question serait juridique. Elle prend la forme des vingt-cinq ordonnances présentées comme une loi « d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid -19 ».

Cette situation n’est pas sans rappeler l‘instauration de l’état d’urgence, à la suite des attentats de 2015, lequel fut d’abord renouvelé par la loi de 2016, puis allait prendre un caractère permanent grâce à la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

Outre le recours à la procédure accélérée et la prétendue impossibilité de sortir indemnes de l’état d’urgence sans adoption de ce texte, on retrouve dans les deux cas le phénomène décrit par Patrick Boucheron, Corey Robin et Renaud Peyre, dans « L’exercice de la peur. Usages politiques d’une émotion ». Les auteurs y relèvent comment la peur peut être mise au service de l’ordre néo-libéral nécessaire à l’oligarchie en place. [1]

C’est pourquoi, il est heureux que certains se saisissent d’une question essentielle, à l’instar de l’éditorial du Monde du 31 mars, il nous faut nous « interroger sur le monde d’après et le risque d’une banalisation de dispositifs d’exception qui ne sont acceptables que s’ils sont provisoires. Or l’expérience du passé nourrit l’inquiétude. Une fois la contrainte mise en œuvre, il est rare que le législateur revienne à des textes plus libéraux. » [2]

Par ailleurs le spectacle d’un transfert massif d’argent public vers le secteur privé auquel on assiste fait remonter un autre souvenir. Il rappelle le sauvetage des banques par l’État en 2008. Il fallait sauver l’économie en renflouant les banques. Mais l’addition avait pris la forme de l’austérité imposée aux salariés et aux services publics.

Or, c’est dans un contexte de crise d’une nature et d’une dimension plus grave encore qu’intervient l’ordonnance n°2020-323 du 25 mars 2020, qui permet au gouvernement de prendre des dispositions dites « provisoires » constituant une remise en cause de plusieurs droits sociaux, pour certains très anciennement conquis par les travailleurs.

Les entreprises relevant de « secteurs d’activité particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation et à la continuité de la vie économique et sociale » – seront autorisées à augmenter les durées maximales du travail (jusqu’à 12 heures par jour contre 10 heures [3] , 60 heures par semaine contre 48 heures [4], la durée quotidienne maximale de travail pour un travailleur de nuit peut être portée jusqu’à 12 heures, contre 8 heures [5], la durée hebdomadaire de travail moyenne, calculée sur une période quelconque de 12 semaines consécutives peut être portée jusqu’à 48 heures contre 44 heures [6]. Ces entreprises dont la liste n’est pas encore connue pourront réduire la durée du repos quotidien jusqu’à 9 heures consécutives, alors que la durée minimale est de 11 heures [7]. Les mêmes pourront déroger à la règle du repos dominical, sans autorisation administrative.

Par ailleurs et dans un cadre plus large, puisqu’il s’agit de tous les cas où « l’intérêt de l’entreprise eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du Covid-1933 », l’ordonnance permet à l’employeur de modifier de manière unilatérale (donc sans accord ni consultation des représentants du personnel) les dates des jours de réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par les conventions de forfait annuel et des jours de repos affectés sur le compte épargne-temps du salarié. L’ordonnance satisfait ainsi une revendication du MEDEF aussi ancienne que les lois sur la réduction du temps de travail : une flexibilisation encore accrue et un allongement des durées maximales. [8]

Il sera donc possible, dans un cadre de flexibilité maximale de faire tourner, au détriment de la santé et la sécurité au travail, certaines productions vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept.

Indépendamment des causes réelles tenant à la difficulté de voir le travail s’arrêter durant la période de confinement dans un très grand nombre de secteurs, il n’est néanmoins pas indifférent que le gouvernement s’attaque en premier lieu à la question du temps de travail et de son corollaire, celle des temps de repos. La répartition de ces temps différents structure la vie sociale et reste donc centrale dans les débats sur la place du travail dans la société.

Or, parmi les temps de repos, il en est un qui a pris la dimension d’une institution au caractère emblématique en droit du travail. Les congés payés sont un symbole. En premier lieu, ils ont été acquis de haute lutte. Ils n’ont en effet pas été accordés par le bon vouloir patronal, mais arrachés, à l’époque du Front Populaire, par la grève générale de mai et juin 36.

Les congés payés symbolisent également la part de liberté individuelle qui ne peut être enlevée aux travailleurs : il s’agit de leur temps libre au sens plein du terme.
Le droit communautaire a consacré la nature particulière des congés payés. Dès 1993, puis en 2003 par référence à la Charte des droits fondamentaux de l’union européenne adoptée le 7 décembre 2000 par l’Union européenne où il est expressément affirmé un droit attaché à la personne, pour tous les travailleurs, à quatre semaines de congés payés.

C’est pourquoi cette première mise en cause des congés payés ne constitue pas seulement une dérégulation de plus. Elle apparaît comme un signe fort donné aux travailleurs que la « reconstruction » de l’économie libérale se fera « quoi qu’il [leur] en coute[ra] ».

Nous allons voir comment, partant d’un havre de relative stabilité encadré par des principes généraux qui sont demeurés constants depuis leur origine en 1936 (I) s’opère un mouvement inquiétant de mise en cause grâce à une confusion entretenue avec un droit de nature différente : le congé pour cause de maladie (II)

I. Les congés payés, c’est d’abord et avant tout le droit à l’évasion.

[1] Patrick Boucheron, Corey Robin et Renaud Peyre, dans « L’exercice de la peur. Usages politiques d’une émotion »

[2] Le Monde, mardi 31 mars 2020

[3] Article L. 3121-18 du Code du travail

[4] Article L. 3121-20 du Code du travail

[5] Article L. 3122-6 du Code du travail

[6] Article L. 3121-22 du Code du travail

[7] Article L. 3131-1 du Code du travail

[8] Articles 2 et 3 ordo. n°2020-323 du 25 mars 2020

[9] Gilles Auzero, Emmanuel Dockes « Droit du travail », Dalloz, 30ème ed., n°871

[10] Article L 3141-16 du Code du travail

[11] Article L 3141-13 du Code du travail

[12] Article D 3141-6 du Code du travail

[13] Article L. 3141-14 du Code du travail

[14] CJUE, 24 janvier 2012, aff. C-282/10, Dominguez

[15] Gérard LYON-CAEN « LE DROIT DU TRAVAIL. Une technique réversible », Dalloz, 1997

[16] Jeu de questions-réponses relatif au coronavirus pour les entreprises et les salariés – Ministère du travail, mis à jour le 17 mars 2020 ; Liaisons Sociales Quotidien 18026, p.4

[17] B. Bissuel « Le droit du travail bousculé par ordonnances », Le Monde, 26 mars 2020, p.11

[18] Pascal MOUSSY , « La CJCE n’accepte pas la médicalisation du droit à la paresse », http://www.chronique-ouvriere.fr/spip.php?article113

[19] CJUE, 24 janvier 2012, aff. C-282/10, Dominguez, point 30

[20] Cour de cassation, Rapport annuel 2014, p. 44 et Rapport annuel 2013, p. 66

[21] Erri de Luca, « La parole contraire », Gallimard, 2017

Marie-Laure DUFRESNE-CASTETS