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Mediapart : Santé : le gouvernement alourdit encore la facture des Français

il y a 1 semaine, par infosecusanté

Mediapart : Santé : le gouvernement alourdit encore la facture des Français

Le 31 mars, les franchises médicales augmentent. Toujours dans le but de faire des économies, Bruno Le Maire a également annoncé une réforme des affections de longue durée. Celle-ci va peser sur les plus malades, les personnes handicapées et les plus modestes.

Caroline Coq-Chodorge

29 mars 2024 à 12h12

« Comment« Comment cela peut-il tenir ? », s’interroge le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire dans Le Journal du dimanche, à propos du modèle de Sécurité sociale français qui aurait « beaucoup de prestations et moins de cotisants », trop de dépenses et pas assez de recettes.

Puisqu’il y aurait trop de dépenses, il faudrait selon lui mettre fin à « la gratuité de tout, pour tous, tout le temps : c’est intenable ! » Dans le viseur du ministre, les malades, et même les plus malades, ainsi que les personnes handicapées, les 12 millions de personnes en affection longue durée. Bruno Le Maire rappelle leur coût – « 120 milliards, soit la moitié de la totalité des dépenses de soins » – qu’il s’agit donc de diminuer.

La ministre du travail, de la santé et des solidarités Catherine Vautrin (à gauche), et le ministre français de l’économie et des finances Bruno Le Maire à Paris le 12 mars 2024. © Photo Ludovic Marin / AFP
Cette piste d’économies est encore à l’étude, mais des premières pistes se dessinent selon Féreuze Aziza, chargée de mission de l’assurance-maladie de France Assos Santé, la fédération des associations de patient·es : « Une mission de l’Inspection générale des affaires sociales est en cours. Mais d’ores et déjà dans les négociations actuelles avec les médecins libéraux, l’assurance-maladie parle de mieux contrôler les ordonnances pour limiter les soins et les médicaments liés à l’ALD [affection de longue durée – ndlr], pris en charge à 100 %. »

En effet, seule une partie des soins des malades chroniques et des personnes handicapées est entièrement prise en charge par l’assurance-maladie.

Sur l’autre versant du sujet, celui des recettes, Bruno Le Maire glisse opportunément. Depuis sept ans, sous sa responsabilité, l’État a creusé sa dette, qui dépasse aujourd’hui les 3 000 milliards d’euros, en baissant les recettes publiques : 50 milliards de baisses d’impôts, 200 milliards d’aides, de subventions aux entreprises et d’allégements de cotisations sociales – santé, chômage, retraite – partiellement compensés par l’État, et qui ont aggravé les déficits des budgets sociaux.

500 millions euros d’économies sur les soins dentaires
Mercredi 20 mars, Bercy a annoncé que le déficit de la Sécurité sociale en 2023 était plus important qu’attendu : 10,8 milliards au lieu des 8,7 milliards d’euros inscrits dans la loi de financement de la Sécurité sociale.

Depuis l’automne, à petits pas, le gouvernement fait donc reculer l’assurance-maladie. Cela a débuté en octobre 2023 par le désengagement de l’assurance-maladie sur les soins dentaires : elle n’en prend plus la charge qu’à hauteur de 65 % ou 55 %, au lieu de 70 %. Cela représente 500 millions d’euros d’économies, qui reviennent immanquablement à la charge des Français·es, soit directement, soit via leurs cotisations à leur complémentaire santé.

Ce 31 mars entre en vigueur la hausse des franchises médicales et des participations forfaitaires. Les franchises, soit la somme déduite sur les remboursements par l’assurance-maladie, passent de 0,5 à 1 euro sur les médicaments et les actes des auxiliaires médicaux (infirmiers et infirmières, masseurs et masseuses-kinésithérapeutes, orthophonistes, psychomotricien·nes, pédicure-podologues…), de 2 à 4 euros sur les transports sanitaires. Les participations forfaitaires sont, elles, déduites sur les consultations médicales : de 1 euro aujourd’hui, elles passeront à 2 ou 3 euros. Les plafonds restent inchangés : 50 euros pour les franchises et 50 euros pour les participations forfaitaires, soit 100 euros en tout. Le gouvernement espère 800 millions d’euros d’économies, transférés à la charge des Français·es.

Toutes ces économies sur l’assurance-maladie s’ajoutent au reste à charge des patient·es, soit les sommes qu’ils et elles paient déjà, hors de la solidarité nationale entre riches et pauvres, bien et mal portants.

Reste à charge : l’officiel et l’invisible
La Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère de la santé) chiffre à 250 euros le reste à charge par habitant en 2022, soit la somme que paie chaque Français·e après l’intervention de l’assurance-maladie et des complémentaires santé. Cette moyenne cache cependant de grandes disparités « selon l’âge ou l’état de santé », précise la Drees. Les personnes âgées et les plus malades paient beaucoup plus.

Ce chiffre, déjà élevé, est trompeur, assure Féreuze Aziza de France Assos Santé : « Le ministère de la santé ne s’intéresse qu’aux dépenses qui sont, au moins en partie, remboursées par l’assurance-maladie. En réalité, les personnes les plus malades et les handicapé·es ont bien d’autres frais à leur charge, des dépenses invisibles. »

En 2019, France Assos Santé a soumis un questionnaire à 351 personnes malades chroniques ou en situation de handicap. Elles déclarent, en moyenne, 1 000 euros de dépenses « invisibles » par an : l’emploi d’une aide à domicile, les produits d’hygiène non remboursés, les surcoûts liés à une alimentation adaptée, les séances chez les psychologues, diététicien·nes, ergothérapeutes, les frais d’hébergement pour des soins éloignés du domicile, les frais de transport pour se rendre en consultation.

« Et toutes ces dépenses sont assumées par des personnes souvent précarisées par la maladie et le handicap », rappelle Féreuze Aziza.

70 % des personnes qui ont répondu à ce questionnaire déclarent renoncer à des dépenses de santé en raison de coûts trop importants et plus de 50 % font part de difficultés financières du fait de ces dépenses. Un quart déclarent même être contraintes à s’endetter ou à solliciter leurs proches.

La constante augmentation des dépassements d’honoraires
Autre cause majeure de l’augmentation des dépenses à la charge des Français·es : les dépassements d’honoraires. Le nombre de médecins généralistes, qui proposent une consultation très majoritairement en secteur 1, c’est-à-dire sans dépassement, ne cesse de s’étioler : − 0,27 % en 2022. Au contraire, le nombre de médecins spécialistes ne cesse, lui, d’augmenter, année après année : + 1,3 % en 2022. 53 % de ces derniers facturent des dépassements d’honoraires. Ces dépassements sortent de la poche des patient·es à hauteur de 1,5 milliard d’euros (la moitié des contrats complémentaires individuels ne couvrent pas les dépassements d’honoraires), quand 2,8 milliards sont remboursés par les complémentaires santé.

Le 100 % santé efficace seulement sur les audioprothèses
En 2021 est entré en vigueur le « 100 % santé », qui prévoit la prise en charge à 100 % d’un panier de soins par les complémentaires santé et l’assurance-maladie.

Selon la Drees, cette réforme a permis de diminuer les frais à la charge des patient·es sur les audioprothèses. Mais même pour celles dont les prix sont les moins élevés, les patient·es doivent tout de même débourser 150 euros en moyenne, au-delà de la prise en charge par l’assurance-maladie et les complémentaires. En revanche, le 100 % santé n’a pas diminué la contribution des patient·es en optique et en dentaire.

Le non-recours à la complémentaire santé solidaire
Parmi les plus modestes, une part n’a pas recours à leur droit à la Complémentaire santé solidaire (CSS), l’ex-CMU-C. Elle est accessible sans participation financière jusqu’à 9 719 euros de revenus annuel pour une personne, et jusqu’à 13 120 euros annuels avec une participation financière de 30 euros au maximum par mois.

Ces plafonds de ressources sont en dessous du seuil de pauvreté, et excluent les plus modestes. Les personnes âgées pauvres, mais au-dessus des plafonds de la CSS, se voient donc contraintes de consacrer plus de 10 % de leurs revenus à une complémentaire.

Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) estime que le non-recours à ce droit est important. Aujourd’hui, 7,4 millions de personnes bénéficient de la CSS sans participation, 1,5 million avec participation.

Augmentation de 8 % des complémentaires santé
Vieillissement de la population, progression naturelle des dépassements, 100 % santé, désengagement de l’assurance-maladie sur les soins dentaires : sans surprise, les dépenses prises en charge par les complémentaires ne cessent d’augmenter, et les cotisations avec. La Mutualité française, la fédération des mutuelles, prévoit une hausse de 8,1 % en 2024. Or, parce qu’elles ne sont pas mutualisées, le coût des complémentaires est bien plus élevé selon l’âge : les cotisations dépassent largement les 100 euros pour une personne âgée.

De ce côté-là, il existe une source d’économies substantielles. En raison de ce double système d’assurance, public et privé, des dépenses de santé, la France est le deuxième pays, après les États-Unis, où les « frais de gestion du système de santé sont les plus élevés », explique le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM).

Ce sont, de loin, les complémentaires qui coûtent le plus cher en frais de gestion : 21 % des cotisations ne financent pas les dépenses de santé, mais l’activité d’indemnisation et les frais d’administration, et surtout les « frais d’acquisition pour attirer de nouveaux clients » : la publicité, les frais de réseau, etc. La comparaison avec les frais de l’assurance-maladie est cruelle pour les complémentaires : la première rembourse 80 % de la consommation de soins, et affiche des frais de gestion de 6,9 milliards d’euros ; les secondes, de 7,6 milliards d’euros.

Le HCAAM a chiffré un scénario de hausse de la prise en charge par la Sécurité sociale de 18,8 milliards d’euros. Le gain financier serait de 5,4 milliards d’euros. Les personnes âgées bénéficieraient de la baisse très importante de leurs cotisations, de plus de 1 000 euros par an pour les plus de 70 ans.

En faisant reculer l’assurance-maladie, le gouvernement fait en réalité le choix d’une hausse importante des dépenses de santé, toujours plus à la charge des plus malades et des plus modestes.

Caroline Coq-Chodorge