Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

JIM - Comment évaluer la stratégie de la vaccination contre la Covid-19 ?

Janvier 2021, par Info santé sécu social

Publié le 30/01/2021

La campagne de vaccination a été lancée fin décembre en France. Comme le rappelle le professeur Dominique Baudon dans cette tribune, pour évaluer l’efficacité de la stratégie de vaccination, et éventuellement la corriger, il importe d’en fixer les objectifs précis, d’utiliser des indicateurs fiables, et d’avoir une communication gouvernementale claire et transparente.

Des objectifs précis : vacciner d’abord les plus vulnérables
Les objectifs de cette campagne de vaccination ont été rappelés par le Premier Ministre lors de sa conférence de presse du 7 janvier 2021 : faire baisser la mortalité et les formes graves dues à la Covid 19, protéger les français et notre système de santé, cela en toute sécurité.

La stratégie initialement définie par le Gouvernement en décembre était celle recommandée par la Haute Autorité de Santé (HAS) ; elle prévoyait de vacciner les personnes les plus à risques, selon un calendrier bien défini en cinq phases. La première concernait les résidents en établissements en particulier les Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPADs) et les Unités de soins de longue durée (USLD), soit environ 750 000 personnes ; l’objectif était d’obtenir rapidement un effondrement de la mortalité puisque près de 45 % des décès enregistrés lors de l’épidémie (Données HAS fin décembre) proviennent de ces établissements, et en conséquence d’éviter la saturation hospitalière. L’objectif pouvait être atteint puisque la France disposait de près de 1,5 millions de doses (vaccin Pfizer BionTech) pour le mois de janvier. La seconde phase prévoyait d’étendre la vaccination aux plus de 75 ans, puis aux personnes de 65 à 74 ans, ainsi qu’à certains personnels soignants ; elle concernait environ 15 millions de personnes qu’il fallait selon le Premier Ministre « vacciner le plus vite possible ». Enfin, trois autres phases sont prévues pour la vaccination de la population le moins à risque : les 18 ans et plus.

La HAS, lors de l’élaboration de la stratégie n’a pas suffisamment pris en compte les contraintes logistiques, en particulier pour la mise en œuvre de la vaccination dans les EHPADs et USLDs ce qui explique la lenteur du démarrage.

Ces difficultés logistiques ont conduit le gouvernement à modifier l’objectif initial en élargissant la population cible à vacciner (31 décembre avec les Personnels de santé de plus de 50 ans, puis les personnels pompiers - 18 janvier, les plus de 75 ans), et pour cela à déployer des Centres de vaccinations (vaccinodromes). Le nouvel objectif fixé et « médiatisé » était celui d’atteindre le million de personnes à vacciner d’ici fin janvier ; il sera atteint et même dépassé, car, hormis pour les EHPAD, les USLD et les personnes âgées vivant à domicile, la logistique est plus simple à mettre en œuvre puisque ce sont les sujets qui viennent à la vaccination.
Des indicateurs d’efficacité fiables : morbimortalité et circulation du virus
Il est bien sûr nécessaire et fondamental de mettre en place une évaluation de l’efficacité de la vaccination à travers des indicateurs fiables concernant le nombre de cas, le nombre de décès, mais aussi évaluant la « performance logistique ».

Des indicateurs classiques sont déjà utilisés pour évaluer la morbidité et la mortalité liées à la Covid 19 : le nombre de décès quotidiens, le pourcentage de lits d’hospitalisation occupés par des malades de la Covid, le nombre de lits de réanimation occupés par ces malades, le nombre d’arrêts maladies liés à la Covid, le nombre d’appels à SOS ou au 15 pour suspicion de la Covid-19..…Ce sont ces indicateurs qui dans un premier temps permettront de montrer l’impact de la vaccination sur la mortalité et le nombre de formes graves.

Parallèlement il faudra continuer à étudier la circulation du virus pour juger de l’efficacité de la stratégie classique (Gestes de protection, couvre-feu et éventuel confinement), puis de l’efficacité éventuelle de la vaccination de masse lorsque toute les populations cibles seront vaccinées.

Le nombre de tests positifs, avec le « fameux seuil de 5 000 », n’est pas un indicateur fiable car il dépend du nombre de tests réalisés ; plus on teste et plus il y a de cas positifs, et inversement. Le pourcentage de tests positifs est un meilleur indicateur pour suivre la circulation du virus ; certes, il n’est pas parfait, car à ce jour, nous n’avons pas la connaissance des pourcentages de malades et de porteurs asymptomatiques parmi les tests positifs. Dans les dépistages de masses, ce pourcentage baisse car beaucoup de sujets asymptomatiques sont détectés.

La charge virale (extraits d’ARN m) peut être étudiée dans les eaux usées ; c’est un bon indicateur de la circulation du virus ; elle peut permettre une adaptation des stratégies selon les zones géo-graphiques.

Évaluer aussi la logistique et les effets secondaires
Certains indicateurs logistiques sont classiques comme le nombre de doses de vaccins utilisés, le nombre de sujets totalement vaccinés, le nombre de doses perdues (gaspillage), la couverture vaccinale (pourcentage de sujets vaccinés) selon les populations cibles, les ressources humaines matérielles et financières mobilisées.

Mais il faut aller au-delà et mettre en place des indicateurs permettant de suivre par exemple les délais d’acheminement des vaccins vers les centres de vaccinations, le suivi de la chaîne du froid, le fonctionnement des centres de vaccination.

L’évaluation des effets secondaires liés à la vaccination est faite à travers les données de pharmacovigilance. Il faudra différencier les effets indésirables liés à la vaccination de ce que j’ai appelé les effets « ping pong ».

Par exemple, dans les EHPADs, la vaccination n’aura pas d’impact sur les autres maladies susceptibles de survenir chez les résidents, souvent atteints de comorbidités. Il y aura malheureusement des décès sans aucune relation avec la Covid 19. Nous avons là un effet ping pong : attribuer à la vaccination (ping) les pathologies et les éventuels décès (pong). L’étude de ces effets secondaires permettra, comme l’a écrit Aurélie Haroche dans une tribune du JIM.fr « d’éviter le poison de la suspicion ».

Enfin, des enquêtes épidémiologiques sur des échantillons aléatoires de la population, conduites par des organismes de recherche ou des DRASS (Direction régionales des affaires sanitaires et sociales), pourraient aussi, dans un deuxième temps, comparer les nombres de tests positifs selon que les sujets aient été ou non vaccinés. Lorsque la situation épidémiologique sera stabilisée, des enquêtes devront évaluer la part des différentes mesures (vaccination, gestes protecteurs, mesures de confinement…) dans la réduction de la mortalité et dans la diminution de la circulation virale. Il faudra aussi mesurer l’impact des mesures de restriction (confinement, fermetures de certains commerces, universités et écoles, reports d’interventions chirurgicales et de traitement de cancer et autres maladies chroniques), sur la santé physique et psychique de la population.

Aller au-delà du nombre de vaccinations par jour
La communication du gouvernement doit être claire et transparente concernant l’évaluation de la stratégie de vaccination en fournissant régulièrement les résultats.
Actuellement cette communication est fondée essentiellement sur le nombre de « vaccinations » réalisées par jour. Il faut aller au-delà et par exemple préciser le nombre de sujets vaccinés (2 doses pour les vaccin ARNm), les pourcentages selon les différentes populations cibles et en particulier selon les populations prioritaires. Il faudra aussi, régulièrement donner les résultats concernant les autres indicateurs que nous avons cités, et en particulier ceux qui évaluent la logistique.

Ainsi la transparence dans la communication permettra d’établir un climat de confiance dans la population vis à vis de nos autorités.

Pr Dominique Baudon, Professeur du Val-De-Grâce