Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Mediapart : 17 000 décès imputés à l’hydroxychloroquine : les explications de l’un des auteurs de l’étude

il y a 3 mois, par infosecusanté

Mediapart : 17 000 décès imputés à l’hydroxychloroquine : les explications de l’un des auteurs de l’étude

Pour la première fois, une étude française évalue le nombre de décès probablement dus à l’hydroxychloroquine parmi les malades du Covid hospitalisés. C’est une estimation a minima, car l’étude se concentre sur six pays seulement, et sur la première vague épidémique.

Caroline Coq-Chodorge

6 janvier 2024

Des médecins, des pharmaciens et des pharmacologues des Hospices civils de Lyon et l’université Laval à Québec tentent de démêler l’épineuse question de la surmortalité associée à l’usage massif d’hydroxychloroquine, dans une étude parue dans le journal Biomedicine and Pharmacotherapy.

Au moins aux premiers temps du Covid, la prescription d’hydroxychloroquine a été massive dans le monde entier. À une exception : « la Grande Bretagne », précise le premier auteur de cette étude, le professeur lyonnais Jean-Christophe Lega, spécialiste de l’évaluation et de la modélisation des effets thérapeutiques.

Ce sont en effet les Britanniques, avec leur essai Recovery, qui ont sifflé la fin de la partie. Sur les différents traitements susceptibles d’avoir un effet thérapeutique sur la maladie, ils ont conduit des études randomisées, qui apportent le plus haut niveau de preuve, et qui incluent près de 50 000 malades. L’hydroxychloroquine était l’une des molécules testées dans Recovery. Dès le 5 juin 2020, les Britanniques ont mis fin à ce bras de l’étude, prenant acte d’une absence d’efficacité.

Plus tard, d’autres études ont mis en évidence une surmortalité associée à l’hydroxychloroquine, évaluée autour de 10 %. L’étude française retient le taux de 11 %. Jean-Christophe Lega reconnaît « une marge d’incertitude, comprise entre 2 et 20 % de surmortalité. Mais cela ne fait pas une très grande différence. Par exemple en Espagne, en retenant un taux de 10 % de surmortalité, on estime le nombre de morts à près de 2 000. Si l’on retient le taux de 2 % de surmortalité, cela représente tout de même 400 morts ».

Une sélection des études les plus solides
Ce que cette étude apporte est une première évaluation, dans six pays, du nombre de décès associés à l’hydroxychloroquine, chez les malades du Covid hospitalisés. Elle se concentre sur la première vague épidémique, au printemps 2020, quand régnait la plus grande incertitude sur ce nouveau virus. L’étude française s’appuie sur une sélection de 44 études à la méthodologie la plus rigoureuse, et qui incluent le plus grand nombre de patient·es.

L’étude estime à 16 990 décès de malades du Covid hospitalisés qui peuvent être attribués à l’hydroxychloroquine : 240 en Belgique, 95 en Turquie, 199 en France, 1 822 en Italie, 1 895 en Espagne, et 12 739 aux États-Unis.

« C’est important de quantifier le nombre de morts : c’est ce qu’on a fait pour le Mediator par exemple, explique le médecin de santé publique Mahmoud Zureik, qui dirige un groupement associant l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et l’assurance-maladie, chargé de mesurer l’efficacité des médicaments à partir des données de santé des Français·es. Cela permet d’évaluer l’ampleur du problème. Certes, on ne peut savoir, individuellement, si quelqu’un est décédé à cause de l’hydroxychloroquine. Mais on peut calculer une probabilité. »

L’étude française calcule le nombre de décès associés à l’hydroxychloroquine, à partir du taux de patient·es exposé·es à cette molécule : dans les études retenues, il est de 51 % en Belgique, 15,6 % en France, 80,8 % en Italie, 83,5 % en Espagne, 73,1 % en Turquie, et 62,1 % aux États-Unis.

« Pour estimer le nombre de morts, il fallait établir le nombre de patients traités par l’hydroxychloroquine, détaille le professeur Lega. C’est ce qu’apporte notre étude : une évaluation, dans six pays, du nombre de patients hospitalisés auxquels a été administrée de l’hydroxychloroquine pendant la première vague. Même s’il y a une marge d’incertitude, on peut affirmer que dans ces six pays au moins des centaines de malades sont morts en raison de la toxicité de HCQ. Au niveau mondial, le chiffre est bien plus important : la plupart des pays ont prescrit massivement de l’hydroxychloroquine. »

Mahmoud Zureik exprime des doutes sur « le taux de 62,1 % d’exposition à l’hydroxychloroquine aux États-Unis, très élevé » : « Cela ne me paraît pas très bien documenté. C’est une faiblesse majeure de l’étude, car sur les 17 000 décès estimés, les deux tiers sont américains », estime-t-il.

Le professeur Lega défend ce chiffre : « Pendant la première vague, l’hydroxychloroquine a été très largement prescrite, et pas seulement de manière compassionnelle, c’est-à-dire aux seuls patients dont le pronostic vital est engagé. On l’a même prescrite aux patients en ville, il y a eu des tensions d’approvisionnement pendant la première vague. Et elle a probablement été administrée aux patients hospitalisés à haute dose, et longtemps : c’est nécessaire pour que les concentrations dans le sang soient thérapeutiques. »

La toxicité de ce médicament n’est pas une surprise : « On ne l’a pas inventée, poursuit le professeur lyonnais. Elle est décrite depuis longtemps, notamment sa toxicité cardiaque. Elle reste faible. Mais on peut déterminer, à large échelle, les conséquences d’une toxicité faible. » Mahmoud Zureik renchérit : « Plus de précautions auraient du être prises avec l’hydroxychloroquine, en raison de ses effets secondaires cardiaques documentés de longue date. Car toutes les études ont montré, très tôt, que le Covid n’est pas seulement une maladie pulmonaire. Il y a très rapidement des complications cardiaques. C’est probablement la raison de la surmortalité liée à l’hydroxychloroquine. »

La principale conclusion de cette étude est qu’il ne fallait pas « promouvoir de médicaments qui n’étaient pas évalués, et alimenter de faux espoirs sur l’existence d’une solution à cette crise sanitaire complexe ».

« C’est un retour d’expérience, une autocritique sur nos pratiques, explicite le professeur Lega. On peut s’interroger sur la liberté de prescription en situation de pandémie, qui a permis aux médecins de s’en remettre à leurs intuitions. On aurait dû interdire l’accès compassionnel et signifier aux patients que s’ils voulaient recevoir des molécules, ils devaient être inclus dans des études randomisées. C’est ce qu’ont fait les Britanniques, avec Recovery : les agences de régulation ont porté des messages forts, les médecins ont travaillé collectivement, sans se mettre en avant, et ont produit les plus belles études, les plus utiles. En France, l’hubris médicale a pris le dessus, c’était la cacophonie. Chacun a tâtonné dans son coin, on a attendu un génie individuel, alors que la solution était collective. La plupart des études n’étaient pas assez puissantes : elles n’incluaient pas assez de patients ou leur méthodologie n’était pas assez robuste. »

En creux, l’étude vise le professeur Didier Raoult à la tête de l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection (IHU), qui a fait une très importante publicité à ce médicament, présenté comme miraculeux. Aucune étude de l’IHU n’a été retenue.

Mais finalement, « on a l’impression que les Français ont été plutôt prudents, et ont plutôt prescrit des corticoïdes, qui se sont avérés efficaces sur les patients dans un état grave. Mais il y a eu de très grandes différences de prescriptions, hôpital par hôpital, voire service par service », considère le professeur Lega.

Caroline Coq-Chodorge