Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Mediapart : Europe de la santé : le choc du Covid-19 impose le thème dans les programmes

il y a 1 mois, par infosecusanté

Mediapart : Europe de la santé : le choc du Covid-19 impose le thème dans les programmes

Covid-19, souveraineté sur la production de médicaments, « CMU européenne » : passage en revue des propositions des partis pour les élections européennes en matière de santé en Europe.

Manuel Magrez

2 juin 2024

Nous sommes le 9 mars 2021, l’épidémie de Covid-19 fait toujours rage. En vingt-quatre heures, la France déclare 23 000 nouveaux cas d’infection et 368 nouveaux décès, et les autres pays européens ne sont pas en reste. L’Italie déclare dans le même temps 19 700 cas et 376 décès supplémentaires, l’Espagne 291 nouveaux décès. Le même jour, la Commission européenne et le gouvernement britannique s’écharpent sur un supposé « nationalisme vaccinal ».

Depuis quelques mois, l’Union a décidé de contrôler les exportations de vaccins contre le Covid-19 produits sur son sol, accusant les laboratoires de ne pas jouer le jeu, et l’Italie vient de bloquer l’exportation vers l’Australie de 250 000 doses de vaccins produits par AstraZeneca sur un site près de Rome. La tension autour des vaccins vient d’une inquiétude : les industriels alertent depuis quelques jours sur de possibles pénuries des composants des vaccins.

À Bruxelles, dans l’hémicycle du Parlement européen, c’est aussi le jour du vote du « programme européen d’action sur la santé pour 2021-2027 », de son nom international et raccourci « EU for Health », discuté en réaction à la crise sanitaire. Le vote fait l’objet d’un rare consensus, qui se comprend par le choc de la situation. Les groupes d’eurodéputé·es de la droite aux plus à gauche votent pour, permettant une large victoire du « oui » à 631 voix pour et 32 contre. Les élu·es d’extrême droite français·es, pour leur part, s’abstiendront.

L’objet du texte ? « Mieux préparer les systèmes de santé aux futures menaces sanitaires et aux pandémies », explique la Commission européenne, se félicitant du vote. Concrètement, le programme, doté de 5 milliards d’euros, prévoit le financement de projets liés à l’accès aux soins, de la recherche scientifique (notamment contre le cancer), ou encore l’élaboration d’une plateforme européenne des données de santé.

Avec l’abstention de ses eurodéputé·es d’extrême droite, la délégation française est celle qui a le moins voté en faveur du texte des vingt-sept pays de l’UE. 69 % seulement des eurodéputé·es de France se sont prononcé·es en faveur du programme, contre 97 % en Italie ou encore 88 % en Allemagne.

Depuis ce vote, les discours ne se sont pas bousculés pour défendre une Europe de la santé. En France, la campagne des élections européennes a aussi fait très peu de place au thème. « Est-ce que ce sujet majeur, l’Europe de la santé et de l’accès au médicament, est discuté par l’ensemble de nos têtes de liste aux élections de juin prochain ? », s’interroge Philippe Moreau, professeur au CHU de Nantes, dans une tribune accordée au Monde. « Personne n’aborde ce sujet. À peine parle-t-on de souveraineté à propos de la relocalisation des usines fabriquant des génériques, au moment où Servier France s’apprête à vendre Biogaran, sa filiale produisant des génériques, à un grand groupe indien », répond l’universitaire.

Des propositions issues du choc du covid-19
Pourtant, le sujet est bien dans les programmes, parfois même en bonne place, la majorité du temps sous cet angle de la « souveraineté européenne » en matière de production de médicaments et de vaccins. La liste Les Républicains (LR), portée par François-Xavier Bellamy, propose à la fin de son programme de « constituer des stocks stratégiques européens de produits pharmaceutiques, d’équipements médicaux et de vaccins, [de] déployer une politique de relocalisation de l’industrie pharmaceutique en Europe et [d’]assurer notre autonomie stratégique dans le domaine de la santé ».

Le programme de la majorité présidentielle a pour seule proposition liée à la santé une mesure similaire. Pour la liste portée par Valérie Hayer, il faut « adopter une loi européenne pour relocaliser la production des médicaments stratégiques. Des achats communs au sein d’une Alliance européenne permettront de réduire les prix et de préserver notre pouvoir d’achat ».

« Produire nos médicaments en Europe, c’est prévenir et gérer toute future pandémie ou pénurie », justifie la majorité présidentielle dans son programme. Là encore, la pandémie de Covid-19 a laissé des traces et imposé son thème. En 2019, par exemple, il n’était fait aucune mention de la santé dans le programme de la liste macroniste.

Pour 2024, les listes de gauche sont plus prolixes sur la question. En plus de plaider en chœur en faveur d’un « service public européen du médicament », les programmes y accordent généralement un chapitre entier. Tandis que la liste de Léon Deffontaines et celle de Manon Aubry insistent sur « la sortie de la logique austéritaire européenne » comme première solution pour « protéger le service public de santé », écologistes et socialistes insistent pour plus de coopération dans l’Union.

Crispation autour de nouvelles compétences européennes
Le programme de Réveiller l’Europe, la liste de Raphaël Glucksmann (Parti socialiste-Place publique), évoque « la convergence des prix des médicaments en Europe » ou encore le développement « des achats groupés, comme l’UE l’a réalisé au temps du covid ».

À ce jeu du développement de l’Europe de la santé, c’est sans doute le programme écologiste qui va le plus loin. La liste de Marie Toussaint propose la création d’une « CMU européenne », adossée à un « plan pour la santé mentale » (que le programme de la liste insoumise appelle aussi de ses vœux), et la création de « maisons européennes de proximité pour la santé des femmes ».

Reconquête et le Rassemblement national (RN) sont à l’exact opposé, puisque les listes d’extrême droite zappent la question de la politique de santé dans leurs programmes. La seule mention dans le programme de Reconquête se trouve en avant-dernière page et tient en trois lignes : « Mettre en œuvre une grande campagne européenne de prévention contre les trois fléaux majeurs qui menacent la santé mentale et physique de la jeunesse européenne : les drogues, l’addiction aux écrans et l’exposition à la pornographie. »

Jordan Bardella, lui, ne veut même pas en entendre parler. Dans son mot d’introduction, la tête de liste du Rassemblement national dénonce « la Commission de Bruxelles [qui] exploite les crises pour s’arroger des compétences supplémentaires au détriment de la souveraineté des États. C’est le cas des compétences de santé avec la crise du covid ». C’est la seule mention de la santé dans son maigre programme de dix-sept pages.

Sur ce point, le programme de la liste communiste adopte une ligne intermédiaire. Moins farouchement contre que le RN et Reconquête, elle se distingue de ses camarades de gauche par son « opposition à la création d’un marché unique des médicaments et des produits de santé », accusant l’Union d’être « incapable de répondre aux enjeux de santé publique comme de lutte contre les pénuries », prenant en exemple la crise sanitaire de ces dernières années. Là encore, l’ombre du Covid-19 plane sur le programme.

Manuel Magrez