Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

JIM - Exclusif : la majorité des professionnels de santé favorables à la levée des brevets sur les vaccins contre la Covid

Juin 2021, par Info santé sécu social

Paris, le lundi 14 juin 2021

Le G7 qui s’est achevé hier a voulu donner l’image des plus riches puissances du monde attentives aux difficultés des pays pauvres. Aussi, Emmanuel Macron a énuméré ce dimanche les différents engagements pris par le G7 concernant la vaccination contre la Covid : l’objectif est la vaccination de 60 % de la population mondiale au printemps prochain et de 40 % avant la fin de l’année. Pour ce faire, les membres du G7 comptent tout d’abord sur la générosité avec l’annonce du don d’un milliard de doses de vaccin. La France, devrait ainsi « doubler ses engagements, et passe de 30 à 60 millions de doses partagées » avant janvier 2022. Première étape : l’Union africaine devrait recevoir cinq millions de doses dans les semaines qui viennent. La situation de l’Afrique concentre en effet l’attention avec « 20 % des besoins de vaccination et 1 % des capacités de production ». Face à l’ampleur de ce défi, même si les annonces concernant le don de vaccins sont spectaculaires, la question de la levée des brevets demeure pour sa part en suspens. Emmanuel Macron a d’ailleurs reconnu : « L’objectif, c’est qu’en aucun cas la propriété intellectuelle ne bloque le transfert de technologie qui permette de produire (des vaccins) dans l’ensemble des régions du globe ». Dès lors, les membres du G7 ont unanimement appelé à l’accélération de la réflexion de l’OMS et de l’Organisation mondiale du commerce, afin d’aboutir à un accord sur la question des brevets.

Décalage entre le Parlement européen et la Commission
Derrière cette déclaration d’intention cependant, on le sait les discussions sont particulièrement complexes et les discussions au sein des instances dirigeantes européennes la semaine dernière en ont témoigné. Ainsi, le Parlement européen a adopté jeudi une résolution qui demande que soient conduites des négociations pour la levée temporaire de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce concernant les vaccins anti-Covid. Or, cette adhésion du Parlement contraste avec la position bien plus prudente de la Commission européenne et du Conseil européen. Tout en reconnaissant qu’il ne faut pas faire l’impasse sur cette stratégie, la Commission et le Conseil invitent en effet à ne pas faire de la levée des brevets une « solution miracle » selon l’expression du Président du Conseil européen Charles Michel.

Un quart seulement des professionnels de santé défavorables à la levée des brevets

La position des dirigeants européens et des pays du G7 est particulièrement complexe car aux enjeux économiques et industriels s’ajoutent la pression des opinions publiques et des médecins.

Ces derniers se montrent en effet majoritairement favorables à la levée des brevets comme le révèle une enquête réalisée par le JIM du 16 mai au 8 juin. Ainsi, 71 % des professionnels de santé s’y déclarent favorables à la levée de la protection des brevets des vaccins anti Covid. Si la majorité d’entre eux considère cependant que cette démarche doit s’accompagner d’une indemnisation des laboratoires propriétaires (49 %), ils sont néanmoins 22 % à estimer que cette levée doit se faire sans indemnités.

Ainsi, seuls 26 % des professionnels de santé se disent opposés à toute levée de la protection des brevets.

Un même objectif, mais des moyens différents
A l’indispensable solidarité avec les pays pauvres s’ajoute probablement chez les professionnels de santé favorables à cette levée des brevets la conviction que seule une très large vaccination de l’ensemble de la population mondiale permettra d’espérer en finir avec les mesures destinées à limiter les conséquences de la pandémie de Covid. Cette idée avait été exprimée dans nos colonnes par le docteur Jean-François Corty qui soulignait : « Pourtant, une solidarité planétaire effective, soumise de fait au levier des brevets pharmaceutiques, s’impose comme un principe de santé publique incontournable si l’on veut enrayer l’épidémie et l’émergence de variants mortifères pour tous ».

L’expérience du Sida inspire probablement à la majorité des médecins l’idée que les règles doivent être adaptées pour permettre de soigner ou de protéger le plus grand nombre.

Cependant, il est peu probable que les 26 % de professionnels de santé qui se déclarent hostiles à la levée des brevets soient étrangers aux considérations de santé publique et de solidarité. Mais c’est plus probablement la pertinence de cette mesure pour atteindre l’objectif fixé qu’ils remettent en question, au-delà même des conséquences potentiellement fâcheuses pour le financement de la recherche privée. Le patron du syndicat de l’industrie pharmaceutique, Frédéric Collet avait ainsi observé dans une tribune publiée par Le Monde en mars dernier : « Fabriquer des milliards de doses pour des personnes à travers le monde sans jamais compromettre la qualité ou l’innocuité des vaccins est un défi sans précédent. Il s’agit de produits biologiques complexes à mettre au point et les outils de production disponibles sont déjà totalement mobilisés. Les technologies sont trop innovantes pour être transférées simplement d’un site à l’autre et les véritables verrous – technologiques et logistiques – ne seraient pas levés par des licences d’office. Chaque site de vaccination nécessite des techniciens hautement qualifiés et des équipements de pointe (bioréacteurs, centrifugeuses, chambres froides…) qui répondent à des normes réglementaires élevées de sécurité et de performance. Concrètement, lever les brevets sur les vaccins contre le Covid ne réglerait pas le défi de la production de masse qui se pose aujourd’hui ». Aussi, plutôt qu’une levée des brevets incertaine et complexe, beaucoup préfèrent prôner la générosité directe des pays riches achetant les vaccins pour les états pauvres, éventuellement en profitant de prix revus à la baisse. Pour l’heure, les annonces concrètes du G7 concernent cette voie, alors que la question des brevets reste encore virtuelle.

Aurélie Haroche