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L’Humanité - Dépendance, les assurés sociaux appelés à la rescousse du grand âge

Mars 2019, par Info santé sécu social

Mercredi, 27 Mars, 2019
Sébastien Crépel

Les conclusions de la concertation sur l’autonomie des plus âgés, attendues jeudi, devraient prôner une meilleure prise en charge de la dépendance, mais sans un sou de plus pour la Sécurité sociale. Les prestations de retraite et de santé seraient les grands sacrifiés de ce choix politique.

Rien ne devait filtrer avant jeudi 28 mars, jour de la remise officielle du rapport sur le grand âge et l’autonomie à la ministre des Solidarités et de la Santé. La polémique lancée par le gouvernement ces deux dernières semaines sur le possible report de l’âge de la retraite pour dégager des moyens pour les plus anciens a modifié le climat, en focalisant désormais le débat sur la question clé du financement de la prise en charge de la dépendance. Alors que six Français sur dix refusent d’être mis à contribution via l’allongement de la durée de travail (62 %) et le report de l’âge de départ à la retraite (61 %) selon un sondage Harris Interactive pour TF1, LCI, RTL et le Figaro, les ressources que le rapporteur, l’ancien directeur de la Sécurité sociale Dominique Libault, proposera d’affecter seront particulièrement scrutées.

La prise en charge de la dépendance constitue en effet un énorme défi démographique et financier qu’aucun gouvernement n’a osé jusqu’alors relever. Plusieurs fois esquissé et reporté, le débat politique « est longtemps resté au point mort, comme s’il inquiétait tous les acteurs, pointait ainsi, le 22 mai dernier, le club de réflexion Terra Nova. On craint en particulier une dépense immaîtrisable qui viendrait heurter les objectifs de resserrement des dépenses de santé ». Sachant que, d’ici à 2060, le nombre de personnes en perte d’autonomie devrait doubler pour atteindre 2,5 millions (contre 1,25 million d’allocataires de l’aide personnalisée à l’autonomie en 2015), les budgets consacrés devraient, eux, suivre une courbe exponentielle si on vise l’amélioration de la prise en charge et des prestations, aujourd’hui très insuffisantes. Il faudrait alors affecter beaucoup plus que le double des 30 milliards actuels (chiffres 2014) – dont 23,7 milliards pris en charge d’une façon ou d’une autre par la solidarité nationale.

Or c’est là que le bât blesse. Selon nos informations, le rapport Libault devrait afficher des priorités alléchantes sur une nouvelle offre de soins à domicile, la présence humaine et la revalorisation des carrières et des salaires, l’accessibilité financière comme garantie du libre choix, en particulier en diminuant le reste à charge écrasant pour les familles des résidents des Ehpad. Mais l’effort budgétaire, lui, ne suivrait pas du tout. Au contraire, toutes ces priorités devraient être financées… à enveloppe constante pour la protection sociale. Informée des contours de la réforme le 8 mars, Force ouvrière a levé le secret : « Sur la question du financement, M. Libault a indiqué que le gouvernement ne souhaitait pas mettre en place de prélèvements obligatoires supplémentaires. » À la place, indique le syndicat, « il a évoqué plusieurs pistes : instaurer un prélèvement qui prendrait la suite de la CRDS à partir de 2024 (date de la fin prévue de cet impôt affecté au remboursement de la dette sociale – NDLR), affecter les excédents des branches de la Sécurité sociale, mobiliser les actifs du Fonds de réserve des retraites, prioriser la perte d’autonomie » dans les dépenses d’assurance-maladie.

Le sujet se complique toutefois avec le tarissement de certains financements sur lesquels pariait Dominique Libault. « On partait au départ sur les excédents de la Sécurité sociale, mais cette piste est désormais obsolète », confie un participant aux travaux. Fruit des plans d’austérité passés imposés à la Sécu, ces excédents ont en effet été siphonnés par les mesures pour le pouvoir d’achat annoncées par Emmanuel Macron en décembre, en réponse aux gilets jaunes. « Et l’État a rompu avec la compensation intégrale des exonérations de cotisations sociales » qui aurait permis de financer le plan dépendance, poursuit cette même source. Pas question pour autant de renoncer à des « mesures financières lourdes, même si la situation financière a changé, nous dit-on . Le budget de la Sécurité sociale, c’est plus de 500 milliards d’euros. On peut redéployer des moyens de cette grande masse de la protection sociale. Il faut pour cela accepter de faire des efforts sur d’autres risques sociaux, principalement sur la retraite et la santé ».

Même si le recul de l’âge de la retraite « n’a jamais été évoqué ni dans le cadre de la mission Libault ni dans celui de la concertation retraite » menée en parallèle par le gouvernement, indique FO, cette idée répond parfaitement à l’objectif de coupes dans les pensions de retraite pour financer la prise en charge de la dépendance. Cette piste est d’ailleurs toujours considérée comme « valide » par le premier ministre, en dépit de ses dénégations sur l’existence d’un projet de modifier l’âge de départ fixé à 62 ans. « Se poser la question de savoir s’il faut travailler plus longtemps pour que le fruit de ce travail plus long finance ces besoins considérables d’investissement et de prise en charge, de la diminution du reste à charge, est une question parfaitement valide », a maintenu Édouard Philippe devant les députés, le 20 mars.

Une hypothèse à prendre très au sérieux, car elle a désormais l’appui de l’Élysée, en dépit de la promesse de campagne présidentielle d’Emmanuel Macron de n’en rien faire : « À partir du moment où on décide de prendre en charge la dépendance, les données peuvent changer, déclarait la semaine dernière, au Monde, l’entourage du chef de l’État. Si on offre la couverture d’un nouveau risque, cela ne va pas se faire avec des pièces en chocolat ! » Conseiller confédéral de la CGT sur le dossier des retraites, Régis Mezzasalma rappelle l’opposition de son organisation à l’augmentation de la durée de travail pour financer l’autonomie. « Il faut aller chercher les ressources là où elles existent, estime le syndicaliste. La CGT va présenter cette semaine un plan de 120 milliards d’euros de recettes supplémentaires pour la Sécurité sociale, avec lesquelles on pourrait financer à la fois la retraite dès 60 ans, de meilleures pensions pour toutes et tous, et la prise en charge de la dépendance des aînés. »

Sébastien Crépel