Branche maladie de la sécurité sociale

L’Humanité - La généralisation du tiers payant, une fausse mesure de gauche

Janvier 2017, par Info santé sécu social

Depuis le 1er janvier, les femmes enceintes et les personnes souffrant d’affections de longue durée, soit 11 millions d’assurés sociaux, n’auront plus à avancer la part des soins pris en charge par la Sécurité sociale chez leur médecin. Mais cette mesure reste très contestée par les généralistes.

L ’économiste Philippe Batifoulier est l’auteur de Capital santé Quand le patient devient client, aux éditions la Découverte. Il est partisan de redonner une place prépondérante à la Sécurité sociale dans la prise en charge de la santé des Français. La généralisation du tiers payant est une mesurette, selon lui.

Vous dénoncez la défaite la défaite du patient face au système de santé d’aujourd’hui. L’élargissement du tiers payant constitue-t-il une reconquête ?

Philippe Batifoulier Cette généralisation du tiers payant, notamment aux femmes enceintes et aux personnes souffrant de longues maladies, fait figure de mesure de gauche. Il n’en est pourtant rien. Si le médecin propose la dispense de paiement, il n’y est pas obligé, c’est une bonne chose pour les plus démunis mais le problème des reste à charge n’est pas réglé : le patient continuera d’avancer 30 % du prix de la consultation. La Sécurité sociale rembourse seulement 55 % des soins courants. Aussi, le recours aux assurances complémentaires privées s’est peu à peu imposé. Et d’autant plus qu’elles sont désormais obligatoires dans les entreprises. Le gouvernement fait quelque chose de totalement anachronique. Le tiers payant est une avancée sociale, c’est indiscutable. Mais la loi intervient en pleine dégradation du service public et de mise en retrait du rôle de la Sécu. Le recours aux assurances privées s’accélère, si bien que nous n’avons plus un système à deux étages mais à trois. A la Sécurité sociale et aux complémentaires d’entreprise s’ajoute désormais la surcomplémentaire totalement privée, souscrite à titre individuel pour faire face aux dépassements d’honoraires, aux frais dentaires et d’optiques très onéreux. Finalement, la généralisation du tiers payant revient à généraliser le paiement aux assurances privées.

Les médecins ne sont pas franchement enthousiastes. Certains espèrent d’ailleurs que l’élection présidentielle mettra un coup d’arrêt à cette mesure qui devrait concerner tous les assurés sociaux à partir de novembre 2017

Philippe Batifoulier Cette opposition est naturelle pour la frange traditionnelle de la médecine très libérale, opposée aux assurances sociales depuis l’origine. Ces médecins revendiquent une liberté totale, notamment tarifaire. La santé est, pour eux, un acte individuel : une « entente directe » avec le patient. En réalité, les médecins sont payés par la Sécurité sociale par le biais des remboursements de soins. Le fait que cela devienne visible, qu’il n’y ait plus la médiation du patient entre eux et la Sécurité sociale leur est insupportable. Mais Marisol Touraine, la ministre de la Santé, s’est forgé d’autres opposants du côté des médecins qui refusent d’être assujettis aux complémentaires privées, leur second payeur.

Comment faire autrement face à des dépenses de santé qui ne seraient plus « supportables » pour certains politiques ?

Philippe Batifoulier En 1945-1946,les responsables politiques ont décidé de consacrer de l’argent à la protection sociale pour que les gens puissent se soigner. Ils se sont dit que les découvertes médicales, les antibiotiques, la pénicilline, ne servaient à rien si ces médicaments restaient inaccessibles. Or, à cette époque, le pays était ruiné par la guerre. Quarante ans plus tard, au début des années 1980, on a décidé de donner moins à la satisfaction des besoins de santé dans une période de prospérité économique. Le niveau de dépenses publiques n’est pas un problème comptable mais un choix de société. Il faudrait rétablir un remboursement plus élevé de la Sécurité sociale avec un horizon de 100 %. La dispense d’avance de frais aurait alors un vrai sens.

Vous considérez que les dépenses de santé sont très élevées en France, justement parce que la part prise par le privé est importante.

Philippe Batifoulier Les assurances privées ont des frais de gestion quatre à cinq fois plus élevés que la Sécurité sociale. La complémentaire d’entreprise, les dégrèvements sociaux et fiscaux coûtent très cher à la collectivité. En plus d’être inégalitaire, ce système est inefficace. Généraliser le 100 % Sécurité sociale et supprimer les assurances privées seraient les seules mesures efficientes. Je ne prétends pas que tout doit être remboursé, il y a des médicaments qui nous tuent et qui ont très bien remboursés ou qui l’ont été. Si les Français avaient à choisir entre les assurances privées chèrement payées et la prise en charge à 100 % des soins par la Sécurité sociale, il ne fait aucun doute qu’ils opteraient pour la deuxième proposition. Chacun sait que la Sécurité sociale rembourse mieux et qu’elle est moins coûteuse.

par Sylvie Ducatteau