Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

L’Humanité - Pour un comité démocratique de pilotage du déconfinement

Avril 2020, par Info santé sécu social

En débat

Le cadre de la ges­tion po­li­tico-sa­ni­taire du dé­con­fi­ne­ment se cla­ri­fie : l’ac­ti­vité re­pren­drait grâce à la com­bi­nai­son de tests en masse et de dis­po­si­tifs nu­mé­riques de géo­lo­ca­li­sa­tion pré­coce des in­di­vi­dus por­teurs. Y ré­flé­chir fait sens : le confi­ne­ment est une vio­lence, cela dit sans le contes­ter, ni dé­va­luer le cou­rage des tra­vailleurs non confi­nés su­bis­sant en mi­roir d’autres vio­lences. C’est plus qu’une pri­va­tion de li­berté de cir­cu­la­tion, c’est la re­mise en cause fon­da­men­tale des in­ter­ac­tions et de la so­cia­lité in­dis­pen­sables aux hu­mains comme à tout vi­vant, non pas pour en­ri­chir leur ex­pé­rience de vie, mais pour vivre tout sim­ple­ment.

Nous vi­vons un temps de contrôle consenti de nos ac­tions, de nos ré­tro­ac­tions qui doivent être res­treintes et jus­ti­fiées de­vant des au­to­ri­tés dis­ci­pli­naires. C’est une vio­lence an­thro­po­lo­gique et même bio­lo­gique, puisque le propre du vi­vant n’est pas le contrôle, mais l’ex­plo­ra­tion et l’échange. Le vi­vant est par prin­cipe ce qui s’échappe  ! Ce grand confi­ne­ment est donc une en­trave, un ava­tar ex­trême de la bio­po­li­tique dé­crite par Mi­chel Fou­cault : un gou­ver­ne­ment par le contrôle des corps. Il pro­tège la so­ciété (il ne doit y avoir, ici, au­cune am­bi­guïté) qui y consent avec en­du­rance au­tant qu’il la me­nace en la met­tant sous pres­sion. Se doter d’ou­tils même im­par­faits, voire am­bi­va­lents, pour en sor­tir peut donc se com­prendre, si ce n’est qu’ils peuvent aussi me­na­cer d’autres li­ber­tés pu­bliques. Quelle éthique col­lec­tive mettre en œuvre pour gérer cette ten­sion, et plus gé­né­ra­le­ment pour re­par­tir en­semble de l’avant  ?

Le pi­lo­tage du dis­po­si­tif techno-po­li­tique de dé­con­fi­ne­ment qui se pré­pare doit ré­pondre de ma­nière dé­mo­cra­tique à la ques­tion de Ju­vé­nal (et d’Alan Moore) : Quis cus­to­diet ipsos cus­todes  ? (Qui gar­dera les gar­diens  ?). Il doit donc être sous pres­sion ci­toyenne pour conju­rer toute op­por­tu­nité d’en faire un la­bo­ra­toire d’in­gé­nie­rie li­bé­rale-au­to­ri­taire par ruis­sel­le­ment. C’est pour­quoi doit être ins­tallé im­mé­dia­te­ment un co­mité dé­mo­cra­tique de pi­lo­tage du dé­con­fi­ne­ment as­so­ciant l’exé­cu­tif, le lé­gis­la­teur, des per­son­na­li­tés qua­li­fiées (plu­ri­dis­ci­pli­naires, sans conflit d’in­té­rêts et ré­vo­cables), mais sur­tout un nombre sub­stan­tiel de ci­toyens tirés au sort. Ce co­mité in­clura des voix cri­tiques des dis­po­si­tifs de sur­veillance, construc­tives pour jouer le jeu dans l’ur­gence, mais ou­tillées pour pen­ser leur dé­man­tè­le­ment au plus vite. Il sera formé sans délai à une vi­gi­lance ef­fec­tive quant à la trans­pa­rence des al­go­rithmes qui se­ront uti­li­sés, la des­ti­na­tion des don­nées per­son­nelles re­cueillies, la pé­da­go­gie des dé­ci­sions prises. Un prin­cipe fort le gui­dera : la di­men­sion tech­no­lo­gique des choix post-confi­ne­ment y sera se­con­daire par rap­port à la di­men­sion po­li­tique. Appli, Blue­tooth, WiFi, tra­cing, tra­cking : le jar­gon sera banni du débat et re­for­mulé en termes de choix po­li­tiques com­pré­hen­sibles par les ci­toyens. Nous de­vrons re­fu­ser fer­me­ment la gé­né­ro­sité op­por­tu­niste des Gafa pour nous four­nir, clé en main, les so­lu­tions tech­no­lo­giques at­ten­dues, que ces géants de l’in­tru­sion et de la mar­chan­di­sa­tion de nos don­nées fi­ni­ront par mon­nayer contre notre man­sué­tude sur leurs pra­tiques so­ciales et fis­cales. Mo­bi­li­sons nos meilleurs la­bo­ra­toires, in­gé­nieurs et en­tre­prises pour dé­ve­lop­per sans délai des so­lu­tions qui ga­ran­ti­ront notre in­dé­pen­dance en tant qu’in­di­vi­dus et en temps que so­ciété. Ces so­lu­tions ré­ver­sibles de­vront pou­voir être re­mises en cause si elles ne ré­pondent pas aux ob­jec­tifs que nous sommes libres de ré­éva­luer. Elles de­vront donc être ou­vertes, trans­pa­rentes, non mar­chandes. Il est in­con­ce­vable que, dans quelques mois, telle li­berté soit dé­cla­rée im­pos­sible à re­cou­vrer seule­ment « parce que l’ap­pli ne le per­met pas »,ou que cela des­sert l’in­té­rêt de ses concep­teurs. Les tests bio­lo­giques, les ap­pli­ca­tions nu­mé­riques vont s’ins­tal­ler pour un temps dans nos vies. Les dé­ci­sions prises avec la sé­cu­rité et la jus­tice pour bous­soles doivent être conçues en mo­dé­li­sant leur im­pact sur la durée, sur les pos­sibles vagues de la pan­dé­mie, sur les pos­sibles pan­dé­mies à venir. Et ce, en main­te­nant un in­flexible cap : c’est la pé­ren­nité de nos prin­cipes qui doit être re­cher­chée, pas celle des dis­po­si­tifs de contrôle. Ce co­mité aura enfin la haute mis­sion de pro­mou­voir une éthique pra­tique du dé­con­fi­ne­ment, qui au­rait une tra­jec­toire claire : conju­guer le plus haut degré de sé­cu­rité sa­ni­taire des in­di­vi­dus et la jus­tice so­ciale, ob­jec­tifs à la­quelle l’éco­no­mie doit se sou­mettre. Il y a une ac­ti­vité éco­no­mique prou­vant chaque jour son uti­lité so­ciale et sa­ni­taire, et qui s’in­carne dans ces tra­vailleurs de la santé mais aussi de la pro­duc­tion et de la dis­tri­bu­tion de biens es­sen­tiels. Mais cela n’a rien à voir avec la sphère fi­nan­cière, im­pa­tiente de re­cons­ti­tuer ses pro­fits, qui devra, au contraire, pas­ser mas­si­ve­ment à la caisse pour fi­nan­cer les opé­ra­tions et, vrai­sem­bla­ble­ment, rendre des comptes.

Concrè­te­ment, le co­mité sera fondé à dé­fi­nir, en fonc­tion de leur uti­lité so­ciale et en­vi­ron­ne­men­tale, les sec­teurs de l’éco­no­mie qui pour­ront re­par­tir, en ga­ran­tis­sant la sé­cu­rité des tra­vailleurs. Conjoin­te­ment, il iden­ti­fiera les sai­sies de ri­chesses à opé­rer par­tout où la pré­da­tion ca­pi­ta­liste les aura confis­quées, pour fi­nan­cer l’ef­fort col­lec­tif et les sec­teurs d’ac­ti­vité sus­pen­dus. Des membres de la Conven­tion sur le cli­mat pour­raient être in­té­grés de droit au co­mité, ren­dant pos­sible l’unité d’ac­tion pour se pré­mu­nir d’un dé­con­fi­ne­ment sale, en clair d’une re­vanche ul­tra­li­bé­rale via les po­tions amères de l’aus­té­rité ou d’un rat­tra­page éco­des­truc­teur ef­fréné. Ils sont les deux faces d’une même mé­daille. Leur res­pon­sa­bi­lité dans l’ag­gra­va­tion de la crise à toutes les échelles sera éta­blie. Cela est une ébauche, mais un tel co­mité aura une vertu in­ouïe : dé­fier la lo­gique ac­tuelle de sus­pen­sion de cer­tains de nos prin­cipes les plus chers, et lui op­po­ser, prag­ma­ti­que­ment, un sur­saut exis­ten­tiel de ré­af­fir­ma­tion forte de ces mêmes prin­cipes.

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