Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

La lettre du Journal International de Médecine (JIM) - L’obligation du port du masque, à visage découvert

Juillet 2020, par Info santé sécu social

Paris, le vendredi 17 juillet 2020 –

Même ceux qui vous ont déjà beaucoup déçu peuvent encore vous surprendre. Croire que la communication gouvernementale sur les masques puisse une énième fois donner lieu à quelques heures d’anthologie aurait été risqué : pourtant, le gouvernement n’a pas failli. La semaine a ainsi été marquée par une farce où les acteurs avancent démasqués.

Scène 1 : le Président de la République annonce que les masques devraient être rendus obligatoires à partir du 1er août.

Scène 2 : le Premier ministre défend le délai, jugé incongru par beaucoup, par une préoccupation humaniste : « Si on constatait avant cette date que l’épidémie reprenait, on avancerait cette échéance mais ce n’est pas la peine d’angoisser la population ». Certains ironisent : « Lors de son interview télévisée du 14 juillet le président a dit que ce serait à partir du 1er août que cette mesure s’appliquera comme s’il annonçait un changement de civilisation d’une portée si radicale que deux semaines ne seront pas de trop pour préparer les esprits à cette révolution des mentalités. Et puis quoi encore ? Va-t-on aussi créer des cellules psychologiques, des groupes d’entraide, des numéros verts afin d’accompagner au mieux la population dans cette terrible épreuve ? Quel est le problème à porter un masque dans un endroit confiné ? Ce n’est pas comme si on nous demandait de sacrifier un rein. Ou de dénoncer ses parents à la Kommandantur » énonce, sarcastique, l’écrivain Laurent Sagalovitsch, sur son blog hébergé sur Slate. D’aucuns pourraient ajouter qu’autant de précautions n’avaient pas été prises quand il s’agissait de fermer les écoles, les restaurants et la France entière, ce qui constitue des privations de liberté bien plus réelles… mais il est vrai que la menace épidémique apparaissait alors plus marquée qu’aujourd’hui.

Quelle angoisse !

Scène 3 : Jean Castex voulant se présenter comme à l’écoute des critiques et recommandations annonce une entrée en vigueur du décret dès la semaine prochaine. Jean Yves Nau s’interroge faussement naïf : « Pourquoi jouer ici avec "l’angoisse" des Français ? ». Ainsi, encore une fois, dans cette séquence, l’incohérence se dispute la vedette avec l’infantilisation. Plutôt que d’exposer clairement les raisons pouvant justifier un relatif attentisme (chiffres de l’épidémie qui apparaissent sous contrôle à l’exception de quelques départements et nécessité d’une préparation juridique), le psychisme des Français dont on faisait peu de cas au moment du confinement a été instrumentalisé.

Minorité présentée comme agissante
On prête ainsi à ces Français dont « l’angoisse » est une bombe à géométrie variable, qu’il faut ménager par des injonctions paradoxales, des velléités souvent contredites par les sondages. Ainsi sur Twitter, les partisans du port du masque obligatoire et généralisé se désolent de l’incivilité des Français qui rechigneraient à adopter ce geste altruiste. Les hérauts du masque n’hésitent pas à dénoncer les établissements qui refusent de faire régner l’ordre, voire qui préfèrent l’indifférence. D’autres énumèrent le nombre de personnes vues à visage découvert qui seraient autant de protestataires affichés (ne voulant pas relativiser leur indignation ou manquant de prendre en considération la question, pas toujours négligeable, du coût). Pourtant, les enquêtes ne retrouvent pas ces gaulois réfractaires. Ainsi, un sondage réalisé par BVA pour RTL et Orange dont les résultats ont été rendus publics ce 17 juillet révèle que 85 % des Français sont favorables à l’obligation du port du masque dans les lieux publics fermés (un chiffre qui bien sûr pourrait sous-entendre que les Français jugent indispensables de contraindre les autres ; les enquêtes signalent en effet souvent une forte défiance de nos concitoyens entre eux). D’ailleurs, même si cela contraste avec ce que certains peuvent constater dans les supermarchés, boutiques et autres restaurants, selon le baromètre de Santé publique France, le port du masque, adopté par la moitié des Français, n’était pas en recul à la fin du mois de juin.

Doute rationnel
Rares, les Français qui désapprouvent le port du masque sont rapidement catalogués. Le sondage BVA signale ainsi que la proportion d’opposants est plus élevée chez les électeurs du Rassemblement national (26 % contre 15 %), suggérant, sans doute en partie à raison, que des réflexes systématiques de défiance, sont à l’origine de ce nouveau refus. On ne peut néanmoins pas totalement écarter que parmi ceux qui ne refusent pas le port du masque obligatoire et plus encore chez ceux qui se montrent en décalage avec cette mesure, subsiste une réticence rationnelle liée aux doutes sur sa totale utilité ou efficacité. Ainsi, il est probable que non seulement les atermoiements des autorités (en France mais aussi ailleurs) ont laissé des traces, mais aussi les réserves de différentes études scientifiques ou encore les restrictions de quelques gouvernements (comme au Danemark). Par ailleurs, beaucoup constatent, telle la politologue Virginie Tournay dans sa chronique publiée dans Cerveau et Psycho, sans parler de l’hétérogénéité des masques que : « Réutilisés à de multiples reprises, les masques chirurgicaux sont rarement changés deux fois par jour comme il est préconisé », ce qui n’est pas sans impact sur leur efficacité. De la même manière, d’autres faits peuvent inviter à garder quelques distances avec ceux qui semblent considérer le masque comme le meilleur rempart contre l’épidémie (et par voie de conséquence contre le reconfinement). Il conviendrait notamment d’éviter de voir dans l’obligation une réponse providentielle, où la croyance prend le pas sur l’évidence scientifique. Quelques indices révèlent en effet les limites des mesures d’obligation qui peuvent être prises sans intrusion problématique dans la vie privée. Ainsi, le journaliste Vincent Glad, remarque sur Twitter : « Le port du masque en lieux publics clos est une absolue nécessité mais il n’aurait empêché aucun des 10 clusters signalés en Nouvelle-Aquitaine, où l’épidémie repart. Evénements privés (fêtes, mariages...), rassemblements familiaux et travailleurs agricoles » énumère-t-il. Est-ce à dire que des restrictions devraient s’imposer vis-à-vis de ces évènements privés ? Le Luxembourg s’oriente aujourd’hui dans cette direction.

Liberté : les grands mots démasqués
Bien sûr, la minoritaire opposition à l’obligation se drape également en partie dans la défense de la liberté. Le sujet apparaît cependant moins évident que certains veulent bien l’affirmer. « En effet, si tous sont libres d’agir à leur guise, les désirs des uns risquent d’empiéter sur la vie des autres. Apparaît l’ordre public, qui vient à la rescousse pour encadrer son usage, régir son exercice : la liberté, sous sa coupe, ne doit pas le choquer. Ce gardien de notre probité, somme toute ouvert d’esprit, ne tolère pourtant pas tout : du tapage nocturne à l’émeute, en passant par l’obscénité, il vous empêchera de déféquer dans le rayon des fruits et légumes. Jour après jour, nous enfilons néanmoins cette veste qui cintre notre conduite sans rechigner. (…) Il n’est pas toujours avisé de simplifier, aussi j’emprunte aux hérissons la prudence qui convient à leurs ébats, en énonçant que le fait de nuire à autrui est un critère central, souverain même, en matière de limites à la liberté. Et qu’il s’agit du coup de grâce porté à tous ceux qui ont pris le port du masque en grippe. La science nous apprend que ce dernier agit comme barrière à l’émission : le geste étant altruiste, son refus, nuisible à l’autre, doit par conséquent être circonscrit. (…) Le fait est que l’idée de liberté est galvaudée, simplifiée, vulgarisée, et qu’ainsi d’aucuns la croient plus absolue qu’elle ne l’est, exagèrent sa portée, la déifient. S’il est vrai que la COVID ne tue qu’une infime partie de la population, il n’est pas moins vrai que le port du masque ne contraint qu’une infime partie de notre liberté, par ailleurs passablement étriquée, même en l’absence de pandémie. Un mot aux protestataires tenant le masque en otage, ceux qui respiraient à leur aise dans leur justaucorps d’avant mars, mais que le bout de tissu additionnel étouffe : si réellement vous chérissiez la liberté, vous n’opprimeriez pas vos concitoyens qui, librement, choisissent de porter le masque, protégeant de leur souffle coupé votre vie. Si vraiment vous étiez de preux chevaliers servant une noble cause, vous ne mettriez pas la vie d’autrui en danger, afin de vous procurer en primeur une dose de vie normale, prolongeant de ce fait le supplice des autres » écrit le québécois François Béguin, auteur du blog Perce Pective. Si cette vision rappelle la nécessité de se méfier de l’idéal trop vite et facilement brandi, l’évocation de la liberté ne doit peut-être cependant pas être trop rapidement discréditée. Il y a chez certains une volonté de mettre en garde contre les conséquences trop rapides de la peur ou des impératifs sanitaires ; des réflexions qui si elles apparaissent peu opérantes vis-à-vis du masque dont le caractère contraignant est très faible n’étaient pas inutiles vis-à-vis d’autres mesures.

La délimitation des libertés individuelles : une affaire très technique

La complexité des liens entre liberté et obligation du port du masque est également rappelée par la politologue Virginie Tournay dans sa dernière tribune publiée dans Cerveau et Psycho qui analyse les décisions du Conseil d’Etat relatives à cette question. « Dans chaque jugement, l’impératif du masque est discuté à l’aune des risques de contamination selon la quantité, la taille des gouttelettes de toux de personnes infectées, les soins opérés sur les voies respiratoires, la vitesse de propagation du virus au regard de la densité carcérale, la durée de rétention des personnes testées positives… À partir d’un état des connaissances scientifiques, ces professionnels du droit évaluent les risques sanitaires. (…) La délimitation de nos libertés individuelles passe ainsi par une expertise juridique pointue, dont la technicité peut apparaître brutale aux yeux des citoyens et des élus locaux. Dès lors, la perception collective, tant de l’aléa biologique que de la légitimité du pouvoir de l’autorité en question, est brouillée » remarque-t-elle, invitant ainsi à ne pas réduire la réflexion sur ces questions à une approche trop manichéenne.

Le port du masque : une question scientifique et médicale, devenue un clivage politique
Elle poursuit en relevant que « Dans cette polyphonie sociale où le danger ne fait pas consensus, le porter relève autant de la prévention que d’un rituel collectif au sein duquel chacun tente de trouver sa place en se singularisant dans ce nouveau formalisme ». La virulence des débats, notamment sur Twitter, autour de la petite minorité de réfractaires témoigne bien de ce glissement. Le positionnement sur la question du port du masque tend en effet à devenir un enjeu politique, dépassant la question scientifique et sanitaire ; ce qui n’est pas sans susciter quelques interrogations sur la place prise par nos peurs.

Certains essayent cependant de temporiser. Ainsi, le médecin Yonathan Freund a toute cette semaine invité à se concentrer sur les chiffres de l’épidémie, qui s’accordent mal avec la soudaine poussée de fièvre symbolisée par la question du port du masque et les invectives contre ceux qui s’y refuseraient. S’il estime que le recours au masque est une mesure de bon sens, il perçoit cependant l’urgence affichée comme un nouvel aveuglement vis-à-vis de la réalité des faits et comme une nouvelle façon de s’enfermer dans une « prophétie autoréalisatrice » où le port du masque sera vu de toute manière comme providentiel, que l’épidémie connaisse réellement un rebond ou que la circulation du virus demeure faible.

Bien sûr, nous savons déjà les commentaires qui nous reprocheront de gloser, de triturer, de nous perdre en conjonctions quand le sujet apparaît d’une simplicité limpide : présentant une restriction très faible de nos libertés, outil de protection qui lorsqu’il est conjugué à d’autres mesures peut freiner la circulation du virus et donc permettre d’éviter des mesures plus drastiques, le masque doit être imposé. Si l’on ne peut que souscrire à cette affirmation, derrière le masque, les conjectures continuent de s’amuser.

On relira :

Le blog de Laurent Sagalovitsch :
Le blog de Jean-Yves Nau :
La chronique de Virginie Tournay
Le fil Twitter de Vincent Glad
Le blog de François Béguin
L’intervention de Yonathan Freund sur BFM TV

Aurélie Haroche