Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le JDD : E. Macron : « Il faut de la cohérence, de la clarté, un cap »

Novembre 2020, par infosecusanté

Le JDD : E. Macron : « Il faut de la cohérence, de la clarté, un cap »

David Revault d’Allonnes -

dimanche 22 novembre 2020

Cette fois, il ne promettra pas le retour des "jours heureux", comme en avril, à l’annonce du déconfinement. Emmanuel ­Macron, qui s’exprimera mardi à 20 heures, n’emploiera même pas ce dernier mot. Ce dont il parlera, c’est d’"un allègement progressif des contraintes", selon l’Élysée, et des perspectives. À court terme : un desserrement des mesures sur les commerces, probablement dès le week-end prochain, et les lieux de culte.

À moyen terme, le chef de l’État évoquera longuement le volet économique. Et, à plus long terme, les données scientifiques (nouveaux tests, vaccins) permettant de se projeter un peu plus loin. "Rien n’est pire que l’incertitude et l’impression d’une morosité sans fin, déclare Macron au JDD. Il faut de la cohérence, de la clarté, un cap. Savoir ensemble où nous allons et comment y aller. C’est difficile, car la pandémie est par essence imprévisible et mondiale. Mais c’est la clé de la confiance, qui elle-même est la clé du succès."
Voilà le discours qu’il s’apprête à tenir aux ­Français, intégrant le suivi des perspectives épidémiques et les avancées scientifiques, mais aussi le retour d’expérience des deniers mois. Une position sur le fil, construite selon une méthode qui s’est progressivement affinée depuis les prémices de la deuxième vague, il y a quatre mois.
Lors du déconfinement, "un sentiment de libération"

Les "jours heureux". En ce mois d’août, ils sont de retour. Le 11 mai, les Français sont sortis de chez eux, après cinquante-cinq jours d’enfermement. À l’air libre. Les indicateurs sanitaires sont au beau fixe, la vie a repris ses droits. L’exécutif, pourtant, veille. Le 11 août, tous les ministres assistent en visioconférence au conseil de défense, depuis la préfecture la plus proche de leurs lieux de vacances respectifs.

"Je veux que l’on monte sur la question des tests", demande Macron, qui anticipe "un problème dans les délais de réalisation et de rendu des résultats". Bien vu, mais guère suivi. Quelques semaines plus tard, le spectacle des files d’attente devant les centres de tests constituera un couac de plus, après l’épisode des masques au printemps.
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Jean Castex, l’ancien "Monsieur Déconfinement" installé à Matignon début juillet, et Olivier Véran, eux, continuent de patrouiller sur tous les départs de feux. La Guyane. La Mayenne, où un cluster s’est reconstitué. Et, très vite, Marseille, où les chiffrent montent dangereusement. Dès le 12 août, Véran reçoit une première alerte. Quinze jours plus tard, les bars et restaurants doivent y fermer à 23 heures. La fête n’est pas finie mais, déjà, les lampions commencent à s’éteindre. N’aurait-il pas fallu le faire plus tôt ?
"Si on n’avait pas laissé les gens respirer cet été, ça aurait explosé", dit un proche de Macron. Un ministre confirme : "C’était intenable du point de vue de l’opinion. Il y avait un sentiment de libération." Avec le recul, Castex lui-même le concédera en privé, évoquant un relâchement général : "On a déconné, collectivement."
Compliqué de convaincre les Français que la situation est grave

Ce 11 septembre, le président du conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, lâche sa petite bombe : le gouvernement "va être obligé de prendre un certain nombre de décisions difficiles", met-il en garde. Furieux de cette incursion en politique, Véran l’appelle illico pour lui demander des explications. "Ce que je voulais dire, c’est que c’est difficile de prendre des décisions en ce moment", s’emmêle ­Delfraissy. "Mais quelles décisions ?", insiste le ministre. "Ah, ça, on n’a pas travaillé là-dessus", répond l’immunologue. Le sentiment que le gouvernement tarde s’installe. La conférence de presse de Jean Castex, le lendemain, ne corrige pas le tir. Ce qu’il en reste : la durée d’isolement ramenée de quatorze à sept jours… "Le truc n’imprime pas", concède un conseiller.

Or la situation se dégrade. À Marseille, mais aussi à Bordeaux, Nice, Toulouse, Saint-Étienne… "C’est allé très vite", constate Véran, qui se défend : "Je ne crois pas qu’on n’en ait pas assez fait. J’en suis même sûr. Mais je me souviens que certains considéraient que ce n’était pas une vague, car il n’y avait pas de malades à l’hôpital…" Le décalage de quinze jours entre contaminations et hospitalisations est un obstacle à l’argumentaire du gouvernement. Compliqué de convaincre les Français que la situation est grave…
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En ce mois de septembre, ­Macron a bien évoqué en conseil de défense le Royaume-Uni, qui sanctionnait d’amendes allant jusqu’à 10 000 euros l’organisation de fêtes clandestines. Mais le ministre de l’Intérieur, Gérald ­Darmanin, n’a pas abouti. En revanche, le 24 septembre, le gouvernement serre la vis : bars et restaurants doivent fermer à Marseille. Fronde immédiate des intéressés, attisée par l’ensemble des élus, toutes tendances confondues. Et premier accroc, sérieux, à une fragile union nationale déjà près de craquer lors du premier confinement.
"On est en partie responsables, soupire un ministre. Il aurait fallu l’annoncer dans d’autres métropoles, car là on rejouait le match Paris-Marseille. Cette instrumentalisation a rendu très difficile l’application des mesures." Et de soupirer : "Si on avait mis en place un couvre-feu plus tôt…" Avec des si, on mettrait le virus en bouteille. Or, comme le rappelle souvent Castex : "Notre ennemi est imprévisible…"
Un scénario à 400.000 morts

De fait, après un plat trompeur jusqu’à la mi-septembre, les chiffres ont explosé dans toute l’Europe, au moment où les températures y baissent en flèche. Quinze jours plus tard, le bilan épidémiologique le confirme. Au conseil de défense du 12 octobre, le ministre de la Santé évoque la nécessité de "gagner du temps, au moins quatre semaines". Et préconise un "couvre-feu généralisé et précoce".
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Les prochains jours, comme les prochains mois, seront difficiles
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Ainsi que la nécessité d’un message aux Français : "Les prochains jours, comme les prochains mois, seront difficiles." La France est déjà épuisée. Jean Castex évoque avec ses visiteurs "une lassitude de l’opinion". Et, aussi, une forme de "déni". Entre le laisser-faire, impossible, et le reconfinement, que le gouvernement s’est toujours refusé à envisager, il va donc opter pour un couvre-feu, annoncé le 15 octobre.

Mais l’incendie se propage. Et les conseils de défense se succèdent, à chaque fois un peu plus alarmistes. Celui du 20 octobre, au cours duquel il est établi qu’"un échec constaté d’ici deux semaines conduirait à accepter un lourd bilan sanitaire". Celui du 26 octobre, qui prédit que la deuxième vague sera "plus sévère", avec potentiellement "plusieurs milliers de décès". Des "conséquences sanitaires gravissimes inédites". Et "un système de santé totalement saturé, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale". L’exécutif peut-il se permettre, alors que la plus alarmiste des simulations évoque 400 000 morts, d’attendre les effets du couvre-feu ?
La réunion "horrible" à Matignon

Cinquante-deux mille treize cas. C’est le nombre de contaminés comptabilisé le dimanche 25 octobre. "Ça devient très sérieux", dit un ministre. Le reconfinement n’est plus qu’une question de jours. Olivier Véran : "Un pays a-t‑il trouvé la martingale pour éviter une vague épidémique ? Non. Aucun pays n’a été capable à ce stade de l’empêcher sans prendre de mesures contraignantes."
Deux jours plus tard, le Premier ministre réunit l’ensemble des partis à Matignon. Épisode "horrible", selon un participant, dont Castex conserve un souvenir ému. Morceaux choisis. Julien Bayou (EELV) : "Vous n’avez pas anticipé. À partir de là, je n’ai rien à dire." Olivier Faure (PS) : "Je ne comprends pas cette réunion. Je croyais que vous alliez nous présenter les possibilités, et qu’on pourrait dire oui ou non sur chaque possibilité." Damien Abad (LR) : "Je suis réservé sur le reconfinement. Je le préférerais territorialisé." Marine Le Pen : "Un reconfinement total serait un drame !" Seul le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, se montre compréhensif : "La vie d’abord : là-dessus, nous vous suivrons."
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Pourquoi inventer des polémiques inutiles ? Nous consultons, nous concertons, nous analysons, nous décidons
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Ce tir de barrage des opposants achève de convaincre Emmanuel Macron : d’union sacrée, il n’y aura point. Un épisode lui est resté sur l’estomac : un amendement voté par les sénateurs, le 13 octobre, interdisant de fermer bars, salles de sport et discothèques… Un mois plus tard, Macron estime que ses adversaires ont aujourd’hui la partie moins facile. "Pourquoi inventer des polémiques inutiles ? Nous consultons, nous concertons, nous analysons, nous décidons, explique le chef de l’État au JDD. Certains préfèrent entretenir des débats abscons qui n’intéressent qu’eux plutôt que faire des propositions concrètes ? Je préfère avancer."
"Ça va péter", menacent les petits patrons

Le "tour de vis" tombe donc le 28 octobre : Macron doit se résoudre à annoncer un reconfinement. Cette fois-ci, avec écoles ouvertes, possibilité pour beaucoup d’aller travailler… et fermeture des commerces considérés comme non essentiels. Ce qui déclenche une levée de boucliers des fédérations et contraint le gouvernement à fermer les rayons correspondant dans la grande distribution, par souci d’équité. La fronde des petits patrons menace. "Je suis très inquiet, les gens n’en peuvent plus, confie un ministre. Ça va péter. Lorsque les gens n’ont plus rien à perdre, c’est là que ça devient dangereux."
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Je comprends la grogne des commerçants, mais quand j’entends les soignants…
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Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, l’a confié à l’un de ses proches : "L’angoisse est très profonde. C’est à moi d’offrir des perspectives." La confrontation, permanente depuis mars, entre nécessités sanitaires et économiques est plus vive que jamais. Elle a désormais pour théâtre le conseil de défense, chaque semaine, dans le salon Murat de l’Élysée. Après une introduction consacrée aux situations internationale et française, puis une présentation des scénarios de modélisation épidémique (le pire, le médian et le meilleur), Olivier Véran fait valoir la position "sanitaire". Après quoi Bruno Le Maire présente son point de vue, "toujours en défense des commerces", rapporte un participant. "C’est parfois tendu", confie ce dernier.

"Je comprends la grogne des commerçants, mais quand j’entends les soignants…", attaque Véran. "J’entends les impératifs du ministre de la santé, mais il y a la vraie vie", rétorque le second. À Macron de conclure, avec sa traditionnelle formule : "Est-ce que quelqu’un a quelque chose à dire ?" Et de trancher. Une équation politique à multiples paramètres. "Chacun porte une position très forte de son secteur, rapporte un conseiller du président. Notre problème, c’est d’arriver à mettre toutes ces expressions en équilibre."
"Il n’est pas question de déconfiner", rappelle Véran

Lundi dernier, le conseil de défense a constaté "la fatigue et l’irritabilité de plus en plus prégnantes" des Français. Mais s’est conclu sur une note plus optimiste, constatant que "la cinétique épidémique est freinée". Après les bonnes nouvelles sur le front vaccinal, il a été préconisé d’expliquer aux Français comment "mieux vivre avec le virus sur la durée". Ce que Macron fera mardi.
"Il n’y a pas de fatalité, dit-il au JDD. Les crises peuvent être, à la fin, des accélérateurs de progrès. Nous devons être au rendez-vous de l’Histoire. Et la France a tous les atouts pour l’être." Un pas en avant. Mais aussi, un regard en arrière. "Aujourd’hui, le niveau de circulation du virus dans le pays est le même qu’au moment du couvre-feu, rappelle Véran. Il n’est pas question de déconfiner." La position de l’équilibriste, toujours