Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde - Cinq questions sur le P.1, le variant brésilien du SARS-CoV-2

Avril 2021, par Info santé sécu social

Bien que cette nouvelle lignée du coronavirus ne représente que 0,5 % des contaminations en France métropolitaine, les autorités ont décidé de suspendre les liaisons aériennes avec le Brésil pour en contenir la propagation.

Par Aude Lasjaunias(avec AFP)
Publié le 15/04/21

Si, depuis le mois de mars, le variant dit « britannique » du SARS-CoV-2, le B.1.1.7, est devenu majoritaire en France métropolitaine, c’est une autre lignée du coronavirus à l’origine de l’épidémie de Covid-19 qui suscite l’inquiétude depuis quelques jours.

Originaire du Brésil, elle ne représente pour l’heure que 0,5 % des nouvelles contaminations dans l’Hexagone. Mais elle a conduit les autorités à décider la suspension des vols avec le géant de l’Amérique latine, à compter de mercredi 14 avril, pour une durée d’au moins cinq jours.

Ce variant, baptisé P.1, est encore mal connu des scientifiques. Plus contagieux que la lignée originelle du SARS-CoV-2, il soulève plusieurs interrogations, notamment sur une potentielle résistance aux vaccins existants contre les formes graves du Covid-19.

Où est apparu le P.1 ?
Le P.1 a émergé en décembre 2020 dans la région de Manaus, en Amazonie. Il n’a pourtant été identifié comme un nouveau variant qu’au mois de janvier au Japon, chez des voyageurs ayant séjourné dans ces zones du nord du Brésil.

« La vigilance sanitaire du Brésil est une des pires au monde en termes de séquençage, ce n’est pas pour rien que le variant P.1 a fini par être découvert au Japon », a ainsi expliqué à l’Agence France-Presse (AFP) Jesem Orellana, chercheur de la Fondation Institut Oswaldo Cruz (Fiocruz, l’équivalent brésilien de l’Institut Pasteur).

Selon les données du Réseau génomique de Fiocruz et du Global Initiative on Sharing Avian Influenza Data, sa part dans les nouvelles contaminations au Brésil est passée de 28 % en janvier à 73 % au mois de mars. Le P.1 est désormais présent dans l’ensemble du pays, où la situation sanitaire n’a cessé de s’aggraver.

Il a également atteint de nombreux pays d’Amérique latine − Argentine, Chili, Uruguay, Paraguay, Pérou… −, y causant une flambée épidémique, mais aussi les Etats-Unis, le Canada, l’Allemagne ou encore la France. Dans son dernier bulletin épidémiologique hebdomadaire du 13 avril, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) précise qu’il est à l’origine de cas dans cinquante-deux pays du monde, soit sept fois plus que lors de son précédent rapport.

Pourquoi inquiète-t-il autant ?

« Le variant P.1 est vraiment plus contagieux et il s’est répandu à grande vitesse au Brésil, qui est un pays immense, où la pandémie est totalement hors de contrôle », a fait valoir auprès de l’AFP la microbiologiste Natalia Pasternak, directrice de l’Institut Questoes de Ciencia.

Comme le variant britannique, il est porteur de la mutation N501Y dans la protéine Spike, par laquelle le virus entre dans les cellules pour les infecter. « C’est un peu comme si c’était un passe-partout qui arrive à ouvrir plusieurs serrures à la fois », résume Jesem Orellana.

Et, tout comme le variant sud-africain, le P.1 possède la mutation E484K, qui, selon les résultats de certaines études, pourrait entraîner plus de réinfections que les autres lignées, un plus grand nombre d’anticorps étant nécessaire pour lui résister.

L’une des craintes des autorités sanitaires concerne la moindre efficacité des vaccins contre cette souche, ce que les spécialistes qualifient d’« échappement immunitaire ». « En clair, alors que l’on sait que la vaccination marche très bien sur le mutant [britannique], on voit une perte de protection avec les variants brésilien et sud-africain », explique dans Le Parisien le virologue Bruno Lina, membre du conseil scientifique français. En effet, une étude publiée le 20 mars dans la revue Cell a montré une perte de protection des anticorps de convalescents ou de personnes vaccinées face à ces variants. Reste à voir à quel point ce phénomène observé in vitro a des conséquences cliniques.

Écouter aussi Covid-19 : les vaccins seront-ils à la hauteur des variants ?
Le 9 avril, la Haute Autorité de santé a ainsi recommandé « l’utilisation exclusive des vaccins à ARN messager » (Pfizer-BioNTech et Moderna) − jugés plus efficaces − en Guyane, à Mayotte et à La Réunion, où ces variants représentaient respectivement 85 %, 83 % et 65 % des nouveaux cas la semaine dernière, selon l’agence de sécurité sanitaire Santé publique France (SpF). Si les données de l’organisme et des agences régionales de santé (ARS) ne font pas toujours la distinction entre les variants sud-africains et brésiliens, l’ARS de Guyane précisait, dans son dernier bulletin épidémiologique, daté du 8 avril, que le P.1 y était la lignée majoritaire.

Est-il plus mortel que les autres lignées du SARS-CoV-2 ?
La mortalité chez les plus de 20 ans a fortement augmenté au Brésil en janvier et en février, suggérant une dangerosité accrue du variant. Cependant, aucune étude concluante n’a encore été publiée pour en attester.

Les investigations se poursuivent, fait ainsi valoir l’OMS. En effet, insiste l’organisation, « à l’instar d’observations similaires faites ailleurs avec d’autres CoV [variants of concern, variants d’intérêt], il sera important de démêler les changements dans la gravité de la maladie des impacts d’une transmissibilité accrue-incidence élevée qui ajoutent des pressions sur les systèmes de santé et ont un impact négatif sur l’issue clinique pour les patients ».

Dans des études préliminaires, Fiocruz a d’ailleurs constaté que le P.1 n’avait pas entraîné un taux de mortalité supérieur chez les personnes hospitalisées à Manaus, par comparaison au pic de la première vague, en avril 2020.

Si le nombre de morts a explosé au Brésil ces dernières semaines, cela relève plus des effets d’un relâchement de la population, qui adhère moins aux mesures de restriction et au respect des gestes barrières, et du poids que l’explosion des nouvelles contaminations − et mécaniquement du nombre de cas graves qui les accompagnent − fait peser sur les établissements de santé.

« D’un point de vue épidémiologique, ce variant est plus à même de déstabiliser des régions où il y a peu de contrôle de la circulation du virus, causant la saturation des hôpitaux », insiste Jesem Orellana. Ce fut notamment le cas à Manaus, zone mal équipée et frappée par une grave pénurie d’oxygène médical en janvier.

Quelle est la situation sanitaire au Brésil ?

La circulation effrénée du virus a entraîné l’apparition d’autres variants issus de la même lignée, à l’image du P.2, circulant notamment à Rio de Janeiro, ou du P.4, apparu récemment dans la région de Belo Horizonte, dans l’Etat voisin de Minas Gerais.

Pour endiguer leur propagation, les experts brésiliens estiment qu’il est indispensable de prendre des mesures drastiques. « L’idéal serait qu’on puisse allier confinement et vaccination de masse, comme au Royaume-Uni ou en Israël », avance ainsi Natalia Pasternak, dénonçant l’« absence de coordination nationale » de la part du gouvernement du président Jair Bolsonaro, qui n’a cessé de minimiser la pandémie.

Alors que la vaccination avance lentement au Brésil (au 7 avril à peine 10 % de la population avait reçu une première dose), près de 92 nouveaux variants y ont été identifiés, faisant du pays « un laboratoire à variants à ciel ouvert », selon l’expression des experts locaux – même si à ce stade, ce sont bien ceux appartenant à la série P.1 à P.4 qui sont les plus inquiétants.

Quelle est la situation en France ?
En France métropolitaine, selon la dernière enquête de séquençage, conduite le 16 mars sur 3 000 prélèvements positifs, le variant sud-africain (B.1.351) était responsable de 6,1 % des nouvelles contaminations, et le brésilien (P.1) d’à peine 0,5 %, contre 82,6 % pour le variant britannique (B.1.1.7). Les données issues du criblage de tous les tests PCR, qui ne différencient pas les variants sud-africain et brésilien, font état de 4,2 % des cas positifs correspondant à une suspicion d’une de ces deux lignées entre le 29 mars et le 4 avril.

L’équilibre actuel peut toutefois se renverser, mettent en garde plusieurs médecins. « Chaque fois qu’on laisse l’épidémie prendre de l’ampleur, on étend les capacités du virus à se répliquer », ce qui favorise l’émergence de nouveaux variants, avertit Bruno Lina.

Actuellement, en France, une quinzaine de variants sont particulièrement surveillés, dont trois sont qualifiés de « préoccupants », équivalant aux « variants of concern » ou « VOC » de la terminologie anglo-saxonne : le britannique, le sud-africain et le P.1. Sept sont « en cours d’évaluation » (variants of interest, VOI), dont le P.2 brésilien. Enfin cinq sont « à suivre », dont le P.3 brésilien.